Le Professeur Ahmed Iraqi : La carte sanitaire, un indicateur de développement durable


Propos recueillis par B.M
Vendredi 26 Septembre 2014

Le Professeur Ahmed Iraqi : La carte sanitaire, un indicateur  de développement durable
S’il y a une institution dont l’interrogation sur la dynamique du système de santé est indispensable, c’est bien de la Société 
marocaine des sciences médicales (SMSM) qu’il s’agit. Car c’est une institution qui ne porte certes cette 
dénomination que depuis 1981 mais qui demeure inscrite dans la vocation de la société d’hygiène, créée en 1921 
et des sociétés de médecine et de chirurgie créées après l’indépendance du pays.
Et pour ne citer que ses principaux éléments, on retiendra sa forte contribution  lors de ses congrès nationaux et de sa participation active 
à l’organisation annuelle du Congrès maghrébin, à la couverture médicale de base, à l’assurance maladie ou encore à l’interaction 
santé-environnement.
A ce propos, on retiendra  en 1997 l’honneur qui lui a été fait par la présidence effective de son 16ème congrès national par 
Sa Majesté le Roi Mohammed VI alors Prince héritier et qui a inauguré la manifestation par la lettre adressée par Feu S.M le Roi Hassan II. 
De plus, elle continue d’agir dans le sens du développement des sociétés médicales de spécialité, de la promotion des jeunes chercheurs 
et de la recherche médicale, et dans le rayonnement de la médecine marocaine à l’échelon international.
Et c’est pour des raisons d’intérêt national que nous saisissons l’occasion de l’organisation sous le Haut patronage de Sa Majesté le Roi 
Mohammed VI, les 26 et 27 septembre 2014 à Casablanca, de son 31ème Congrès national pour poser des questions sur le thème principal 
retenu «La carte sanitaire et l’accès aux soins» à l’un de ses post-présidents, le professeur Ahmed Iraqi.

 
Libé : Monsieur le professeur, en quoi la carte sanitaire préoccupe-t-elle le corps médical ?
 
Le Pr. Ahmed Iraqi : La carte sanitaire préoccupe le corps médical autant qu’elle préoccupe le reste des citoyens, pour des raisons essentielles. Premièrement, c’est l’indicateur de l’accès géographique et physique non seulement aux soins mais aussi et plus globalement aux services communautaires de base. Deuxièmement, c’est l’un des reflets fidèles des performances et des faiblesses du système de santé. Troisièmement, ce sont en principe les éclairages apportés par son devenir qui fondent l’actualisation et/ou les réformes relatives au système de santé.
 
Mais comment se présente-t-elle alors ?
 
Le constat dressé à la veille de l’indépendance par de nombreux experts reste, il faut le souligner d’emblée, identique à lui-même jusqu’en 2014. Ce constat s’articule autour :
- Premièrement, de la majoration des disparités d’accès aux services communautaires de base ;
- Deuxièmement, de l’insuffisance globale des budgets mobilisés pour la santé ;
- Troisièmement, de l’inadéquation des moyens mis en œuvre avec les besoins de l’immense majorité des populations.
De manière progressive, mais surtout depuis une vingtaine d’années, ces tendances se confirment, et ce pour une double raison.
D’une part, les intervenants et les usagers du système de santé s’accordent sur la priorité du comblement des lacunes, c’est-à-dire de la réparation des préjudices portés à la santé et à l’environnement. D’autre part, il n’est plus question à l’échelon institutionnel que de l’adéquation avec les normes de la mondialisation culturelle et de la globalisation économique, l’ensemble débouchant sur la mise en avant des besoins communautaires des soins curatifs qui sont certes attrayants mais tardifs et de plus en plus coûteux.
C’est ainsi que les plus vulnérables s’enfoncent dans la précarité  sanitaire et environnementale  dans particulièrement mais non exclusivement les zones enclavées.
 
Tout en reconnaissant cela, certains, y compris parmi le corps médical, n’hésitent pas à le lier à la crise économique et donc au financement.
 
Le lien entre l’économie et la santé est indéniable. Mais pour aller de l’avant, il ne faut surtout pas compter sur la relance spontanée de l’économie pour financer la santé qui demeure certes le but mais aussi et surtout le moyen du développement. Le Maroc n’a d’ailleurs aucune chance de s’en sortir par le fondement de son approche sur la comptabilité. Car c’est un pays dont la totalité du PIB (3000$ par hab. et par an) n’atteint pas 35% de la dépense globale de santé aux Etats-Unis d’Amérique (8534$/hab/an avec 50 millions/300 millions d’exclus de l’accès financier aux soins en 2010).
Tout converge d’ailleurs, y compris dans les sociétés d’abondance, pour dire de la marchandisation en vigueur antinomique non seulement de la promotion de la santé mais aussi du développement. C’est ce qui est du reste confirmé depuis la dernière faillite bancaire de 2008 par l’installation du monde dans une récession hautement préjudiciable pour les questions sociales.
Et ce n’est en tout cas pas avec une dépense globale de santé de 1450 DH/hab/an (2% de la dépense américaine) que le Maroc pourrait même en la doublant résoudre ses problèmes d’accès aux soins et encore moins de promotion de la santé.
 
Mais comment s’en sortir ?
 
En revenant à la raison.
 
C’est-à-dire quoi ?
 
Quelle que soit la dimension (spatiale, sociale, économique ou financière) de l’inaccessibilité aux facteurs de promotion de la santé, sa profondeur est stratégique. Au Maroc, il n’y a pas que l’anarchie de la carte sanitaire qui ronge le système de santé. On retiendra aussi à  travers le devenir de l’assurance-maladie obligatoire (difficulté d’intégrer plus du tiers de la population à un système hautement défaillant à l’échelon du remboursement des frais médicaux) ou du régime d’assistance médicale aux économiquement démunis (350 DH par bénéficiaire et par an), en plus des insuffisances des préventions profondes du principe de la mutualisation solidaire des risques.
A titre démonstratif, le remboursement de la Caisse nationale de sécurité sociale se limite au panier des affections de longue durée ou des maladies lourdes et coûteuses.
Et parce que ce remboursement se rapporte à une tarification de référence en deçà des frais engagés, à une liste restrictive d’actes et de médicaments remboursables et à la notion de ticket modérateur, il est conditionné par la contribution du patient. Or, c’est une condition souvent impossible à remplir par les plus pauvres qui cotisent mais sans, faute de moyens, bénéficier du remboursement tel qu’envisagé dans les textes d’application du régime. C’est en fait une solidarité du pauvre avec les moins pauvres et non pas comme prévu l’inverse.
 
Mais en quoi consiste cette profondeur stratégique?
 
C’est d’après le cadrage institutionnel toujours en vigueur la profondeur définie au début du vingtième siècle par le Protectorat français.
A l’époque, le premier résident général de la puissance «protectrice» s’est appuyé sur la grande vulnérabilité sanitaire du pays pour reconduire une stratégie référée à trois objectifs : l’incitation à l’investissement étranger, la pacification du pays et la protection des autochtones en tant que main-d’œuvre. Ce haut responsable qui défendait en premier les intérêts de son pays n’hésitait pas à parler au plan de  la priorité du «Maroc utile». Et c’est dans cet élan que le système de santé s’est construit pour déboucher normalement sur une amélioration sélective de l’état sanitaire, mais aussi sur les tares constatées à la veille de l’indépendance.
Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut engager la responsabilité du Protectorat. En revanche, il n’y a aucun doute sur au moins la perception de l’approche retenue depuis notre indépendance. C’est  ce qui est particulièrement illustré aujourd’hui par la majoration non seulement des disparités d’accès géographique, physique, économique et financier aux soins mais aussi du risque de maladie et des difficultés de dépense à une demande et surtout à des besoins réels de santé.
 
Quelle profondeur stratégique préconiser ?
 
La profondeur du développement durable, c’est-à-dire comme il est défini depuis 1987 dans le rapport de la présidente du «Forum mondial de l’environnement».
 
Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ?
 
Le développement durable est défini comme «le développement permettant la satisfaction des besoins présents sans remettre en cause la capacité des générations futures à satisfaire les leurs».
La santé y prend place explicitement sous l’angle d’un but et d’un moyen. C’est dès lors la motivation de la mobilisation acquise. Une fois retenue cette vision, c’est la finalité même du système de santé qu’il revient de corriger avant d’ouvrir la voie d’une nouvelle approche des leviers les meilleurs à l’échelon politique, d’abord et de la gouvernance ensuite.
En rouvrant le dossier de la carte sanitaire, le corps médical prend ses responsabilités. Il va de soi que sa contribution consiste en l’éclairage des autres parties, à commencer par les grands décideurs mais sans oublier les gouvernés, sur l’option salvatrice à prendre. Certains des chantiers le concernent directement en grande partie. Parmi ceux-ci, on retiendra particulièrement l’impératif d’une actualisation et d’une validation des réponses apportées à l’éthique, à la déontologie, à la formation, à la formation continue, à la recherche scientifique et au rôle du médecin et des autres professionnels de santé en tant qu’acteurs des changements à entreprendre.
Mais quoi qu’il en soit, le débat sur la carte sanitaire sera, j’en suis sûr, fructueux, car il amènera les participants à sa tenue d’une manière ou d’une autre à traiter de ses aboutissants en fonction de ses tenants. Mais ce n’est pas pour autant qu’il sera clos. 


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