Le comptage parallèle des votes, un remède aux crises postélectorales en Afrique ?


Par Yeo Fangnariga *
Mardi 17 Octobre 2017

Le comptage parallèle des votes, un remède aux crises postélectorales en Afrique ?
Les processus électoraux en Afrique sont presque devenus des rituels immuables jalonnés de violences et couronnés par des crises postélectorales. Cette tragicomédie sanglante se répète au fil des élections surtout présidentielles. La classe politique se déchire et  l’armée soutient le pouvoir sortant. Face à ces rituels sanglants,  l’observation citoyenne des scrutins par la méthodologie du PVT peut-elle être une solution ?
Plusieurs crises postélectorales ont endeuillé l’Afrique (Kenya, Zimbabwe, Côte d’Ivoire, Congo Brazzaville, Gabon, Gambie, etc.). Face à ces élections meurtrières, l’observation des scrutins par le Parallel Vote Tabulation (PVT) qui se traduit en français par le comptage parallèle des votes peut s’avérer une réelle solution.  Le PVT  est une méthodologie d'observation citoyenne des élections qui est basée sur un échantillon aléatoire représentatif des bureaux de vote et est utilisée pour la vérification indépendante des résultats des élections. Le PVT utilise les statistiques et les technologies de l’information et de la communication (TIC). Il permet aux ONG qui le mettent en œuvre de se prononcer valablement sur la qualité du scrutin et sur les résultats obtenus par chaque candidat. Les organisateurs du Mouvement national citoyen des Philippines pour les élections libres (NAMFREL) sont largement reconnus comme les pionniers du PVT. Lors de la  présidentielle de 1986, ils ont mis en œuvre le premier PVT. Ils ont accompli une tâche remarquable dans la collecte de données auprès des bureaux de vote échantillonnés, fournissant ainsi des preuves pour aider à démasquer le vote massif de fraude orchestré par les partisans du dictateur Ferdinand Marcos, ce qui a abouti à la chute de ce dernier. Dès lors, le PVT a été mis en œuvre dans plusieurs pays du monde notamment en Amérique latine où  il a permis aux ONG de se prononcer de façon  indépendante sur les élections. Son adoption par les ONG d’Afrique pourrait leur permettre de se positionner comme une voix indépendante pouvant arbitrer les contentieux électoraux et  ainsi éviter des crises postélectorales.
En effet, pour qu’un PVT soit mis en œuvre avec succès lors d’une élection, il y a deux conditions principales : les acteurs politiques et candidats à l’élection acceptent la transparence du processus électoral et la crédibilité de l’organisation chargée de mettre en œuvre le PVT.  Les organisations chargées de mettre en œuvre un PVT doivent remplir certaines conditions.  Etre une organisation intègre dont l’objectif est l’intérêt communautaire. Les acteurs politiques et candidats à l’élection ainsi que les différentes parties prenantes au processus électoral, notamment l’institution chargée d’organiser l’élection, doivent avoir confiance en l’entité mettant en œuvre le PVT. Par ailleurs, le processus électoral déchaînant les passions, il faut aussi être neutre et impartial vis-à-vis des acteurs politiques et des candidats à l’élection. Toutefois, les acteurs politiques qui ne veulent pas de transparence dans le processus électoral refuseront un PVT même si l’organisation mettant en œuvre le PVT satisfait toutes les conditions ci-dessus. Il faudra alors mener un plaidoyer en amont pour l’acception du principe de la transparence de l’élection par les acteurs politiques et candidats.
Au terme de la mise en œuvre du PVT, lorsqu’il y a un grand écart entre les résultats du PVT et ceux annoncés par l’institution qui a organisé l’élection, la primauté est donnée aux résultats du PVT.  En effet, les résultats issus du PVT peuvent être vérifiés depuis la collecte dans les bureaux de vote jusqu’à la remontée au centre de données. Habituellement, les ONG font la démonstration avant le jour de l’élection pour montrer la fiabilité du système PVT. Le jour de l’élection le centre de données est ouvert aux visites et le système est encore présenté à tous les visiteurs. En conséquence, les résultats du PVT ne peuvent souffrir d’aucune contestation. Il appartient donc à l’organisation mettant en œuvre le PVT de mener le plaidoyer nécessaire pour que les résultats du PVT soient acceptés par tous.
Certaines ONG ont déjà mis en œuvre le PVT dans des pays africains durant les présidentielles. Cela a largement contribué à garantir la transparence du scrutin d’une part, et l’acceptation des résultats par tous les candidats d’autre part. Ainsi, le PVT a été mis en œuvre avec succès au Ghana, en 2012 et 2016 ; au Nigeria en 2011 et 2015 et bien d’autres pays. En Tunisie, après l’ère Ben Ali,  aux deux tours de la présidentielle de 2014. Au Burkina Faso, après l’ère Blaise Comparé, la Convention des organisations de la société Civile pour l’observation des élections  (CODEL) a mis en œuvre le PVT à la présidentielle du 29 novembre 2015. Cela a contribué à renforcer la transparence du scrutin. Les acteurs politiques ont tous accepté les résultats en Côte d’Ivoire,  la Plateforme des organisations de la société civile pour l’observation des élections en Côte d’ Ivoire (POECI) a mis en œuvre un PVT lors de la présidentielle du 25 octobre 2015. Lorsque la Commission électorale indépendante (CEI) a annoncé un taux national de participation de 60%, la POECI a annoncé son taux  lors d’une conférence de presse, et a affirmé avoir observé un taux de 53%. Quand la CEI a proclamé les résultats  provisoires de la présidentielle, elle s’est alignée sur le taux de la POECI  et ses résultats étaient dans la même fourchette que ceux observés par la POECI.
Aujourd’hui, les ONG peuvent jouer un rôle déterminant dans la réduction des crises postélectorales en Afrique. Le PVT leur en donne largement les moyens. Elles peuvent donc arbitrer la bataille électorale et mener le plaidoyer pour l’acceptation des résultats issus réellement des urnes. La paix et la cohésion sociale, gage d’un développement en Afrique, en dépendent. Autrement, les crises postélectorales auraient de longs jours devant elles.

 * Activiste des droits de l’Homme et blogueur
Article publié en collaboration avec www.unmondelibre.org


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