La puissance stratégique et militaire chinoise


Par Roger Hauteville*
Mardi 12 Juillet 2011

I - D’une armée révolutionnaire à une armée moderne

La puissance stratégique et militaire chinoise
Dès le début des combats en Libye, la République populaire de Chine a fait montre de ses nouvelles capacités militaires en évacuant près de 36 000 de ses ressortissants du pays. Cette opération, qui a vu pour la première fois un navire de guerre chinois, la frégate lance-missiles Xuzhou, opérer en Méditerranée, est symbolique de l’évolution de la puissance militaire chinoise et de ses orientations stratégiques.
La puissance d’un Etat peut être en soi perçue comme une menace, du simple fait de ses capacités de coercition (un matériel militaire moderne, une stratégie et une doctrine d’emploi des forces élaborées, avec des exercices interarmées fréquents et adaptés à différents types de scénarios, une organisation du renseignement efficace).
Mais cette menace ne prend forme qu’en fonction des intentions des dirigeants politiques et des responsables militaires de faire usage de cette force. Telle est bien la problématique de l’évolution de la puissance chinoise. Quelles sont donc les intentions stratégiques de la République populaire de Chine ? La République populaire est aujourd’hui la deuxième puissance économique mondiale  et, depuis 2010, la première puissance manufacturière, devant les Etats-Unis avec 19,8 % de la production globale. Ce développement économique a eu pour corollaire une hausse moyenne annuelle comprise entre 10 % et 15 % de son budget de la défense depuis 1990. Pour 2011, la hausse serait de 12,7%, le budget s’établissant à 65,6 milliards d’euros. Celui-ci aurait ainsi augmenté de près de 500 % depuis 2000. Si la structure bicéphale et complexe de l’armée chinoise, organisée autour des structures du Parti Communiste Chinois (PCC) et du gouvernement, rend l’évaluation des budgets et de leur ventilation difficile et source à débats (les estimations varient parfois du simple au double), la progression forte et constante au cours des vingt dernières années ne fait aucun doute. L’augmentation des capacités militaires chinoises dans de nombreux domaines est réelle et la doctrine exposée dans leur Livre Blanc donne quelques indications sur leurs hypothèses d’emploi.

La République populaire est aujourd’hui la deuxième puissance économique

La première étape de cette modernisation a été lancée par Deng Xiaoping en 19782. Les objectifs de l’armée populaire de libération (APL) étaient auparavant principalement limités à la sécurisation de l’intégrité du territoire et au développement de capacités permettant d’envahir puis d’occuper Taïwan. On était encore dans le contexte de la « révolution culturelle » et de 1966 à 1976, le monde militaire chinois restait marqué par la stratégie maoïste, qui accordait beaucoup d’importance à la guérilla. Rompant progressivement avec cette culture de mobilisation générale de la population dans le cadre d’une « guerre du peuple », l’APL commence à se professionnaliser et à être pensée pour des opérations de projection de puissance loin des côtes chinoises. La première guerre du Golfe renforcera cette réorientation stratégique, de même que les enseignements tirés des conflits dans les Balkans, en Irak puis en Afghanistan.
L’APL se réforme ainsi en une armée plus moderne : il s’agit d’avoir des forces capables d’être projetées aux frontières de la Chine ou dans son voisinage, avec un armement de haute technologie. L’objectif stratégique devient celui de « gagner un conflit local dans les conditions de la guerre de l’information et de haute technologie ».
Mais le concept stratégique dominant de la Chine reste celui de « l’émergence pacifique » et les autorités parlent d’une stratégie « défensive par nature ».
Le périmètre de la puissance militaire chinoise s’est néanmoins élargi, la stratégie militaire incluant désormais des éléments financiers et sociaux, mais aussi les nouvelles technologies de l’information et de la communication. La politique militaire chinoise prend en compte de nouvelles priorités : la logique de précision des frappes, l’intégration interarmes et interarmées, la mise en place de systèmes C4ISR4 efficaces, la projection des forces. L’APL est devenue active dans la lutte contre le terrorisme ou la piraterie. Elle participe désormais à des opérations humanitaires et de maintien de la paix dans un cadre multilatéral (par exemple au Soudan en 2006, mais aussi au Libéria ou en République Démocratique du Congo).
Ainsi, le Général Chen Youyi, Directeur du Département des Opérations de Maintien de la Paix au ministère de la Défense chinois, écrivait-il en octobre 2010, évoquant les 16 000 soldats chinois qui ont déjà participé à des missions de maintien de la paix : « Les forces armées ne devraient être utilisées que pour le maintien de la paix, d’un certain ordre et d’une harmonie entre Etats. Les forces armées chinoises garderont toujours à l’esprit qu’elles ont une mission historique de maintien de la paix dans le monde et de promotion du développement, de défense des buts et principes de la Charte des Nations Unies ».

Un renforcement des
 capacités de projection

Le renforcement des capacités de projection chinoises s’appuie sur deux orientations :
- La cyberguerre et les moyens antisatellites d’une part, avec pour objectif d’être capable de paralyser ou d’aveugler tous les systèmes de surveillance, de communication et de ciblage de l’adversaire potentiel. Avec cet objectif, la Chine cherche un avantage asymétrique en développant des moyens capables de frapper les points faibles d’un adversaire plus puissant. Le développement de son programme spatial, dont l’apogée fut la mise en orbite du premier taïkonaute en 2003, s’inscrit dans cette stratégie. Tous les éléments à la fois de stratégie air et mer sont développés.
- La croissance et la modernisation de la marine d’autre part, priorité très affirmée. Le projet de construction d’un porte-avions, la multiplication du nombre des sous-marins (plus de 65) et la modernisation de la base d’Hainan en témoignent. La Chine met aussi l’accent sur les capacités anti-aériennes et anti-sous-marines de sa flotte de surface. En 2020, la détention de deux porte-avions semble être un objectif considéré comme suffisant par Pékin. A cet horizon, la flotte de l’Est pourrait disposer de 120 avions modernes et celle du Sud d’une centaine d’avions capables d’être ravitaillés en vol. Dans le dispositif aéronaval chinois, les destroyers continueront d’occuper une place centrale. Six nouveaux sous-marins nucléaires devraient en outre être mis en chantier dans les dix prochaines années, afin de compléter un ensemble d’environ 40 sous-marins conventionnels modernes aux alentours de 2020. Les missiles balistiques antinavires pourraient être opérationnels à l’horizon de cinq à sept ans. L’objectif principal de la Chine est de pouvoir repousser un adversaire quel qu’il soit au-delà de la première chaîne d’îles en cas de conflit.

Une stratégie axée autour de deux préoccupations de sécurité

La Chine axe ses efforts sur deux préoccupations de sécurité. D’abord la question de l’unité de la Chine et de l’intégrité territoriale, qui reste centrale. L’objectif premier reste de dissuader tout ce qui va dans le sens de la séparation et de la consolidation de Taïwan (la coopération militaire Etats-Unis/Chine a ainsi été arrêtée début 2010 à la suite de l’annonce de ventes d’armes à Taïwan, marquant la grande sensibilité de ce dossier malgré les progrès politiques). La Chine, en dépit de son renforcement militaire actuel, n’est toujours pas en mesure d’envahir et de contrôler le territoire de Taïwan en cas de déclaration d’indépendance de celui-ci, ce qui constituerait pour elle un scenario catastrophe. Une escalade au sujet de Taïwan ferait perdre tous les acteurs de cet enjeu.
Outre Taïwan, la volonté de contrôle des mers de Chine du Sud est également essentielle pour comprendre la montée de la puissance maritime chinoise. Les revendications dans cette zone sont fortement concentrées autour du sort des îles Spratley et Paracel. Depuis 2009, Pékin oppose une posture autoritaire aux revendications du Vietnam et des Philippines sur ces îles désignées comme «intérêts vitaux» : revendication de souveraineté auprès du Secrétaire Général de l’ONU, interdiction unilatérale de pêche dans cette zone, grand exercice militaire de 2010 et accroissement du nombre de patrouilles. Bien qu’elles ne représentent qu’une surface relativement faible (5 km2 pour les Paracel), la souveraineté sur ces territoires donnerait accès à de possibles réserves d’hydrocarbures et à une riche zone de pêche. Surtout, elle permet d’assurer la suprématie militaire sur la zone de la mer de Chine. On rejoint là, la seconde préoccupation de sécurité majeure de la Chine : la logique de sécurisation des Sea Lanes of Communications, autrement appelée stratégie du « collier de perles ». Cette stratégie consiste pour la Chine à protéger ses voies d’approvisionnement en matières premières et produits alimentaires (alors que près de 80 % de ses approvisionnements se font par voie maritime) et à s’assurer d’une domination sur la mer de Chine en créant un réseau de points d’appui militaires de Shanghai au Moyen-Orient, en passant par le détroit stratégique de Malacca.
L’investissement de 1,5 milliards de dollars pour construire une base navale de soutien dans le port de Hambantota au Sri Lanka et une autre dans celui de Chittagong au Bangladesh s’inscrit dans cette logique. Cette stratégie peut poser problème quant au respect de la liberté de navigation dans ces zones, un point sur lequel la France, notamment,
doit continuer à affirmer la nécessité de respecter les dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982.

Repenser tout rapport à la future puissance militaire dominante dans la région

La France n’est pas actuellement un acteur dominant dans la région d’influence de la Chine. Elle pourrait pourtant être plus présente, non seulement économiquement mais également stratégiquement. Cela veut dire,
 en préalable, être capable de sortir d’une relation crispée qui soupçonne sans cesse la Chine, créer un rapport intelligent et une politique indépendante au lieu d’être purement réactive.
En multilatéral, la France pourrait par exemple travailler de manière visible avec les membres du groupe des six à la résolution des tensions entre les deux Corées et aux questions de non-prolifération dans la zone. Mais la France peut aussi chercher à s’affirmer dans les relations bilatérales. Toute proposition de dialogue militaire ou de coopération stratégique bilatérale ne doit pas apparaître comme une faiblesse, même s’il ne faut pas se cacher la difficulté d’un tel projet. Le président Hu Jintao n’a pas souhaité développer une telle coopération avec nos alliés américains. Reste que l’offre française peut être différente de l’offre américaine.

*(Haut fonctionnaire français, spécialiste des questions de défense)
Article publié dans le cadre des « Notes » de la Fondation Jean-Jaurès
DEMAIN
II- La question de l’embargo sur les ventes d’armes


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