Le cas de la guerre du Rif-1921-1926 : Crimes internationaux et droit des victimes à réparation(I)


Par Mustapha Ben Cherif
Mardi 4 Octobre 2011

Le cas de la guerre du Rif-1921-1926 : Crimes internationaux et droit des victimes à réparation(I)
L’objectif de cette thèse de
doctorat soutenue par Mustapha Ben Cherif à l’Université de Perpignan Via Domitia est d’examiner les faits illicites (guerre chimique)
reprochés à l’Espagne et à la France, commis lors de la guerre du Rif (1921-1926). Après sa défaite cuisante à Anoual, l’Espagne décida de se venger  du Rif avec l’appui  de la France, sans  les attaques
chimiques et  l’aviation, la défaite et le déclin de la jeune  république du Rif  seraient  inconcevables. Les
conséquences générées par la guerre chimique furent horribles  aussi bien pour la santé  que pour l’environnement, surtout, par leurs effets cancérigènes d’après l’OMS. La réflexion s’est focalisée sur l’étude du droit de la guerre, des crimes de guerre et des crimes contre
l’humanité, à partir du droit et de la jurisprudence
internationale  et interne,
 ainsi leur imprescriptibilité dans les systèmes juridiques différents. Il ressort que la guerre du Rif a causé des
dommages pour les victimes. Il s’agit d’un «crime d’Etat», qui  échappe à la «pénalisation», mais rien n’empêche  d’engager la responsabilité de l’Etat.  Certes,  deux  modes
juridictionnels  sont
envisageables  pour une
réparation juste  et intégrale des victimes, l’un est
international par la saisine de la Cour internationale de
justice, l’autre est national par le recours à la juridiction
administrative. Le traitement juridictionnel du différend, n’est pas la voie idéale, les parties litigieuses, pourraient se
concilier pour une solution politique, sur la base des  
négociations  sincères
et fiables.
La présente étude se veut une contribution à un débat;  lequel débat puise  sa source dans le vif intérêt, à la fois personnel, politique, historique et scientifique, porté au sujet de crimes internationaux, intérêt né dans le contexte de questions posées au Maroc pendant la dernière décennie relative à la prolifération intensive des maladies de cancer dans la zone du Rif. Il s’agit donc d’une réflexion  qui entend  appréhender la réalité de la guerre  menée par la France et l’Espagne  contre le  Rif  entre 1921 et 1926.   
 L’itinéraire assigné à cette recherche s’est avéré d’une grande complexité compte tenu de l’exhaustivité du thème. Il porte sur les crimes internationaux, le droit des victimes à réparation ayant comme échantillonnage : la guerre du Rif qui s’est déroulée entre 1921 et 1926. Il s’agit tout d’abord d’aborder un certain nombre de « faits » qui reviennent au début du XXe siècle, de les situer dans une perspective d’ordre juridique.  Le but est de déterminer et de qualifier les actes guerriers de l’Espagne et de la France commis contre le Rif.
S’agit-il  des crimes de droit international ?  Dès lors, les faits liés à la guerre du Rif,  s’inscrivent-ils dans le cadre de crimes contre l’humanité ? De crimes de guerre ? Crime d’agression ? Ou encore crime de génocide ?  Et quels en seraient les recours judiciaires  auxquels pourraient éventuellement recourir les victimes de crimes internationaux  relatifs à des faits qui remontent à la période coloniale (1921 - 1926) ? Quelles poursuites pénales ou actions civiles pourrait-on engager contre des auteurs dont on a perdu la trace et qui, le plus souvent sont décédés ? D’autant plus que les plaintes pénales ne pourraient être portées ni devant la justice internationale pénale (la Cour pénale internationale), ni devant les tribunaux répressifs nationaux ; ce qui  laisse supposer que pour le cas de la guerre  du Rif,  les recours judiciaires pénaux ne  pourraient  être mis  en  œuvre.       
Il est prouvé que les crimes dont le Rif fut victime  (population et environnement), étaient généralement commis à l’occasion d’attaques généralisées et systématiques par la France et l’Espagne  pour des considérations  politiques,  au moyen  d’armes non classiques, à savoir les gaz toxiques, prohibés par le droit international (coutumier et conventionnel)  en vigueur à l’époque : Conventions de La Haye de 1899 et 1907, le Protocole de Genève de 1925.
 Dès lors, nous étions ainsi amenés à vérifier si les «faits illicites», commis à l’occasion de la guerre du Rif, sont générateurs de la responsabilité internationale et administrative des Etats ?
Les notions de dommage et de réparation furent abordées dans le but d’attirer l’attention sur une période historique relevant du passé ayant entraîné des effets qui, au vu de leur gravité, ne pourraient être soumis à l’oubli, du fait même qu’il s’agit d’un «fait criminel» continu non couvert par la prescription.
 Les «faits illicites», reprochés aux deux puissances protectrices (France et Espagne), suscitent d’importantes  questions liées à la charge de preuves, à l’imprescriptibilité,  au droit applicable et  aux juridictions compétentes  (nationales ou internationales).
 Qui serait habilité à porter plainte ou engager des actions ? De quelle nature seraient-elles, individuelles ou collectives ? A qui incombe la réparation des dommages? Selon quelles modalités ?
 A toutes ces interrogations, on ne pourrait faire l’économie d’une étude plus au moins détaillée de sous-aspects en  référence au droit, à la jurisprudence et à la doctrine.
Pour ne citer que la France, puissance impliquée dans la guerre du Rif, le droit français ne reconnaît pas les crimes de guerre, principe inspiré de la doctrine militaire française, en raison  sans doute  de  son passé colonial.  
Après  définition et énumération  des crimes internationaux  comme  champ d’étude limité expressément  aux crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crime d’agression.   J’ai procédé à l’analyse des instruments de répression des crimes internationaux  sur les plans national et  international.
 Il importe de noter qu’il n’existe aucune définition du crime international, officiellement reconnue. Le crime international est qualifié comme tel pour deux raisons : la première réside dans son incrimination par un texte international, la seconde dans l’atteinte portée par ce crime à la communauté internationale.
 Ensuite, on s’est interrogé si les actes militaires constituent des crimes internationaux. Si tel est le cas,  à qui doit-on  les imputer? A l’Etat ou aux individus? Ou bien à l’Etat et  aux individus ? Sont-ils imprescriptibles? Quel en est le droit applicable?
 Sachant tout de même que ce sont les individus et non des entités abstraites qui commettent des crimes internationaux,  quoique généralement pour le compte des Etats. Seules les personnes physiques peuvent comparaître devant une juridiction pénale internationale ou nationale, l’Etat entité abstraite, ne pourrait être condamné pénalement. Or, la responsabilité pénale internationale des auteurs d’un fait illicite n’exclut pas la responsabilité de l’Etat.
 Nous avons signalé, au passage, que les responsables de ces crimes collectifs ou crimes de masse (maréchaux, généraux et soldats), sont tous morts. L’objectif que nous nous sommes fixé ne se contente pas d’en déterminer la responsabilité pénale individuelle d’un quelconque responsable, mais surtout identifier, sur la base de crimes  de guerre et  de crimes contre l’humanité, la responsabilité de l’Etat, comme étant des faits générateurs de cette responsabilité étatique pour faute de service. Les actes reprochés à l’Espagne et à la France, sont des agissements des services publics (les armées), constituent a fortiori des fautes de service ; la responsabilité des Etats est donc est évidente.  Elle est susceptible d’une double qualification : internationale et administrative. La responsabilité de l’Etat, qu’elle soit administrative ou internationale, répond à un schéma identique. Dans le cas des crimes de droit international, la responsabilité de l’Etat n’est pas exclue en droit administratif.
 
Construction de la
problématique
Monsieur le Président, Messieurs les membres du jury
A ce niveau, nous avons mis l’accent sur les traits caractériels de la guerre du Rif,  la situation politique et socio-économique de la zone du Rif précolonial, et les changements survenus autant pour le Maroc que pour le Rif.
Nous avons relevé que sur le plan politico-institutionnel, l’autorité du pouvoir central affaibli, constamment confronté aux luttes internes, ne pouvait s’exercer sur l’ensemble du territoire marocain. En effet, le pouvoir, de manière continue, disputé, voir partagé avec un autre sultan concurrent déniant la légitimité du trône du sultan en place. Parallèlement, nous avons signalé la dualité socioéconomique du Maroc précolonial caractérisé par deux modes de production : un mode de production Makhzen et un mode de production communautaire ( Qbila).
Le processus de colonisation du Maroc se présente sous un double aspect: l’aspect pacifique qui consiste en une incursion économique et celui  militaire. Suite à quoi furent occupées par la France en 1907 les villes d’Oujda et de Casablanca. Celle de Fès interviendra quatre ans plus tard, le 4 Mai 1911.  
En revanche, l’Espagne, hormis quelques territoires occupés  dans la zone Nord, n’arrivait pas à soumettre le Rif sous son hégémonie. Elle s’est heurtée, à partir de 1909, à une résistance  déterminée  de tribus rifaines.  
Sous la conduite de Mohammed Abdelkrim El Khattabi, la résistance rifaine réalisa au cours de l’année 1921 de nombreuses victoires. Elle remporta le 31 mai de la même année , la bataille à Dhar Oubarane, suivie de celle d’Ighriben le 20 juin 1921. Quant à la bataille d’Anoual, survenue le 21 juillet 1921, l’armée espagnole y connut une véritable déconfiture.
Au congrès général des chefs de tribus rifaines tenu à Tafrssite juste après le désastre d’Anoual, Mohammed Abdelkrim El Khattabi  sera à l’unanimité élu  chef  de la jeune «République du Rif « autoproclamée.  Reconnu  «leader» par le  monde islamique,  fut  invité  ès qualité au congrès du Caire  tenu a la fin de 1925, et par Ibn Saoud à titre  de  «Souverain « du Maroc au congrès de la  Mecque.  Le Rif connut alors, sur les plans politique et militaire un  changement profond.  De la « guerre civile », il passa à l’unité et  à la résistance armée.   
 L’année 1924 fut fatale pour le Rif. L’Espagne, pour venir à bout de la résistance rifaine, n’eut aucun scrupule à faire usage intensif et multiple d’armes chimiques ; les aviateurs (Français, Espagnols, Américains, Belges et Italiens)  n’ont épargné ni villages, ni souks de femmes.
 Après une courte trêve, une double offensive intervient après l’échec des pourparlers de paix au congrès d’Oujda en avril-mai 1926 entre la délégation rifaine et les représentants de la coalition franco-espagnole ; la paix fut impossible. La guerre reprit, les deux puissances protectrices du Maroc officiel  mobilisèrent 800.000 soldats, 60 généraux, 32 divisions et 44 escadrilles d’aviation.   Abdelkrim  fut contraint à  la reddition aux Français, survenue le 26 mai 1926 suite à l’»aman « (engagement, sécurité) du colonel Corap au chérif Hmidou l’Ouazzani, consacrant  la fin de la jeune «République du Rif» restée  présente dans l’histoire et la mémoire collective. L’usage d’armes chimiques dans la guerre du Rif est  une réalité incontestable, ne pourrait être occultée, ni par la l’Espagne, ni par la France,  et encore moins par le Maroc officiel.
 Nous avons tenu à préciser que l’OMS avait d’ores et déjà confirmé que la plupart des agents chimiques létaux (ypérite et phosgène) utilisés au cours de la Première Guerre mondiale étaient des irritants pulmonaires. Les personnes exposées à l’ypérite ne pouvaient alors échapper à leurs effets cancérigènes. Le taux de mortalité (80%) par cancer du poumon et de la plèvre relevé chez les anciens prisonniers de guerre britanniques intoxiqués par l’ypérite pendant la première guerre mondiale 1914-1918, ont à tout jamais, imprégné la mémoire collective.     
Il apparaît que les faits reprochés à l’Espagne et la France ont été commis pour des fins politiques en temps de guerre. Ce sont donc des violations graves  dirigées contre la zone du Rif,  qualifiées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ; considérées comme infractions internationales, imprescriptibles.    Le Rif a subi un dommage collectif, né d’un fait illicite de guerre chimique susceptible d’engager la responsabilité internationale  comme administrative des deux Etats.  A ce propos, nous avons  envisagé que les victimes potentielles des actions en réparation, sont l’Etat qui pourrait exercer une requête étatique devant la CIJ (la protection diplomatique), et le groupe d’individus (associations) qui pourrait également présenter une action collective par la saisine de la juridiction administrative.
 Après avoir, examiné dans un chapitre préliminaire, le contexte politique et socio-économique du Rif, avant et  pendant le Protectorat, et les faits liés à la guerre du Rif  allant jusqu’à 1926;  nous  sommes entrés dans le vif du sujet divisé  en deux parties.
Pour plus d’éclairages, nous avons consacré la première partie aux crimes internationaux. Nous y avons traité et analysé les crimes de guerre, le crime d’agression et les crimes contre l’humanité au vu du droit international et du droit interne, la démonstration de leur interdiction et leur incrimination. Il s’agit des crimes qui concernent, plus particulièrement, les violations massives des droits de l’Homme et du droit humanitaire. Nous avons aussi, démontré que le conflit armé survenu au Rif relève d’un conflit armé international et les résistants rifains ont le statut de combattants. Ainsi, nous avons rappelé  que la qualité du mouvement de libération nationale est avant tout la représentativité d’un « peuple » au nom duquel la lutte est engagée contre l’occupation partielle ou totale.
Quant à la deuxième partie, nous nous sommes fixés comme objectif de résoudre les problèmes  d’ordre juridique relevés tant au niveau de la forme (conditions de recevabilité)  qu’au niveau contenu ayant trait aux actions d’être engagées par les victimes contre les Etats responsables des infractions commises lors de la guerre chimique contre le Rif (1921-1926) ; ce qui revient à définir le statut des victimes gazées à partir du droit international humanitaire, du droit international public et du droit national.  Ainsi, l’écoulement du temps n’affecte pas la mise en exercice des enquêtes et des poursuites judiciaires. En droit international public, comme en droit administratif, un des crimes internationaux peut faire l’objet d’une qualification multiple : pénale, administrative et internationale. L’affaire des victimes de la guerre du Rif peut donc être élevée au rang international par l’exercice de la procédure de la protection diplomatique, que l’Etat marocain doit endosser ; mais les chances sont probablement très faibles en l’espèce, les intérêts politiques rendent difficile une telle motivation. Les victimes peuvent s’émanciper de la « tutelle » étatique pour les représenter internationalement devant la CIJ, le recours à la saisine de la juridiction administrative nationale paraît plus prometteur et mériterait une attention particulière.
(A suivre...)


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