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Droit des générations futures




La Commune de Paris, 140 ans après


Par Timothée Trouwborst *
Mercredi 3 Août 2011

La Commune de Paris, 140 ans après
La Commune de Paris fête cette année ses 140 ans. Si, pendant près d’un siècle, l’événement a tenu le rang de mythe fondateur, de référence obligée pour la gauche socialiste (au sens large du terme) et le mouvement ouvrier, français et international, il a progressivement perdu de sa force mobilisatrice, politique et mémorielle. Le temps qui passe, le déclin conjoint du marxisme et du mouvement ouvrier, la fin du « socialisme réel », tous ces éléments peuvent expliquer l’oubli ou l’indifférence dans lesquels est tombée la Commune. En effet, reposant largement sur le mouvement ouvrier et socialiste, la mémoire de l’événement subit le contrecoup des transformations sociales, économiques, politiques et culturelles des dernières décennies, et ce d’autant plus que la République ne l’a jamais faite sienne. Après la répression, l’amnistie de 1880 invite à la réconciliation mais aussi, comme l’exprime Gambetta, à l’oubli : écartés de la mémoire nationale, les communards n’ont jamais été réhabilités. Déchirure dans le camp républicain, seuls les « rouges » revendiquent son héritage. La Commune fait alors l’objet d’un investissement mémoriel contestataire qui vient rappeler le « péché originel » de la IIIème République. Cependant, tant pour ses acteurs que pour les historiens actuels, il ne fait aucun doute que la Commune appartient entièrement à l’histoire du combat républicain et démocratique engagé depuis la Révolution française.
 

UNE CRISE NATIONALE
 
Comme en 1917 en Russie, en 1871 la révolution naît de la guerre. L’affrontement entre la France et la Prusse à partir du mois de juillet 1870 provoque en effet une des principales crises politiques que le pays ait connues et crée les conditions qui conduisent à la révolution communaliste. L’expression hugolienne d’« année terrible » dit bien la situation. Après la chute du Second Empire et la proclamation de la République le 4 septembre, le gouvernement de Défense nationale ne parvient pas à renverser la situation militaire et les défaites se succèdent. Très patriote, la population parisienne résiste pendant plusieurs mois aux terribles conditions du blocus (la mortalité double) et participe massivement à la défense de la ville, dans le cadre de l’armée et surtout de la Garde nationale, qui rassemble alors 300.000 hommes.
Perturbant l’activité économique normale, le siège place le Paris populaire dans une situation de grande précarité. La signature de l’armistice le 28 janvier 1871, l’obligation pour la ville de capituler, puis les conditions humiliantes de la paix indignent les Parisiens. Ce mélange d’ultra patriotisme déçu et de sentiment de trahison (des généraux, du gouvernement, de la province rurale) fut une des principales causes du mécontentement à l’origine de la Commune. Mais Paris n’est pas seulement à la pointe du patriotisme : il l’est tout autant du républicanisme. Avec d’autres grandes villes (Lyon, Marseille), la capitale est un bastion de l’opposition à l’Empire. Le siège n’entame en rien ses conceptions républicaines, qui s’expriment nettement lors des élections de l’Assemblée nationale le 8 février : presque tous les députés de Paris sont républicains et s’opposent à la majorité monarchiste de l’Assemblée. Si le républicanisme parisien est indéniablement radical, l’extrême gauche révolutionnaire n’est pas majoritaire. Elle est surtout implantée dans les quartiers populaires, Batignolles, Montmartre, Belleville.
Cependant, à mesure que la situation militaire se dégrade, une partie des Parisiens en arrive à rejeter le gouvernement et réclame des mesures « énergiques », notamment l’instauration d’une Commune ; deux tentatives d’insurrection échouent en octobre et janvier. En février-mars s’organise une Fédération de la Garde nationale, regroupant la majorité des bataillons : des pouvoirs nouveaux, incarnant le républicanisme intransigeant, démocratique et patriotique du peuple de Paris, commencent donc à se structurer. Les mesures provocatrices et réactionnaires prises par l’Assemblée qui siège à Versailles finissent d’exaspérer les Parisiens. Le coup de force tenté par Thiers le 18 mars 1871 pour reprendre le contrôle de la ville déclenche la crise qui laisse les insurgés maîtres de Paris, presque malgré eux.
Cherchant une forme légale de pouvoir, légitimé par les élections (paradoxale affirmation de la légitimité supérieure du suffrage universel), une Commune est élue et s’arroge vite des compétences qui dépassent celles d’un simple conseil municipal : comment pourrait-il en être autrement s’agissant de la capitale de la France et de la Révolution ? Les revendications mêlent donc enjeux locaux (franchises municipales, fin de la tutelle gouvernementale et auto-administration de Paris) et nationaux (et avant tout la défense d’une « vraie » République). La suite des événements est connue : Paris et Versailles apparaissent bientôt comme irréconciliables, ce qui aboutit à la guerre civile puis à la reprise de la ville par l’armée lors de la Semaine sanglante (21-28 mai 1871). Les combats et surtout les massacres commis dans Paris par les Versaillais font entre 10 000 et 20 000 morts, les communards répliquant par l’exécution d’une centaine d’otages et l’incendie des principaux bâtiments officiels.
Paris se transforme en champ de ruines et en un immense charnier. Thiers écrit alors aux préfets : « Le sol est jonché de leurs cadavres. Ce spectacle affreux servira de leçon ». La répression, d’une férocité inouïe, est moins imputable à un déchaînement de violence des soldats qu’aux généraux bonapartistes et monarchistes qui mènent et organisent froidement la curée, notamment dans le cadre de cours martiales, véritables « abattoirs » : à bien des égards, la Semaine sanglante apparaît comme un prélude aux formes modernes de massacres qu’a connues le XXème siècle. Quand les armes se taisent, l’expiation se poursuit avec l’arrestation puis le jugement de près de 40 000 personnes : plus de 10 000 d’entre elles sont condamnées à des peines qui vont de la prison à la mort en passant par la déportation en Nouvelle-Calédonie. Plusieurs milliers de survivants se sont entre temps exilés en Angleterre, en Belgique et en Suisse.
Un imaginaire très puissant, qui regroupe sous la figure du communard toutes les formes possibles de la barbarie, a animé les acteurs de la répression et a continué à s’exprimer dans la littérature anti-communarde, très prolixe et d’une extrême violence. Pour les Versaillais, la Commune est en effet l’incarnation du pouvoir des «classes dangereuses», des hordes de criminels, de fous, d’étrangers qui peuplent Paris, encadrés par une poignée de révolutionnaires fanatiques. Cela revenait clairement à nier la nature politique de la Commune et des questions qu’elle soulevait. Or, la Commune était bien l’expression, certes un peu confuse, des riches courants politiques qui ont animé la gauche française au XIXème siècle. Qui étaient donc les communards et que voulaient-ils ?
 
LA COMMUNE, UNE REVOLUTION FRANCAISE
 
Il faut d’abord souligner que tous les Parisiens n’étaient pas communards, loin s’en faut. A côté de ceux qui rejettent tout à fait la Commune, on trouve la masse des indécis, qui s’expriment peu. Les travaux récents ont surtout réévalué l’importance des républicains favorables à une conciliation entre Versailles et Paris : ce « tiers parti », composé de futurs radicaux de la IIIème République comme Clemenceau, Arthur Ranc, Charles Floquet ou Edouard Lockroy, partage en partie les idées politiques des communards mais refuse l’insurrection contre l’Assemblée élue et la guerre civile. Tout autant opposés à la politique réactionnaire menée par Versailles, ils tentent de trouver un compromis, appuyés en cela par les grandes villes républicaines de province (Lyon, Bordeaux notamment), qui appellent à la tenue de deux congrès en mai – finalement interdits – pour faire entendre cette voix résolument républicaine et conciliatrice. Thiers joue avec les conciliateurs tout en restant sourd à leurs revendications.
Restent les partisans de la Commune. Sociologiquement, le communard est un homme du peuple : ouvrier du bâtiment, de la métallurgie ou journalier, salarié la plupart du temps, mais aussi petit patron, artisan ou commerçant. Le profil des insurgés de 1871 diffère peu de celui des insurgés de juin 1848. Les différences reflètent les évolutions du monde du travail pendant l’Empire, la principale étant la place bien plus grande des employés, particulièrement dans les cadres de l’insurrection. Ces derniers, notamment les élus de la Commune, appartiennent surtout à la petite bourgeoisie populaire, souvent déclassée, mais avec aussi, pour la première fois, une forte minorité d’ouvriers. La Commune est donc bien une révolution populaire, ouvrière dans le sens où ses acteurs appartiennent au peuple travailleur de Paris. Peuple qui compte aussi en son sein nombre d’étrangers, souvent exilés politiques, et qui jouèrent pour certains un rôle très important : le garibaldien Amilcare Cipriani, les généraux polonais Dombrowski et Wroblewski, ou l’ouvrier socialiste hongrois Léo Fränkel. Les femmes furent également au premier plan pendant toute la révolution, les plus militantes étant regroupées dans la très socialiste Union des femmes, liée à l’Internationale. Certaines figures fortes émergent : Nathalie Lemel, Elisabeth Dmitrieff, Anna Jaclard, Paule Minck, André Léo (pseudonyme de Léodile Champseix) et bien sûr Louise Michel.
Politiquement, on peut repérer dans l’assemblée communaliste les principales tendances de l’extrême gauche révolutionnaire de l’époque : blanquistes (Eudes, Rigault, Tridon, Ferré – Blanqui a été arrêté par Thiers le 17 mars) partisans d’une dictature le temps d’éduquer le peuple ; néo-jacobins (Delescluze, Pyat, Miot, Gambon) héritiers de la tradition montagnarde de 1793 et 1848 ; socialistes plus ou moins influencés par la pensée de Proudhon (Lefrançais, Vaillant ou Vallès).
Beaucoup de ces derniers (mais aussi des blanquistes) sont membres de l’Internationale et ont pris part au combat ouvrier et syndical de la fin de l’Empire, tels Adolphe Clémence, Albert Theisz, Auguste Serraillier ou encore ces deux grandes figures que sont Benoît Malon et Eugène Varlin. Mais la distinction de tendances politiques différentes, parfois opposées, importe finalement moins que ce qui les rassemble : la volonté de fonder une République démocratique et sociale, reposant sur la fédération de communes républicaines autonomes. Ce projet, formulé notamment dans la Déclaration au Peuple français du 19 avril, a pu paraître contradictoire, amalgamant des éléments empruntés à des traditions politiques considérées comme inconciliables, fédéralisme proudhonien d’une part, centralisme jacobin d’autre part. De même, on a souvent insisté sur la division de la Commune, début mai, à l’occasion du vote instituant un Comité de salut public, laissant apparaître une majorité et une minorité qui seraient, l’une tournée vers la Révolution française, jacobine et autoritaire, l’autre davantage tournée vers l’avenir, socialiste et plus libertaire. Certes ces deux sensibilités existent, mais elles ne sont pas aussi clairement tranchées, surtout dans le peuple communard où semble régner une plus grande cohésion. Le jacobinisme au XIXème siècle n’est pas la caricature de centralisme qu’on fait souvent et la plupart des socialistes se disent héritiers de la Révolution.

* Historien, doctorant à l’EHESS
Article publié par la Fondation Jean-Jaurès ( A suivre ....)


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