La démocratie africaine est-elle au bout du canon ?


Par Louis-Marie Kakdeu PhD & MPA, analyste pour Libre Afrique Articles publiés en collaboration avec www.libreafrique.org
Jeudi 21 Août 2014

La démocratie africaine est-elle au bout du canon ?
Le zèle avec lequel l’ex-rebelle ivoirien, Guillaume Soro, a présenté le 11 juin 2014 la rébellion à l’Assemblée nationale du Cameroun, pourtant siège de la loi, ouvre le débat sur le sens de la libération de l’Afrique et de la démocratie. En rappel, le coup d’Etat militaire a permis depuis 1999 de créer plusieurs alternances à la tête de l’Etat ivoirien mais, le bilan démocratique reste mitigé. Aussi, depuis les années 1960, l’Afrique a connu une multitude de coups d’Etat militaires. Pourtant, aucun des pays concernés n’est compté parmi les 30 premières démocraties du monde. A l’heure du bilan, la question est donc de savoir si l’Afrique est sur le bon chemin. La rébellion armée et/ou la prise du pouvoir par la force sont-elles un mode fiable de libération ou de démocratisation?
La rébellion pourrait être, en dernier recours, une solution pour libérer le peuple de la dictature mais  il faut nuancer l’appréciation. Par exemple, on parle souvent d’exception malienne en référence au coup d’Etat militaire d’ATT (Amadou Toumani Touré) en mars 1991 qui avait permis de mettre fin à la dictature féroce de Moussa Traoré. Mais la présidence du même ATT n’a pas permis d’apporter « le salut » promis au peuple. Au contraire, elle a débouché sur plusieurs rébellions et un nouveau coup d’Etat le 22 mars 2012 dans le but de faire « le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat ». La situation au Mali de nos jours est dramatique, ce qui veut dire que la solution réside moins dans le coup de force que dans la création d’une société plus juste et égalitaire.
En effet, la démocratie suppose l’autonomie et la stabilité de l’Etat. Or, la rébellion déchire la société bien qu’elle soit susceptible de déboucher sur l’alternance au pouvoir. Dans des contextes où la conquête du pouvoir est force de loi, la psychose permanente de l’imminence d’un putsch compromet la mise en œuvre des politiques publiques pertinentes sur le long terme et empêche la construction de la confiance dans les institutions de l’Etat et donc, la pratique démocratique. Par exemple, le Bénin a connu depuis les indépendances 18 coups d’Etat et alternances au pouvoir sans qu’on ne puisse dire avec exactitude par rapport à d’autres pays africains que ces coups d’Etat, commandités pour la plupart par des forces étrangères, ont favorisé la souveraineté et la stabilité de cet Etat.
La démocratie suppose aussi le respect des libertés fondamentales et des règles de droit. Or, la rébellion armée est un acte illégal qui installe le chaos propice au règne du non-droit à durée indéterminée : « On sait quand la guerre commence mais  on ne sait pas quand ça finit », dit-on.  De plus, les hommes forts installent des états d’urgence, des lois discrétionnaires contraires à la pratique démocratique. C’est le cas de la République centrafricaine où la rébellion lancée par la Séléka a conduit au chaos pendant que les prétendus « libérateurs » de la dictature de Bozizé savourent égoïstement leurs « sorties honorables » à l’abri des armes.
La démocratie suppose surtout l’ouverture de la sphère publique avec notamment le respect des libertés d’association et des libertés d’expression. Or, la rébellion armée ne respecte pas la libre circulation et l’intégrité physique ou morale de l’opposition et de la société civile. En Côte d’Ivoire, l’ex-rébellion n’a pas toujours assuré la libre circulation dans la zone du nord sous son contrôle. Par exemple, l’accès à Odiénné a été refusé au chef du principal parti d’opposition (FPI) ce 6 juin 2014.
La démocratie suppose par ailleurs la participation et la représentation du peuple dans les instances de prise de décision. Or, la prise de pouvoir par la force ignore la volonté du peuple. Par exemple, la psychose des arguments de la force a permis de consacrer sans consultation le système de la Françafrique qui sert les intérêts égoïstes d’une élite prédatrice en dépit de ceux du peuple affamé et dépourvu de moyens de pression. Aussi, comme en Libye, Egypte, Mali, la rébellion a donné tout ou partie du pouvoir aux groupuscules religieux qui ont l’intention d’instaurer la charia comme mode exclusif de gouvernement.
La démocratie suppose encore la libre compétition dans la course au pouvoir. Elle suppose même l’égalité des chances et de traitement. Or, la rébellion armée impose un chef suprême et un organigramme de guerre en décalage avec les exigences de gestion d’une société libre. Le citoyen obtient sa légitimité par sa participation aux combats, ce qui fait des guerriers, « les hommes forts » de la société. La force des arguments cède la place à la force des armes.
La démocratie suppose enfin la transparence et la bonne gouvernance. Or, la rébellion armée ouvre la voie aux pillages, aux enrichissements illicites et à l’exploitation impériale des ressources naturelles. Sur le plan historique, les putschs en Afrique n’ont permis que d’inverser les rapports de force dans la gestion rentière des ressources naturelles. En Côte d’Ivoire, la rébellion de 2002 avait pour prétexte la lutte contre la politique inégalitaire de l’ivoirité, pourtant les tiers-gagnants au pouvoir ont aussi lancé la politique du « rattrapage ethnique ». On parle même du « règne des Bakayoko » en référence à la présence des Bakayoko à la tête des principales institutions stratégiques.
En conclusion, nous disons que la prise de pouvoir par la force est parfois la seule alternative face à la dictature mais elle n’a pas jusqu’ici contribué à installer la démocratie et à changer le système de prédation qui mine l’Afrique. La rébellion et le pouvoir demeurent ethniques ou religieux et l’alternance au pouvoir provoquée, à quelques exceptions près, n’est qu’un jeu de chaises musicales qui permet de transférer la gestion patrimoniale de l’Etat d’un clan à l’autre. La rébellion de Mandela contre l’apartheid est peut-être l’exception qui confirme la règle sous réserve de la discussion sur la discrimination positive des Blancs.
 


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