Le changement social dans les pays arabes


Par Youcef Hdouch *
Lundi 15 Octobre 2012

Le changement social dans les pays arabes
A la fin de l’année 2010 et le début de 2011, le monde arabe a basculé à cause des soulèvements populaires. Ceux-ci  ont même conduit au renversement de quelques régimes (Tunisie et Egypte) et quelques autres vont suivre. Cet état nous oblige à bien chercher à comprendre  les raisons de ces changements qui touchent les structures politiques, sociales et culturelles des pays arabes.
L’objectif de cet article est de mettre la lumière sur les facteurs catalyseurs du  développement national arabe. En particulier, on mettra l’accent sur le rôle des médias et leurs impacts sur la société arabe.
La culture politique est un concept clef dans les sciences politiques. Il se réfère aux attitudes, croyances et valeurs qui sous-tendent le fonctionnement d’un système politique particulier (cf. Wood, 2002). Celles-ci comprennent les connaissances et les compétences concernant le fonctionnement du système politique, les sentiments affectifs positifs et négatifs à son égard, et les jugements de valeur sur le système. Au sein d’un système politique, des groupes régionaux ou ethniques, avec leurs propres valeurs, attitudes et croyances distinctives, sont considérés comme des vecteurs des sous-cultures.
Dans la littérature politique, il y a plusieurs façons de classifier les cultures politiques existantes. En effet, selon Almond & Powell (1966), la culture politique existe à trois niveaux :
-le système politique ;
 -le processus politique et l’élaboration des politiques
-Attentes de la politique
 
Niveau 1: le système
politique

Comment les citoyens s’identifient-ils vis-à-vis du gouvernement et de la politique dans leurs pays en général ? Ont-ils la fierté nationale ? Acceptent-ils et soutiennent-ils les décisions prises par leurs dirigeants? Tout système politique doit garantir un certain niveau de légitimité aux yeux de ses citoyens. En effet, un élément important de la culture politique est la légitimité -la conviction- que l’autorité du gouvernement est valide et qu’elle doit généralement être respectée. Dans ce cadre, les pays ayant une longue histoire nationale (cas du Maroc) ont généralement un avantage sur les nations plus récemment fondées, qui doivent convaincre leurs citoyens de développer de nouvelles loyautés politiques (cas de la Libye). Cependant, une longue histoire peut être comblée par des conflits ethniques ou religieux (cas du Bahreïn et du Yémen) qui, à leur tour, peuvent favoriser les problèmes de légitimité. Quel que soit le défi, les gouvernements ont tendance à fonctionner bien mieux si les citoyens croient en la légitimité du système politique.
Le deuxième critère dans le choix et l’acceptation d’un régime politique est la tradition. Dans cette culture politique, les citoyens peuvent accepter un gouvernement basé sur l’hérédité, de sorte que lorsque le souverain meurt, l’héritier légitime est son fils ou un parent (dans certains cas, la fille).
Le troisième facteur qui régit le système politique est l’idéologie. Une idéologie politique est un ensemble de croyances qui prône une vision pour une société meilleure. Généralement, les idéologies critiquent l’ordre ancien (ou les idéologies d’opposition), évaluent les problèmes et définissent leurs solutions, et essayent de construire un soutien public pour leur nouvelle direction. Par exemple, le marxisme a critiqué le capitalisme, prédit malheur si ce système continuait, tout en envisageant un ordre nouveau fondé sur l’abolition de la propriété privée.
Le quatrième critère concerne  les élections et les constitutions. La plupart des démocraties modernes fondent leur légitimité sur des élections justes, régulières, et concurrentielles dans lesquelles les citoyens ont réellement le choix parmi les candidats. Ces élections, ainsi que d’autres processus politiques de base, sont définis par la loi. Dans de nombreux pays, une Constitution formelle établit un plan qui reflète les convictions politiques et les valeurs de la culture politique. Parce qu’une démocratie est fondée sur la valeur que les gens devraient participer au gouvernement, la constitution doit inclure certaines chaînes qui relient les citoyens aux décideurs. En procédant ainsi, la Constitution doit être acceptée comme base de la légitimité.

Niveau 2: le processus politique et l’élaboration des politiques

Un deuxième niveau de culture politique induit des attentes des citoyens sur la façon dont le gouvernement devrait fonctionner, comment les dirigeants politiques doivent se comporter, ainsi que la façon dont ils devraient eux-mêmes participer. Dans certains pays, les citoyens s’attendent à participer activement et qu’ils soient régulièrement consultés sur les affaires du gouvernement, et s’ils ne le sont pas, ils peuvent décider de destituer leurs dirigeants, et peut-être remettre en question la légitimité même du système politique. Dans d’autres pays, les citoyens sont des sujets qui se soumettent à la loi, mais ne s’impliquent pas dans les affaires du gouvernement (Libye sous Kadhafi). Au lieu de cela, ils délèguent les décisions politiques aux dirigeants. Dans d’autres pays, les citoyens peuvent n’avoir aucune connaissance du gouvernement et de sa politique parce qu’ils n’ont jamais eu de contact avec les dirigeants politiques.

Niveau 3: attentes
de la politique

Qu’attendent les gens de leurs gouvernements? Ces attentes influent sur la capacité des décideurs à formuler et  appliquer avec succès une certaine politique. Comment le gouvernement devrait être impliqué dans la vie de ses citoyens? Ce genre de questions constitue le troisième type de culture politique.
Par exemple, dans certains pays, la plupart des gens croient que le gouvernement devrait s’assurer que tout le monde est à l’abri du besoin (société égalitaire). D’autres cultures politiques stipulent que les individus sont les premiers responsables de leur propre bien-être (société individualiste). Ces différences fondamentales dans les croyances politiques vont sûrement influencer le degré de tolérance des citoyens vis-à-vis des impôts élevés, des subventions pour les chômeurs, et des pensions de vieillesse. Par exemple, les citoyens de la Suède tolèrent généralement des impôts élevés, afin de jouir d’une bonne retraite, mais la culture politique aux Etats-Unis propose que la sécurité sociale ne peut pas financer un mode de vie confortable au profit des retraités.

Types de culture politique

Il est important d’évaluer les grandes influences de la culture politique dans un système politique donné, mais la tâche n’est généralement pas facile parce que les valeurs et les convictions changent selon les citoyens d’une même nation. Par exemple, certaines personnes dans un pays peuvent croire que la religion devrait jouer un rôle important dans l’élaboration des décisions politiques, alors que beaucoup d’autres peuvent croire à une stricte séparation de la religion et de l’Etat. Le nombre et la profondeur des désaccords entre les citoyens dans une société sont à la base de la division des cultures politiques en deux types: consensuelle et conflictuelle.
Culture politique consensuelle: Bien que les citoyens puissent être en désaccord sur certains processus politiques ou sur des politiques, ils ont généralement tendance à s’entendre sur la façon dont les décisions sont prises, les questions qui doivent être adressées, et comment les problèmes devraient être résolus. Par exemple, les citoyens reconnaissent que les élections sont tenues pour choisir les dirigeants, et acceptent les vainqueurs des élections en tant que dirigeants. Une fois que les dirigeants prennent les choses en main, les problèmes qu’ils abordent sont considérés par la plupart des gens comme faisant partie des prérogatives du gouvernement. En général, une culture politique consensuelle accepte à la fois la légitimité du régime et les solutions proposées à résoudre les problèmes majeurs.
Culture politique conflictuelle: les citoyens dans une culture politique conflictuelle sont très divisés, souvent à la fois sur la légitimité du régime et sur les solutions aux problèmes majeurs. Par exemple, si les citoyens sont en désaccord sur une chose aussi fondamentale que le capitalisme opposé au communisme, le conflit sera certainement difficile à éviter. Toutefois, si les différences religieuses sont aussi prononcées que les adeptes d’une religion n’acceptent pas un dirigeant élu d’une autre religion, ces différences portent atteinte à la légitimité, et menacent de renverser le régime. Quand un pays est profondément divisé dans les croyances et les valeurs politiques sur une longue période, les sous-cultures politiques peuvent se développer, et les divisions deviennent si ancrées que le gouvernement estime qu’il est difficile de gouverner efficacement  (cas de l’Irak).

 * Professeur, Université
Ibn Tofail de Kénitra
(A suivre)


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