La dictature soviétique est morte à Tchernobyl


PAR POL MATHIL
Lundi 2 Mai 2011

Un soir de septembre 1978, le train personnel de Leonid Brejnev, chef du parti communiste de l’URSS, s’est arrêté à Mineralnye Vody, station balnéaire du Caucase. Brejnev était accompagné du numéro deux du régime, Constantin Tchernenko, et de Youri Andropov, le chef du KGB. Tous trois furent accueillis par le secrétaire du PC de la région, un certain Mikhaïl Gorbatchev.
Aucun manuel d’histoire n’évoque cette réunion. Et pourtant, elle était unique : jamais le hasard n’a réuni en même temps quatre secrétaires généraux du parti communiste de l’URSS. Gorbatchev n’avait à ce moment que 47 ans. Les trois autres faisaient déjà, sans le savoir, figure d’hommes de transition. Gorbatchev, lui, sera l’homme de la fin. Il va succéder à ses trois prédécesseurs en 1985. Un an plus tard à peine, il sera confronté au tournant majeur de Tchernobyl.
La catastrophe n’a rien perdu de son actualité. Elle apparaît comme un moment où la conscience collective brusquement bascule, où l’Histoire change son cours. Car à Tchernobyl a explosé non seulement un réacteur, mais, à terme, tout le système soviétique. L’Etat communiste devait être « l’électrification plus les soviets ».
A Tchernobyl, l’électricité a dérapé et l’Etat des soviets a disparu, incapable de faire face à la crise. La « preuve par Tchernobyl » a démontré l’anachronisme du communisme et a annoncé la mort, à terme, de la dictature. C’est à Tchernobyl que Gorbatchev a compris que son Etat était au bord du gouffre. Il a cherché une solution pour sauver le régime, mais Tchernobyl a brisé ce qu‘il voulait sauver. Bref, Tchernobyl a signé l’acte de décès de la dictature soviétique.
Pour rendre aux ouvriers l’espoir d’un avenir meilleur, Gorbatchev a lancé la « perestroïka », la restructuration de l’économie, opération censée l’extirper du carcan du soviétisme. Il a vite compris qu’une telle stratégie serait irréalisable sans donner aux citoyens le droit de s’exprimer, le courage de critiquer et le sens de la responsabilité. Et ce fut la « glasnost », la transparence. Mais aucune « glasnost » n’était possible tant qu’Andrei Sakharov, l’ancien père de la bombe H soviétique puis plus tard prix Nobel de la paix, déporté par Brejnev à Gorki, resterait absent du mouvement. Sakharov sera très présent. A son retour, il lance le programme de la glasnost. Il s’en prend à tous les tabous du régime, réclame des droits pour les minorités, la liberté de voyager et surtout d’émigrer, notamment pour les Juifs soviétiques.
Le reste est connu. La perestroïka n’a pas apporté le virage attendu. La glasnost, oui : en 1975, Sakharov reçoit le Prix Nobel de la Paix, les droits de l’homme ne vont plus disparaître de la rue russe. Tout a commencé à Tchernobyl. Sakharov a été, en 1975, le premier citoyen soviétique à avoir reçu le Prix Nobel de la Paix. Gorbatchev a été, en 1990, le dernier citoyen de l’URSS à le recevoir. Après, il n’y avait plus d’URSS.
Il n’y avait plus d’URSS, mais il y avait Tchernobyl. C’est depuis Tchernobyl que nous savons que, comme jadis la peste, la radioactivité ne connaît pas les frontières. Hier c’était Tchernobyl, aujourd’hui, c’est Fukushima. Certes, le Japon n’a pas besoin de perestroïka, la démocratie japonaise fonctionne, le régime ne va pas s’écrouler, l’Etat ne va pas disparaître. Mais la crise n’est pas encore entièrement sous contrôle et les informations données sur l’ampleur de la radiation n’inspirent pas une totale confiance.
A Fukushima, 25 ans après, on se demande : Tchernobyl a-t-il servi de leçon ? Le monde n’a-t-il rien appris ? Mais sait-on ce qui s’est réellement passé à Tchernobyl et après ? L’amorce d’une réponse vient de… Belgique. Marc Molitor, journaliste réputé à la RTBF, vient de publier un livre, sous le titre Tchernobyl, déni passé, menace future, une sorte de somme, presque 300 pages, sur ce qui s’est passé en 1986, et sur ses retombées jusqu’à aujourd’hui.
C’est une œuvre impressionnante, un grand reportage d’un témoin direct : Molitor a fait plusieurs voyages dans la région, recueilli des témoignages auprès de toutes les catégories d’acteurs du désastre – les rescapés de la catastrophe, les sauveteurs, les actuels habitants des terrains toujours contaminés. Il a consulté une multitude de sources, avant de parler avec leurs auteurs, des savants dans plusieurs pays. Vingt-cinq ans après, dit-il, les promoteurs du nucléaire auraient volontiers voulu faire oublier le réacteur nº 4. Mais les événements de Fukushima sont venus douloureusement leur rappeler qu’aussi longtemps que le dossier de Tchernobyl n’est pas fermé, toutes les incertitudes sur le nucléaire restent ouvertes.

 * Journaliste belge


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