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La Chabiba Ittihadia va mener campagne pour que toute la lumière soit faite : L'affaire Mehdi Boukillou défraie la chronique


Montassir SAKHI et Younes Benmoumen
Mercredi 16 Février 2011

La Chabiba Ittihadia va mener campagne pour que toute la lumière soit faite : L'affaire Mehdi Boukillou défraie la chronique
Il s'appelle Mehdi Boukillou, il a 19 ans quand il a été enlevé à Rabat le 23 février 2010 à 8h du matin, alors qu'il était en route vers la Faculté de droit de Salé El Jadida. Depuis ce jour et jusqu'au 11 mars 2010, ses parents l'ont cherché partout, dans les hôpitaux, les morgues, les commissariats et les postes de police. Mehdi a, semble-t-il, disparu.
Le 11 mars 2010, Fatima El Moujahid, sa mère, reçoit un appel téléphonique provenant d'un homme ayant rencontré son fils au tribunal de première instance de Salé. Il lui annonce que son fils est incarcéré à la maison de correction de Salé. Il ajoute que Mehdi se trouve dans un état dépressif. Après 16 jours d'absence,  Fatima El Moujahid a finalement pu revoir son fils, qui était en prison. Elle l'a trouvé en larmes. Il lui a raconté ce qui lui était arrivé, comment il avait été enlevé et torturé pendant deux semaines. Son histoire est invraisemblable dans le Maroc d'aujourd'hui, et son dénouement actuel l'est encore plus. Il nous l'a racontée dans une lettre adressée à Libération.

Des méthodes peu orthodoxes
Flash-back . Mehdi Boukillou a été appréhendé à Rabat devant le Café « Jour et Nuit » par des agents de police habillés en civil. Il ne s'agissait pas encore « d'une arrestation».  Parmi ceux qui l'avaient arrêté, Mehdi avait pu reconnaitre un certain Hicham. Celui-ci est étudiant-fonctionnaire à la Faculté de droit à Salé El Jadida. Beaucoup  d'étudiants voyaient en lui un indicateur, tant sa curiosité  éveillait les soupçons. Ce même Hicham, avec d'autres hommes ont mis la main donc sur Mehdi et jeté dans une Hyundai de couleur bleue.
Sitôt qu'ils l'ont enfermé dans une chambre vide, ils lui  ont expliqué qu'ils étaient un groupe islamiste intégriste dont l'objectif est de renverser le régime. Pendant près de neuf jours, il est retenu dans une pièce nue. Chaque jour, les hommes venaient le voir et tentaient -étrangement- de l'embrigader. A Mehdi qui demandait de rentrer chez lui, ils  lui montraient comment faire sa prière et comment fabriquer des bombes artisanales.
Après qu'ils ont constaté « l'entêtement » du jeune étudiant qui refusait de s'allier à ce prétendu groupe terroriste, les kidnappeurs ont fini par lui révéler leur identité.
« Nous appartenons aux forces de l’ordre et nous voulons te former militairement afin que tu nous aides à démonter des cellules terroristes qui menacent la stabilité du Maroc », a dit un agent à Mehdi. Ce dernier a refusé encore une fois : tout ce qu'il voulait, c’était de rentrer chez lui. Mais il avait compris alors qu'il était retenu dans un centre de détention de triste renommée.
S’en est suivi ce qui restera à jamais gravé dans la mémoire de Mehdi. Au Maroc du 21ème siècle, Mehdi était battu par des fonctionnaires devenus tortionnaires. Dorénavant, il aurait les yeux bandés tout le temps de son incarcération. Mais le souvenir le plus traumatisant pour lui reste sans conteste celui-ci : « Des agents ont commencé à tirer avec leurs armes autour de moi », raconte-t-il, dans sa lettre. Il ajoute que ces mêmes agents lui ont signalé que plusieurs terroristes étaient exécutés « en ce moment même » et que son tour viendrait bientôt.
Pleurant et croyant à sa mort prochaine, Mehdi est ensuite déshabillé et menacé de viol. Peu à peu, il avait réalisé qu'on lui parlait  comme à un accusé. On lui avait demandé de livrer des noms, de dire qu'il appartenait à un groupe terroriste.
Après la torture, les menaces et les injures, les yeux bandés, les tortionnaires ont poussé le jeune de 19 ans à signer un papier. Effondré psychologiquement, celui qui n'était qu'un étudiant sans histoire quelques jours auparavant, avait accepté sans broncher. « C'est pour sortir », lui ont-ils dit. Erreur, il avait signé le procès-verbal, par lequel il reconnaissait appartenir à un réseau terroriste. Mehdi fut alors transféré au commissariat du Maârif à Casablanca pour une période de 10 jours.

Déféré devant le juge
Sans que sa famille en soit informée et sans avocat, Mehdi  est passé le 11 mars 2010 devant le juge. Mais il était dans un état de faiblesse extrême. Il ne cessait de sangloter et de  demander à voir ses parents, à tel point que le juge reporta son audition.  « Toute sa vie, il ne nous a jamais quittés. Même à la faculté, son père et moi venions souvent le chercher et ce n'est que de temps à autre s'il passait des soirées dansantes avec ses copains », nous a déclaré sa mère.
Mehdi, éduqué dans un milieu progressiste et moderne, est comme les jeunes de son âge. Il se préoccupe de ses études, joue aux jeux vidéo et aime les vêtements à la mode. A la maison de correction, quelques jours après la rencontre avec sa mère, tout ce qu'il souhaitait, c'était d'avoir des livres pour réviser ainsi que sa « Playstation» pour ne pas s'ennuyer.
Ses amis, qui ont créé une « Coordination pour la liberté de Mehdi Boukillou » fin janvier 2011, se sont interrogés : « Avez-vous jamais vu un terroriste jouer à la Playstation ? Mehdi est un jeune qui aime les derniers «stounes» et qui est sérieux à l'université ».
Quand il a eu enfin accès à un avocat, Mehdi a été en mesure de réfuter toutes les accusations. On peut alors imaginer les raisons et le timing de son enlèvement. La même semaine, les membres de la cellule terroriste de Taza ont été arrêtés. Ces derniers sont accusés de terrorisme, constitution de bande armée, atteinte à la sûreté publique, et tenue de réunions illégales. Cependant, mis en présence de Mehdi, ceux-là confirment qu'ils ne l'ont jamais vu  et Mehdi n'en connait -évidemment- aucun.
Mais rien n'y fait : usant de la loi antiterroriste en vigueur depuis 2003, le juge le condamne à 10 ans d'emprisonnement. Ce qui lui est reproché ? La police soutient qu'il avait  transmis des informations par Internet à la cellule de Taza via le site exact.com.
Problème : le site en question n'a rien à voir avec le terrorisme. C'est une plateforme néerlandaise qui fournit aux entrepreneurs des solutions logicielles pour leurs systèmes d'information. Créée par des étudiants à Delft en 1984, la société détentrice du site aurait décidé  de porter plainte contre la justice marocaine,  pour mauvaise publicité.
Les professeurs et le corps administratif de la Faculté où Mehdi poursuivait ses études ont exprimé leur indignation vis-à-vis de ce jugement. Dans un communiqué dont Libé a reçu une copie, ses six professeurs ont attesté du sérieux et de la droiture de Mehdi. Selon eux, il a « donné entière satisfaction à ses professeurs » avant d'ajouter que « ses qualités personnelles et sa motivation lui confèrent la capacité et l'aptitude de poursuivre des études approfondies ». De surcroît, le doyen de la même Faculté, El Houssine Snoussi, a assuré dans une attestation que, «administrativement, cet étudiant n'a jamais eu de problème». Pour son avocat, Khalil El Idrissi, les choses sont beaucoup plus simples et claires : Il s'agit d'un cas de disparition forcée, de tortures physique et morale et d'un jugement injuste qui a transgressé toutes les lois nationales et les conventions internationales signées par le Maroc.

Campagne de solidarité
Enfin, et pour recouper les faits signalés dans cet article, nous avons rencontré Fatima El Moujahid, la maman de l'accusé. Elle nous a confirmé ces informations et nous a passé Mehdi au téléphone. Ce dernier nous a parlé depuis la maison de correction de Salé. Il ne semblait plus triste et renfermé comme il l'était lors des premières entrevues avec le juge. Il garde espoir en la justice. « Nous ne sommes plus dans les années de plomb, il faut que nous progressions, la justice doit revoir mon dossier», a-t-il dit. « Je n'appartiens à aucun groupe, mais je suis contre l'injustice. Ce qui m'arrive aujourd'hui est illogique, c'est irrationnel, c'est de l'injustice tout court ».  
Mehdi Boukillou a depuis lancé un appel à l'ensemble des organisations des droits humains et associations pour lui venir en aide et soutenir sa liberté.
La Chabiba Ittihadia-section Salé Lamrissa a répondu présent. Elle devait organiser une conférence de presse en compagnie de la «Coordination pour la liberté de Mehdi Boukillous» au siège du Club des avocats à Rabat. Les jeunes Ittihadis nous ont affirmé que, à l'instar de l'affaire du jeune Fodeil Aberkan, battu à mort au commissariat de Hay Salam à Salé, ils comptent mener une véritable campagne pour que Mehdi Boukillou soit libéré.


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1.Posté par sahraoui le 17/02/2011 20:31
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