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La gestion des risques des catastrophes naturelles continue de battre de l’aile

Les politiques publiques ont du mal à s’adapter à l’installation d’un nouveau climat


Hassan Bentaleb
Mardi 10 Septembre 2019

Des exploitations agricoles submergées, des routes fortement dégradées et interdites à la circulation, des maisons effondrées, des individus, du bétail et des véhicules emportés par les crues,… tel est le bilan des dernières inondations qui ont récemment touché les régions de Safi-Marrakech et  de Drâa-Tafilalet. Un bilan qui demeure provisoire et il est encore tôt pour évaluer l’ampleur réelle des dégâts.  Pourtant, malgré la récurrence de ces catastrophes naturelles et leur sévérité, l’intégration des risques naturels en relation avec le changement climatique et l’installation d’un nouveau climat au Maroc, peinent encore à intégrer les politiques publiques nationales en matière d’urbanisme, d’aménagement du territoire, d’équipements publics, de transports, etc.
«Il n’y a pas de gestion du risque au Maroc ou plutôt de management des risques naturels soit à court ou à long terme. La preuve en est la récurrence des drames depuis plusieurs années malgré la multitude des dispositifs et cellules de veille. Pis, on continue, entre autres, à construire des écoles, des maisons ou des dispensaires, à côté des oueds», nous a indiqué Mohammed Benjelloun, expert international en environnement et développement qui s’interroge sur la mission de certains ministères comme ceux de l’Equipement ou de l’Environnement dans la prévision des catastrophes naturelles. « Avec les moyens qu’ils ont, ils ne sont même pas capables des créer des simulateurs aptes à prévoir les risques comme sous d’autres cieux », nous a-t-il lancé.        
Une évaluation que partage le Conseil économique, social et environnemental qui a constaté dans son rapport de 2015 intitulé « Intégration des exigences des changements climatiques dans les politiques publiques », la faible prise en considération du risque climatique dans la planification urbaine, et ce au niveau des documents d’urbanisme comme le Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU), les plans d’aménagement urbain (PAU) et les plans de déplacement urbain (PDU). « Les documents d’urbanisme des villes côtières et des stations balnéaires, ne prennent pas en compte, non plus, le risque de montée des océans et l’érosion des zones côtières. Cette situation est aggravée par les projets qui bénéficient de la procédure des dérogations pour construire sur les lits des oueds et sur des lieux exposés aux effets climatiques », précisé le rapport. Dans ce sens, il a indiqué que les documents d’urbanisme régis par la loi n° 12-90 du 17 juin 1992 relative à l’urbanisme accusent un réel retard sur un certain nombre d’innovations en matière de prise en compte de mesures d’adaptation et d’atténuation du risque climatique en vue de réduire l’empreinte carbone et hydrique dans l’aménagement urbain.
Concernant les secteurs des infrastructures de base, du transport et de la logistique, le document du CESE a noté l’absence d’une analyse de la vulnérabilité climatique des infrastructures, des routes et des ouvrages d’art réalisés à ce jour ou celles projetés. « Ainsi, le risque climatique n’est pas pris en compte dans le processus d’élaboration des stratégies et des choix d’options d’investissements pour avoir une meilleure analyse prévisionnelle et d’anticipation des effets néfastes dus au dérèglement climatique. Au sujet des mesures d’adaptation climatique, celles-ci ne sont également pas prises en compte dans les plans d’actions élaborés par le ministère de l’Equipement en faveur d’une meilleure sécurisation des infrastructures existantes et des investissements futurs », souligne le rapport.
Une faible intégration qui se manifeste également au niveau de la Stratégie nationale de la santé. Le CESE indique que la stratégie santé-climat est récente et qu’elle ne permet pas d’apprécier le bilan des réalisations en matière d’anticipation et de prévision des effets des changements climatiques sur la santé. Ceci d’autant plus que le cadre législatif actuel n’intègre pas encore le lien entre la santé, le climat et l’environnement. « Ces contraintes définies ci-dessus sont dues en grande partie au fait que le secteur de la santé, au niveau national et international, souffre de manque d’études approfondies des répercussions des changements climatiques sur la santé humaine. Cette situation handicape sérieusement la maîtrise, la connaissance et la capacité d’anticipation et d’adaptation aux effets spécifiques du dérèglement climatique sur la santé des populations marocaines. A partir de là, et en dépit des avancées réalisées à ce jour par le Royaume dans le secteur de la santé, celles-ci restent insuffisantes pour s’adapter aux défis climatiques identifiés. En effet, selon l’OMS, le Maroc enregistre un surcoût national évalué à 18% des maladies engendrées par la dégradation de l’environnement par rapport à l’ensemble des maladies enregistrées au niveau national », explique le rapport.
Une situation des plus compliquées puisqu’il y a une faible connaissance du profil de vulnérabilité climatique, spécifique à chaque région du Maroc, qui tienne compte des aspects liés à la gestion de l’eau, de l’énergie, de la biodiversité terrestre et marine, des terres arables, et du  caractère fragile des zones sensibles : montagnes, oasis et littoral, couloirs pastoraux….etc. D’autant plus qu’il y a un manque d’intégration organisé de la dimension climatique au niveau des programmes et des cursus scolaires nationaux ainsi que des campagnes de sensibilisation et de formation au profit des décideurs sur le risque climatique et ses répercussions sur le développement économique, social et environnemental des territoires.
Mohammed Benjelloun estime que la gestion des risques naturels dans notre pays dépasse la seule question des moyens financiers. Pour lui, il s’agit bel et bien d’une question de compétence. « Notre vrai problème, c’est le manque de compétences et parfois l’indifférence même des décideurs.  En tant qu’experts, nos avis et évaluations ne sont pas pris au sérieux alors que les sciences et les savoirs en matière de gestion des risques naturels et du changement climatique ont beaucoup évolué.  Aujourd’hui, dans beaucoup des pays, il est de plus en plus possible, malgré les incertitudes, de prévoir des catastrophes une journée ou deux à l’avance et cela permet au moins d’épargner des vies », a-t-il conclu.   


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