La question de la décentralisation et du développement territorial au Maroc


Par Lhoussain Boukharta
Vendredi 30 Janvier 2015

La question de la décentralisation et du développement territorial au Maroc
Garantir un échange continu des intérêts «constructifs» entre les communes urbaines et rurales tout en maintenant une logique de complémentarité des actions des différents échelons territoriaux


Vu l’importance que revêt la décentralisation dans le processus de démocratisation de la vie politique marocaine, presque tous les politiciens et acteurs de la société civile accordent à la démocratie locale une importance extrême et revendiquent qu’elle soit à la hauteur des avancées politiques constitutionnalisées. Tous les supports médiatiques font de ce thème une priorité dans leurs activités rédactionnelles, un thème dont l’ampleur du débat institutionnel et public devrait favoriser l’émergence d’une volonté politique claire susceptible de faire de la territorialité une source forte de légitimité pour les élites et une concrétisation des pouvoirs des sociétés locales. Les Marocains attendent à ce niveau, avec une grande soif, que le statut des collectivités locales soit un reflet illustrant une sorte d’intégration créative et pérenne entre le «vouloir» populaire exprimé et le « pouvoir » exercé sur le tas. La commune du 21ème siècle, devrait se transformer, via ses élites, en un territoire de création, d’innovation, de différenciation et de prise de décision. Parallèlement à ce plafond objectivement exprimé, le rapport entre la qualité des décisions et la rationalité dans la mise en œuvre d’une part, et la production des élites d’autre part, devrait donner naissance à une ère nouvelle qui ne laisse aucune chance à l’annonce de considérations, dont la vulgarisation manipulée, vise à motiver d’une manière ou d’une autre l’obligation de maintenir un ordre préétabli ou un statut quo dépassé. Ce sont certes des attentes liées à la volonté populaire de doter la nation d’un cadre partenarial démocratique moderne, cadre de mise en œuvre de la bonne gouvernance. Un cadre où la commune deviendrait un territoire institutionnel où seront gérés efficacement les intérêts légitimes des acteurs locaux. La collectivité territoriale ne pourrait être qu’un espace où le pouvoir élu constituerait le noyau autour duquel s’articuleraient et se coordonneraient les actions des pouvoirs déconcentrés et de la société civile, un espace où chaque acteur pourrait trouver son «compte» et une marge de manœuvre suffisante pour servir le territoire et la population locale.
Dorénavant, pour faire face aux mutations territoriales rapides, la structure territoriale du Royaume devrait garantir un échange continu des intérêts «constructifs» entre la commune urbaine et la commune rurale d’une part et maintenir une logique de complémentarité des actions des différents échelons territoriaux (région, province ou préfecture et commune) d’autre part. Si le rôle des métropoles s’impose aujourd’hui pour assurer la communication et la coordination des actions des acteurs internationaux, force est de reconnaître que le rôle de la petite et moyenne ville s’impose aussi pour assurer la mission de la diffusion de l’urbanité et le développement à travers le territoire national. 
Telles sont aujourd’hui les conditions nécessaires (à favoriser) pour faire de la petite et moyenne ville (avec des acteurs stratégiques bien sûr) un espace vital et pilier de la stratégie de la mise à niveau du territoire national dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire. En effet, dans tous les Etats du monde, particulièrement dans les pays en voie de développement ou émergents, le réseau des petites et moyennes villes devrait se transformer en un outil pertinent d’aménagement et de développement territorial. Il devrait répondre positivement aux attentes et aux besoins des ruraux, et delà favoriser la tendance d’urbanisation «maîtrisée» du monde rural. La logique de desservir les zones rurales par des petits centres administratifs localisés le long des grandes routes est aujourd’hui dépassée pour laisser la place aux armatures urbaines.
D’autres considérations justifient l’intérêt que j’accorde à ce type de villes. Plusieurs thèses, mémoires et ouvrages soulignent leurs rôles théoriques en matière d’aménagement du territoire et du développement local. Ces publications diversifiées constituent certes des références pour l’évaluation de leurs réalités et leurs tendances au Maroc. Les points communs que j’ai pu retenir à partir de mes fiches de lectures sur ce sujet sont les suivants:
- La petite et moyenne ville, en tant que situation concrète globale, facile à isoler dans l’espace constitue un lieu privilégié pour la réalisation des travaux isolés (monographies, articles, mémoires, thèses,…) et surtout quand il s'agit de comprendre la (ou les) logique(s) des relations de pouvoir dans la ville ;
- Ces villes constituent aussi bien par leur nombre que par leur poids démographique une pièce maîtresse de l’espace national. Par leur rôle en tant que creuset d’urbanisation et leur pouvoir de polarisation rural, elles nous permettront de tirer les enseignements nécessaires pour la compréhension des logiques de la politique urbaine au Maroc;
- Généralement, petites villes et villes moyennes se distinguent de plus en plus dans un prêt-à-penser mondial où elles constitueraient les supports spatiaux de la promotion idéologique du «développement local». Elles seraient des lieux d'apprentissage de la démocratie et de recomposition des pouvoirs à l'échelle locale;
- Ces lieux singuliers seraient caractérisés par des pratiques citadines originales qui favoriseraient, voire génèreraient, les proximités de tous types inhérents aux tissus urbanisés de taille réduite.
Elles sont aux yeux des planificateurs la solution d’équilibre du point de vue de l’aménagement du territoire et du cadre de vie. Avec une dimension restreinte et sous réserve d'une certaine autonomie de l'emploi et d'un niveau de services suffisant, elles sont théoriquement capables de présenter:
- les opportunités d’articuler et de fournir leur territoire immédiat (services) avec plus d’efficacité ;
- les opportunités de jouer un rôle moteur économique, social et culturel de leur zone régionale;
- la capacité de réduire les inégalités sociales et spatiales par une déconcentration de l'urbanisation en renversant les tendances à la polarisation exercée par les grandes cités, à «rationaliser» les armatures urbaines, à stimuler l'économie rurale, à accroître l'efficacité de la gestion administrative de l'Etat, à réduire la pauvreté urbaine… Bref, c'est grâce aux petites villes que s'effectue la diffusion de l'urbanisation et de l’urbanité dans l'espace national; c'est grâce à elles que le fait urbain s'installe dans les régions où, jusqu'alors, il était absent ou faible :
- la capacité d’une gestion plus participative directe et efficace dans leur gouvernement (gouvernabilité) ;
- la facilité de réaliser des plans d’action locale pour un développement plus soutenu (Agenda 21).
A l’ère de la compétitivité territoriale, le Maroc devrait donc être doté d’une charte de décentralisation globale très poussée, une charte permettant aux petites et moyennes villes de devenir une solution aux désarticulations territoriales conséquentes au gigantisme urbain.  Ces types de villes sont aux yeux des planificateurs une des composantes essentielles de l’économie spatiale. La multiplication de leur création vise le soulagement des grandes concentrations par la satisfaction des besoins des populations locales, l’encadrement des ruraux et le remodelage du monde rural (passage de l’habitat dispersé aux groupements d’habitations urbanisées), et ce par la rétention des flux migratoires vers les grandes villes et par conséquent la diminution des disparités régionales.

* Ingénieur statisticien 
et aménagiste urbaniste


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1.Posté par YASSINE DE BENI MELLAL le 25/03/2016 20:08
Un article très intéressant . Merci Mr Lhoussain .

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