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Le Ramadan à tout prix : La puissance de frappe est colossale, les porte-monnaies explosent littéralement


A. Bennani (Stagiaire)
Mardi 13 Juin 2017

Le mois sacré devient de plus en plus une période commerciale intensive. Les consommateurs, sous l’effet de la pression sociale et publicitaire, ont du mal à maintenir un comportement d’achat responsable. Pour beaucoup, le Ramadan a une triste saveur, tandis que la société de consommation paraît être frappée par la grâce divine.
Comme tous les ans, en cette même période ramadanesque, le ministère chargé des Affaires générales et de la Gouvernance rassure les citoyens quant à l’approvisionnement en denrées alimentaires, qui sera «au-dessus de la demande», et promet également des prix «raisonnables» avec un contrôle continu. Mais dès les premiers jours du mois sacré, les magasins affichent clairement leurs couleurs. A part les produits de première nécessité, les promesses «raisonnables» prennent la tangente, et les prix l’ascenseur. Les salaires, quant à eux, maintiennent leurs positions.
Il est 16H, nous sommes allés à la rencontre de quelques consommateurs. C’est le sixième jour du Ramadan, et faire ses courses pendant cette période coûte cher. Tel est le constat de bon nombre de personnes. Et pour cause, bien que les prix des produits de consommation courante soient restés stables, ceux des autres denrées qui viennent farcir le panier de la ménagère ne cessent de grimper au plus haut, car certains commerçants abusent.
C’est l’avis de ce couple sorti s’approvisionner pour la troisièmes fois depuis le début du Ramadan «Tout au long de l’année, on a une maîtrise stricte de notre budget, mais quand on a des enfants qui jeûnent pour la première fois, il nous est difficile de les priver; nous sommes affaiblis devant autant de choix, et les prix ne suivent aucune logique, surtout dans les magasins de quartier».
Dans le commerce actuel, les prix de tous les produits de base, considérés comme importants du point de vue social comme le sucre, le lait, les céréales, etc, sont fixés par le gouvernement. Concernant les autres produits dérivés de lait, viandes, poissons, boulangeries et autres, « les prix sont déterminés en fonction du pouvoir d’achat de la population tout en favorisant un prix suffisamment rémunérateur aux producteurs locaux». Mais aucune réglementation claire ne semble être suivie. Le «suffisamment» devient «excessif». Et bien que la loi impose au commerçant d’afficher les prix, plusieurs adoptent le principe du «prix variable», rien de compliqué, c’est  «le prix à la tête du client». Les agents de contrôle des prix ne pouvant être partout, ces spéculateurs persistent et signent et cette pratique discriminatoire prend ses aises au grand dam des citoyens.
Très souvent les finances ne suivent toujours pas, comme c’est le cas de Ali, père de quatre enfants, pour qui, faire des courses vire au cauchemar: « C’est simple, ce mois devient pour moi un enfer, je n’ai pas les moyens d’acheter tout ce que veulent mes enfants, d’ailleurs c’est le seul mois de l’année où je ne les emmène jamais faire des courses et c’est le seul mois où j’emprunte de l’argent pour la nourriture ». Quoi qu’on en dise, les gens à petits revenus vivent cette période dans un malaise certain. Cependant, le gouvernement met en place des mesures contre l’inflation, afin que les familles les plus pauvres se sentent le moins possible exclus du banquet.  Dans ce même esprit, l’opération «Ramadan 1438» mobilise 55 millions de dirhams au bénéfice de 473.900 ménages.
D’après une étude réalisée par le Haut-Commissariat au plan, les ménages, pendant le seul mois de Ramadan, dépensent plus d’un tiers de plus en alimentation, toutes catégories sociales confondues. Ce qui représente une augmentation de près de 37% de plus que les autres mois de l’année. Toujours selon les statistiques, 82% des salaires sont dédiés au panier alimentaire.
Et pour ceux ou celles qui essayent de maîtriser leurs achats comme Najoua, mère de trois enfants, ils n’y arrivent pas malgré beaucoup d’efforts. « J’ai essayé de faire des ftours plus conventionnels, mais ça ne passe pas. C’est toute l’ambiance qui est autour qui nous harcèle de la sortie du bureau jusque  dans nos tagines », avoue-t-elle. Même le fait maison revient cher pour Najoua, tellement les nouvelles tendances culinaires influencent nos menus. Pour elle, comme pour beaucoup d’autres, la note du mois saint sera salée. Le mois sacré devient de plus en plus une période commerciale intensive; les consommateurs, sous l’effet de la pression sociale et publicitaire, ont du mal à maintenir un comportement d’achat responsable. Pour beaucoup, le Ramadan a une triste saveur. Tandis que la société de consommation paraît frappée par la grâce divine.
Tous les ans,  le citoyen se saigne aux quatre veines. Et ceci bien malgré lui. A peine sorti du travail, qu’il se retrouve pris en otage dans un champ de bataille publicitaire féroce, qui le harcèle jusque dans l’intimité de son foyer, et devant lequel il reste désarmé. A l’heure même du ftour, alors qu’il allume la télévision censée le distraire et l’instruire (pourquoi pas ? mais c’est un autre sujet), voilà que la publicité s’invite à sa table, ce matraquage télévisuel ne lui laisse aucun choix autre que d’acheter plus, particulièrement quand il s’agit de famille avec de jeunes enfants. La télévision devient  un allié puissant pour la vente.
L’investissement total du marché d’achat d’espace publicitaire au Maroc est aux alentours de 3,4 milliards de dirhams dont près de 30% rien que pour la télévision. Pendant le Ramadan, le chiffre augmente. Un spot de 30 secondes diffusé au moment de grande audience comme l’heure du ftour, reviendrait à plus de 120.000 DH en fonction des chaînes. Certaines marques de soda, que je ne citerai pas, nocives pour la santé des enfants dépensent plus de 4,5 millions de dirhams en publicité télévisée uniquement pendant ce mois-ci. La télévision devient un simple outil de vente.
En ce siècle de haute technologie, la publicité utilise des méthodes redoutables pour vendre, basées sur des procédés scientifiques qui ne sont plus à prouver. Des sommes vertigineuses sont investies en marketing. Charmer et vendre devient quasi-obsessionnel. Des denrées, il y en a plus que la demande, ne l’oublions pas, car c’est vers la surconsommation que nous orientent désormais nos sociétés modernes. Rappelons également que parmi la commission interministérielle en charge de ce mois sacrément lucratif, on trouve le ministère de l’Economie et des Finances, le ministère du Commerce, de l’Industrie, de l'Investissement et de l'Economie numérique. La puissance de frappe est colossale, les porte-monnaies explosent littéralement.
Bien avant le Ramadan, le réseau tentaculaire de la société de consommation s’agite bruyamment pour attirer l’attention du citoyen. Ou plutôt la détourner de la noble philosophie du mois sacré, un mois de Lumière censé rayonner dans notre société et nos cœurs, qui nous invite à l’abstinence, l’humilité, l’examen de conscience, la paix et au partage. La réalité est pourtant tout autre. L’abstinence se transforme en abondance, l’humilité en orgueil, l’examen de conscience en dissimulation, le partage en égoïsme, la paix en vraie razzia. Le corps et l’esprit  censés s’apaiser souffrent par nos excès. Le Ramadan prend pour beaucoup la triste saveur d’une défaite spirituelle, physique et morale rongée par une maladie qu’on appelle « consommation ».


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