La transition médiatique : Une nécessité impérieuse pour le Maroc


Par Abdessamad Bencherif - Journaliste et écrivain
Mercredi 24 Février 2016

Les moyens d’information sont un outil dangereux et déterminant entre les mains des régimes politiques et des grands groupes médias. Dans de nombreux pays, notamment arabes, souvent, la stabilité politique, économique ou sociale n’est que virtuelle, n’existant que dans les médias. Ces derniers se sont ingéniés pendant longtemps à organiser le black-out, à diffuser les sentiments de calme et de satisfaction publique, de cohésion entre citoyens et appareils de l’Etat, alors que les tempêtes politiques et l’effervescence démocratique ébranlaient de multiples régions du monde engendrant des faits nouveaux. Cette situation ne dura pas et progressivement on peut dire que les médias ont joué le rôle de sauveur et de libérateur.
 Par leurs capacités et leur force de frappe, ils ont contribué largement à désenclaver des peuples broyés par la machine de la séquestration, de la répression et de l’exclusion des centres de décision et de participation politique et institutionnelle
Dans le contexte du Printemps arabe qui s’est transformé en une grisaille générale   et en corrélation avec  la dynamique qui  a affecté plusieurs sociétés de la région et en interaction avec les demandes et les slogans scandés lors des manifestations qu’a connues  le Maroc à partir du 20 février 2011, et qui réclamaient  une profonde réforme de l’Etat et de la société, commençant par doter le  pays de médias publics à même de refléter les changements qu’il vit et qui ouvrent grandes les portes de l’espoir pour un Maroc qui respecte ses citoyens et qui instaure la justice, la fraternité, la solidarité et la démocratie, et à l’instar des dynamiques  qui ont secoué plusieurs sociétés arabes et qui ont obligé les médias officiels à couper avec les approches anti-professionnelles et anti-démocratiques, la société civile, la classe politique, les intellectuels  et les  acteurs des médias au Maroc  ont   affiché leur volonté de faire évoluer le rendement des médias publics à un moment critique où  les médias publics  ont été incapables d’accompagner les revendications de changement.
Cependant, on  constate  qu’au Maroc, la relative accumulation au niveau du pluralisme politique et médiatique, reflète une situation plus courageuse comparativement aux autres pays arabes. Les médias officiels au Maroc ont ouvert quelques brèches dans des périodes historiques précises. Mais la modernisation politique et économique qui s’effectue actuellement et depuis l'intronisation du Roi Mohammed VI le 30 juillet 1999 et l'arrivée au pouvoir du  parti de  l'Union socialiste des forces populaire et qui  était classé premier lors des législatives de novembre 1997 évolue à un rythme plus élevé que celui de la modernisation des médias. On peut parler actuellement de pluralisme, de démocratie, de réconciliation   avec le passé, de lutte contre la dépravation, de  tolérance, de religion, d’identité  et d’audace politique et intellectuelle. Autrement dit, on peut parler de tout ce qui a un rapport avec la pratique démocratique et politique. Il en est de même au niveau économique. Ainsi, nous sommes face à une culture et à des valeurs nouvelles. Nous sommes également confrontés à des approches et à des mécanismes d’analyse et de conception dépassant les données réelles et concrètes. Mais nos médias publics, TV et radios, d’après les observateurs locaux, conservent leur langue de bois et ne se sont pas ouverts aux changements. Parfois, on trouve un certain  espace pour aborder des questions sensibles liées aux préoccupations des citoyens.  Sachant que le contexte politique et social  de l’après  20 février  a obligé les télévisions publiques de traiter des thèmes tabous. Mais en général, des barrières et des régressions incompréhensibles se dressent.
Revenons un peu en arrière. Plus précisément au premier colloque national de l’information et de la communication de 1993 qui eut lieu à Rabat. Cette rencontre fut pleine d’ambitions et de rêves, suite aux discours prometteurs, qui ont nourri la volonté des journalistes. Ses recommandations suscitèrent de grands espoirs chez tous les participants. Mais, après plusieurs années, elles ne furent pas appliquées. Aujourd’hui, après l’émergence de nouvelles données, il n’est plus logique que les médias publics restent otages d’une vision  traditionnaliste étroite, suspicieuse envers les autres opinions de la société. Le souci sécuritaire ne peut prémunir la société et assurer sa stabilité. Les médias publics sont appelés à se révolter contre eux-mêmes. Ils doivent bannir l’attitude et la stratégie de la dissimulation et du black-out ; ils doivent se mettre au diapason de leur environnement national, régional et international.
La caméra dénonce ce que les régimes veulent dissimuler. Les exigences du public imposent aux médias de dire la vérité, de refléter la réalité, de présenter les faits tels qu’ils sont, en assurant le droit d’accès à l’information qui est garanti par la nouvelle Constitution adoptée depuis juillet 2011.
Pour que cette revendication aboutisse, il est indispensable d’ouvrir la voie à la liberté de création et d’expression, de préparer les émissions documentaires pour archiver la mémoire nationale, politiquement, culturellement, économiquement et socialement, sans exclusive. Il faut également se pencher sur l’analyse et l’explication des événements nationaux, en toute honnêteté et avec professionnalisme, à travers des émissions de débats et des rendez-vous d’infos intéressants et attractifs    Le principe du  pluralisme  doit être aussi mis en œuvre de façon concrète. Autre observation, le citoyen marocain vit actuellement au rythme d’une étape politique nouvelle, qui pourrait enclencher des initiatives destinées à améliorer le service médiatique et le moderniser suivant les exigences locales et les changements internationaux.
L’approche  officielle marocaine n’a pas pu dépasser la mentalité avec laquelle elle perçoit les médias : un simple porte-voix de ses politiques, de ses  programmes et de ses options. La loi relative à la restructuration du secteur audiovisuel au Maroc, considérée comme une base fondamentale pour approfondir le processus démocratique du pays, consacrant le rôle des médias dans l’édification démocratique, abrogeant le monopole de l’Etat sur l’audiovisuel (autorisation de création de stations privées), a suscité de réels espoirs et a été appréciée par de nombreuses parties, qui ont cru à la voie de la concurrence et aux critères de qualité, de compétence et de mécanismes de marché. Les médias, quelle que soit la nature de la société, sont un pouvoir ou un moyen de récupération, de mobilisation et de domination. La focalisation des régimes arabes  sur les médias publics traduit la volonté de  pouvoir les garder sous  leur domination et les soumettre à  leurs orientations. Ils sont au service du pouvoir qui les utilise, non comme outil d’information de l’opinion publique (événements nationaux et internationaux), mais comme moyen de centraliser son emprise dans les institutions. Lorsque l’Etat se présente avec ses cahiers des charges, les interdits et les obstacles  deviennent nombreux, éclipsant le pluralisme et la diversité. L’Etat se considère comme le bailleur de fonds des télévisions, alors que le financement provient en fait de l’argent public. Chez nous, souvent ces médias   marginalisent  les événements sociaux ou les présentent sans en désigner les causes et les portées, ce qui porte atteinte aux principes de  l’indépendance et de la  crédibilité. Certes, les journalistes ne changeront pas le monde. Ils ne sont porteurs que d’idées. Ils essayent de déclencher un débat engagé et de poser des questions. Mais, ils travaillent dans un champ miné – des lignes rouges implicites ou explicites – excluent la sensibilité médiatique et transforment l’institution médiatique en un corps sans âme. Ce sont là des pratiques qui entravent la transition médiatique et  démocratique.
 Si des pays en développement et en plein changement réalisent des progrès au niveau médiatique, le Maroc  maintient une situation paradoxale. Etat, partis politiques, centrales syndicales, société civile, intellectuels, sociologues, politologues ne sont pas en mesure de se préoccuper sérieusement de cette  situation injustifiée.


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