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“Le Printemps arabe” ou la naissance d’une tragédie historique


Par Mohammed Abbou
Mardi 25 Novembre 2014

“Le Printemps arabe” ou la naissance d’une tragédie historique
Depuis décembre 2010 jusqu'à nos jours, nous nous sommes réjouis et nous avons, avec le monde, célébré la fin des dictateurs et leurs régimes. Des vagues protestataires ont secoué l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Ces protestations ont commencé à Sidi Bouzid, en Tunisie. Quand la marchandise d’un jeune vendeur ambulant, Mohammed Bouazizi, a été confisquée, ce pauvre s’est immolé par le feu en signe de protestation. Un acte symboliquement violent et nul ne pouvait imaginer l’impact de son geste : la mort par immolation. En effet, une situation économique intenable, le chômage, la pauvreté, la répression policière et l’autoritarisme politique, autant de facteurs qui pouvaient expliquer son geste. Avec surprise, nous avons assisté à l’amplification du phénomène surtout  que les semaines  d’après, ont bouleversé le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et le monde entier.
De la Tunisie à Bahrein, en passant par le Yémen, la Syrie, la Libye, le Maroc, des hommes et femmes, de tous niveaux sociaux, de toutes religions et de toutes cultures et de façon non violente, sont descendus dans les rues pour protester contre les conditions sociales et économiques, la corruption économique, et exprimer leur rejet de la dictature. Dès lors les appellations et les interprétations diffèrent. 
D’aucuns y voient la naissance d’une ère nouvelle, d’un changement radical entre le passé et l’avenir de ces pays et n’hésitent point à parler de «révolutions», d’un «Printemps arabe» ou encore d’un «Printemps démocratique» et de  «révolutions de dignité» à l’instar des révolutions européennes du passé. D’autres, plus prudents, parlent de «soulèvements populaires» en passe de transformer les réalités politiques de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient sans que l’on puisse déjà dire s’il s’agit d’un réel renouveau. D’autres n’y croient pas ; ils pensent tout simplement que ces mouvements sont manipulés et téléguidés par l’étranger et  assurent que ces mobilisations ne seront qu’une phase de transition vers un nouveau type de domination et de contrôle par les grandes puissances (l’Occident). Les interprétations sont donc diverses et contradictoires concernant ces soulèvements, de la façon même de les nommer ou de les interpréter. Ainsi si l’on veut comprendre de quoi il s’agit dans ces sociétés majoritairement musulmanes, une prudence quant à l’analyse des faits et à la compréhension doit s’imposer. Ce qui implique d’éviter l’idéalisme de ceux qui sont aveugles aux manœuvres politiciennes et de ceux qui n’interprètent pas l’Histoire et ses imbrications.
Aujourd’hui, il importe d’étudier les évolutions récentes dans ces pays en ébullition, tout particulièrement en nous limitant aux expériences tunisienne, libyenne, égyptienne et syrienne. Plusieurs questions demeurent ouvertes : ces mouvements populaires sont-ils achevés? Ont-ils atteint leurs objectifs? Les peuples ont-ils réalisé leurs aspiration? 
A l’analyse des faits, il nous paraît comme d’ailleurs pour les observateurs avertis que le terme «révolution» est quelque peu excessif. Ces révoltes ne peuvent donc être qualifiées de spontanées, de même qu’elles ne sont pas nées de rien. Depuis 2003, on entendait parler de la nécessaire démocratisation des pays de l’ANMO. Ensuite dès 2004, des séminaires de formation à la mobilisation non violente, financés par l’administration américaine, sont offerts à de jeunes cyberdissidents des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Le moins que l’on puisse dire alors qu’il n’existe pas de démocratisation réelle est que derrière la célébration des droits humains, des valeurs de liberté, de dignité et de lutte contre les dictatures, il est question de mainmise économique, de contrôle des ressources pétrolières et minières et de calculs géostratégiques. Comment comprendre donc le silence sur la répression farouche en Syrie ? Comment saisir le silence de l’O.N.U et de la communauté internationale au moment où une répression féroce s’est généralisée et l’armée n’hésite pas à tirer sur des civils? Il faut ajouter dans ce sens que Noam Chomsky était sage et lucide quand il a affirmé que les Américains ne laisseront jamais les processus de démocratisation aller à leur terme; il a raison aussi d’assurer que l’enjeu est grand et les conséquences trop dangereuses.
Il importe de nous rappeler qu’en politique il n’y a pas de place pour la naïveté. Aujourd’hui, les peuples (cas de Syrie, Libye et Egypte) sont victimes  à la fois des pseudo-régimes résignés et cruels et de calculs économiques très cyniques des grandes puissances internationales. Depuis la fin de 2010, les peuples, réunis, il faut ici saluer leur courage d’avoir surmonté la peur et bravé la terreur, ont fait entendre la voix de l’aspiration humaine et universelle à la liberté, à la justice et à la dignité…Ils ont choisi la voie de la résistance, du sacrifice et de la libération par la non-violence. Malheureusement, rien n’est gagné, ni en Tunisie, ni en Egypte, ni en Libye ni ailleurs. La situation est si confuse et assez inquiétante; personne ne sait exactement ce qui est en train de se passer dans ces pays aspirant à l’amélioration de leurs conditions socioéconomiques.
Au demeurant, pour ne pas répéter les tragédies historiques comme le scénario irakien, ces peuples ne devraient pas abandonner; ils devraient être conscients du fait que les droits démocratiques ne peuvent être donnés, ils doivent être gagnés. Ils devraient également espérer que les mouvements pour la libération ne s’arrêteront pas là et qu’ils poursuivront leur marche pour parvenir à se libérer complètement des tyrans, s’opposer à l’attitude hypocrite des grandes puissances et pouvoir finalement accomplir une libération totale.

 * Professeur à la délégation 
de Ouarzazate.


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1.Posté par yassine le 18/07/2021 11:27 (depuis mobile)
une analyse très profonde.

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