Le Maghreb face à la problématique de la sécurité au Sahel et en Méditerranée


Par Dr Abderrahmane Mebtoul Expert international, professeur des Universités en management stratégique (Algérie)
Jeudi 5 Mars 2015

Le Maghreb face à la problématique  de la sécurité au Sahel et en Méditerranée
Privilégiant en premier lieu ses intérêts stratégiques, partie prenante du dialogue méditerranéen (DM), le Maghreb se doit d’agir en fonction d’un certain nombre de principes et à partir d’une volonté avérée de contribuer à la promotion de la sécurité et de stabilité dans la région que ce soit dans le cadre d’une coopération avec l’Otan, en fait avec les USA, ou avec les structures de défense que l’Union européenne entend mettre en place, également avec la Russie et la Chine pour ne citer que les principaux acteurs mondiaux. Les derniers évènements au Sahel, faute d’une coordination, montrent son incapacité à agir sur des évènements majeurs. 
La fin de la guerre froide marquée par l’effondrement du bloc soviétique et les attentats survenus aux Etats-Unis le 11 septembre 2001 représentent un tournant capital dans l’histoire contemporaine. Le premier évènement marque la fin d’un monde né un demi-siècle plus tôt et la dislocation d’une architecture internationale qui s’est traduite des décennies durant par des divisions, des déchirements et des guerres que nous savons. 
Aujourd’hui, les menaces sur la sécurité ont pour nom terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, crises régionales et délitement de certains Etats. Or, les défis collectifs, anciens ou nouveaux, sont une autre source de menace : ils concernent les ressources hydriques, la pauvreté, les épidémies, l’environnement. Ils sont d’ordre local, régional et global. Entre la lointaine et très présente Amérique et la proche et bien lointaine Europe, entre une stratégie globale et hégémonique, qui possède tous les moyens de sa mise en œuvre et de sa projection, et une stratégie à vocation globale qui se construit laborieusement et qui peine à s’autonomiser et à se projeter dans son environnement géopolitique immédiat, quelle attitude adopter et quels choix faire pour le Maghreb ? Interpellé et sollicité, le Maghreb s’interroge légitimement sur le rôle, la place ou l’intérêt que telle option ou tel cadre lui réserve ou lui offre, qu’il s’agisse du dialogue méditerranéen de l’Otan ou du partenariat euro-méditerranéen, dans sa dimension tant économique que sécuritaire. L’adaptation étant la clef de la survie et le pragmatisme un outil éminemment moderne de gestion des relations avec autrui, le Maghreb devant faire que celui que commandent la raison et ses intérêts. 
C’est dans ce cadre que doit être placée la stratégie du Maghreb dans le dialogue méditerranéen de l’OTAN. Le cadre défini au sommet de l’Otan de promouvoir le dialogue méditerranéen de l’Otan au rang de «véritable partenariat», (le même sommet d’Istanbul faisant une offre de coopération à la région du Moyen-Orient élargi qui est adressée aux pays qui le souhaitent, ceux qui sont membres du Conseil de coopération du Golfe étant cités explicitement) ambitionne de contribuer à la sécurité et à la stabilité de la région méditerranéenne par le truchement d’un certain nombre d’actions au nombre de cinq qui se veulent complémentaires avec d’autres actions internationales : 
a.- le renforcement de la dimension politique du dialogue méditerranéen avec l’Otan ; 
b.- l’appui au processus de réformes de la défense ; 
c.- la coopération dans le domaine de la sécurité des frontières ;
d.- la réalisation de l’interopérabilité ; 
e- la contribution à la lutte contre le terrorisme. 
L’objectif poursuivi par l’initiative d’Istanbul est de renforcer la sécurité et la stabilité par le biais d’un nouvel engagement transatlantique en fournissant un avis adapté sur la réforme de la défense, l’établissement des budgets de défense, la planification de la défense, les relations civilo-militaires et l’encouragement de la coopération entre militaires afin de contribuer à l’interopérabilité; lutter contre le terrorisme par le partage de l’information, la coopération maritime, lutter contre la proliférations des armes de destruction massive et contre les trafics. Face à ces propositions quelle est l’attitude des pays du Maghreb devant consolider l’intégration maghrébine pour devenir une entité économique fiable au moment de la consolidation des grands ensembles ? 
Les menaces qui pèsent sur les peuples et leurs Etats et les défis collectifs qui leur sont lancés doivent amener les pays du Maghreb à se doter d’une politique extérieure globale des enjeux, des problèmes et des crises que connaît le monde et à déployer leurs capacités, leurs moyens et leur savoir-faire dans une logique de juste et fécond équilibre. 
Le dialogue et la concertation entre les peuples et entre les acteurs sont la clef et en même temps la meilleure des garanties pour instaurer la paix et la stabilité de manière juste et durable. C’est sur cette base que, me semble-t-il, que les pays du Maghreb doivent s’engager dans le dialogue méditerranéen de l’Otan et dans d’autres initiatives régionales ou sous-régionales notamment européennes. Car face à l’Otan, existe une volonté politique de l’Union européenne d’avoir une stratégie de défense et de sécurité qui concerne le Maghreb. 
Sur le plan militaire et géostratégique c’est à travers les activités du Groupe dit des «5+5» que peut être appréciée aujourd’hui la réalité d’une telle évolution. C’est que la lecture que font les Européens des menaces et défis auxquels le monde et notre région sont confrontés repose essentiellement sur la nécessité de développer ensemble une stratégie de riposte collective et efficace concernant notamment le terrorisme international, le trafic des êtres humains et la criminalité organisée à travers la drogue et le blanchissement d’argent. 
Par ailleurs, selon la Commission de Bruxelles et le Parlement européen entre l’Europe et le Maghreb, et plus globalement l’Europe et la zone Méditerranée, l’Europe et l’Afrique, il s’agit de faire bloc, de rapprocher les Européens et leurs voisins immédiats. 
Pour le cas du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie qui ont signé l’Accord de libre-échange avec l’Europe, en matière de défense et de sécurité, des consultations relatives à la mise en place d’un dialogue entre le Maghreb et l’Union européenne ont lieu sous forme de consultation informelles et de réunions formelles. Mais il serait souhaitable d’avoir des clarifications portant sur deux questions jugées fondamentales : la valeur ajoutée de cette offre de dialogue par rapport au dialogue méditerranéen de l’OTAN et la coopération de lutte contre le terrorisme avec l’UE dans le cadre de la PESD.
D’une manière générale et au vu de ce qui se passe au Sahel, il y a urgence pour le Maghreb, par rapport aux nouvelles réalités mondiales, une stratégie d'adaptation. 
Pour ma part, lors d’un déplacement aux USA et au cours d’une rencontre avec un grand responsable au département du Trésor à Washington, j’avais émis cette hypothèse naïvement que  le Maghreb devait tirer profit des divergences entre la France et les Etats-Unis d’Amérique. Il m’avait répondu clairement : «Il n’y a parfois que des divergences tactiques de court terme mais aucune divergence stratégique entre les Etats-Unis d’Amérique et la France et plus globalement avec l’Europe». J’en ai tiré la leçon afin de comprendre les enjeux géostratégiques et j’ai été étonné que certains veuillent encore opposer les USA à la France sur le dossier du Sahel et notamment du Mali, se croyant encore aux années 1960/1970 de la confrontation des blocs. Cela aurait été une erreur de croire qu’au Conseil de sécurité, il y aurait une opposition de la Russie et de la Chine qui ont avalisé d’ailleurs l’intervention militaire française, n’ayant pas d’intérêts stratégiques dans la région, et également pour des raisons internes ne voulant pas être confrontées à des mouvements extrémistes islamistes en Tchétchénie en Russie et des centaines de milliers de musulmans en Chine. Il est entendu qu’à la fin de toute guerre, ce sera la diplomatie qui prendra la relève… D’autant plus que ce qui se passe au Sahel, aux portes du Maghreb, peut avoir des répercussions sur toute la région Europe/Afrique via le Maghreb, sans compter que bon nombre de familles notamment touaregs du Sud ont des liens étroits souvent familiaux avec les familles au niveau du Sahel et notamment au Mali. 
La situation actuelle au Sahel pose la problématique de la sécurité de l'urgence de l’intégration du Maghreb, la non-intégration  faisant  perdre  plusieurs points de croissance, condition de lutte contre le chômage,  le terrorisme se nourrissant  de la misère en se livrant au trafic de tous genres, rançons, drogue, armes, etc. Pour cela, des stratégies d’adaptation au nouveau monde pour le Maghreb sont nécessaires, étant multiples, nationales, régionales ou globales mettant en compétition/confrontation des acteurs de dimensions et de puissances différentes et inégales. 
Face aux menaces communes et aux défis lancés à la société des nations et à celles des hommes, les stratégies de riposte doivent être collectives. Cependant, dès lors qu’elles émanent d’acteurs majeurs et de premier plan, elles s’inscrivent dans une perspective globale et cachent mal des velléités car évoluant dans un environnement géopolitique régional que des acteurs majeurs façonnent aujourd’hui à partir de leurs intérêts et des préoccupations stratégiques qui leur sont propres. Cette région est l’objet de toutes les convoitises (notamment américaines via Europe/Chine) car incluse dans une sous-région qui n’en finit pas de vouloir se construire, au sein du continent Afrique qui est un enjeu géostratégique majeur au XXIème siècle avec plus de 25% de la population mondiale et d’importantes ressources non exploitées, sous réserve d’une meilleure gouvernance et d’intégration sous-régionale à l’horizon 2030, l’axe de la dynamisation de la croissance de l’économie mondiale devant se déplacer de l’Asie vers l’Afrique. 
Le Maghreb sous-segment de ce continent est appelé à se déterminer par rapport à des questions cruciales et de relever des défis dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils dépassent en importance et en ampleur les défis qu’il a eu à relever jusqu’à présent. 
Il y a donc urgence de l’instauration d’un Etat de droit tenant compte de son anthropologie culturelle pour l’ensemble des pays du Maghreb, supposant le développement des libertés politiques, sociales et économiques  dont la participation de la femme à la gestion de la cité signe de la vitalité de toute société. 
Devant laisser de côté  les problèmes politiques pour l’instant, l’on peut faire avancer cette intégration par des  synergies économiques comme cela s’est passé entre l’Allemagne et la France grâce au programme Schuman  du charbon et de l’acier. Les exemples sont nombreux entre tous les pays du Maghreb, la combinaison  du gaz  algérien  et  du phosphate marocain au moyen  de co-partenariats internationaux bien ciblés  permettrait de créer une des plus grandes entreprises  d’envergure mondiale d’engrais. 
A l’avenir, il y a lieu   de penser à  dynamiser la Banque maghrébine d’investissement, la création d’une monnaie maghrébine conditionnée par la   résolution de la distorsion des taux  de change  et la création d’une Banque centrale maghrébine   et  également penser la création d’une Bourse maghrébine qui devrait s’insérer à l’horizon 2020 au sein du projet  de création de la Bourse euro-méditerranéenne. Le Maghreb contribuera ainsi à la valeur ajoutée mondiale, devant éviter tant cette concentration injuste du revenu mondial (l’Europe et les Etats-Unis pour moins d’un milliard d’habitants sur les sept milliards qui peuplent la planète concentrent plus de 40% de la richesse mondiale) que le chauvinisme étroit qui sous-tend la protection d’intérêts rentiers occultes. 
La stabilité de l’ensemble de la région, notamment au Sahel, suppose une entente régionale et une coopération active avec l’ensemble de la communauté internationale, car le terrorisme est une menace planétaire. L’objectif stratégique  pour les Maghrébins est de rassembler et non de diviser, de réaliser ce vieux rêve d’intégration du Maghreb, afin d’éviter la marginalisation de cet espace stratégique au sein de l’économie mondiale. Certes, c’est encore un rêve, mais il est possible de le réaliser, tous ensemble, en dépassant les divergences conjoncturelles. 
Les défis sont nombreux et les obstacles ne sont pas à négliger mais la  société civile, les entrepreneurs ont un rôle stratégique à jouer pour dépassionner les relations. L’irrationnel, l’archaïsme, la défense des privilèges, la non-prise en compte des aspirations populaires sont les ingrédients d’un immobilisme anachronique à contre-courant de l’Histoire. 
La mondialisation nous réserve de mauvaises surprises. Grâce à ses importantes potentialités, elle peut devenir le pont entre l’Europe et l’Afrique et dynamiser les segments productifs complémentaires. L’Afrique qui devrait dynamiser l’économie mondiale à l’horizon 2030 est un enjeu majeur au XXIe siècle, préfigurant d’importantes mutations géostratégiques, avec le défi écologique et la transition énergétique. L’avenir du Maghreb est en termes d’avantages comparatifs en Afrique. La  diplomatie économique (sous-segment de la théorie  de l’intelligence économique)  doit investir dans cet espace,  le  Maghreb  ayant toutes les potentialités pour devenir un espace  pivot dynamisant et de stabilité pour la région.
 


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