L’initiative législative populaire Une institution fictive en Espagne ?


Le Constituant espagnol redoute une instrumentalisation «démagogique» des mécanismes de la démocratie participative par les minorités ou les forces extraparlementaires

Mourad Tabet Chercheur en droit public et sciences politiques
Lundi 30 Mars 2015

Le Congrès des députés a le droit de rejeter toute initiative législative populaire avant même de l’étudier et de la discuter

L’initiative législative populaire Une institution fictive en Espagne ?
La démocratie représentative est un système politique dans lequel les élus représentent la nation ou le peuple dans son ensemble (souveraineté nationale). Contrairement à la démocratie directe, comme c’était le cas dans la Grèce antique, où les citoyens de la cité se réunissent dans une place pour prendre les décisions qui concernent la communauté et la gestion des affaires publiques, dans le système représentatif, ce sont les citoyens-électeurs qui «élisent des représentants et leur confèrent une fonction publique appelée mandat qui les habilitent à agir en leur lieu et place». Dans le système représentatif, donc, l’élu ou le représentant ou le mandataire a un pouvoir discrétionnaire, car il «est libre d’agir à son gré, à sa guise».
Ce système conçu par la pensée libérale bourgeoise, reste dominant dans les démocraties contemporaines. Cependant, «la crise de représentation» qui secoue ce modèle  a poussé ces démocraties à le «renouveler»   et à «corriger»   ses lacunes en adoptant quelques mécanismes de la démocratie directe ou ce  que les spécialistes désignent par  «la démocratie participative». Ainsi, ces mécanismes permettent aux citoyens de prendre part au processus de prise de décision, soit en déposant un texte de loi au moyen d’une initiative populaire, soit en  l’approuvant par voie de référendum, soit en abrogeant une loi votée par les représentants, ou encore en la révoquant.
Dans cet article, on va étudier la démocratie participative en Espagne en se focalisant sur l’une de ses mécanismes, à savoir l’initiative législative populaire.

La démocratie participative 
en Espagne
Une brève lecture de l’histoire constitutionnelle de l’Espagne nous enseigne que les Constitutions espagnoles avant 1931 ne faisaient pas mention d’aucune des institutions de la démocratie participative. L’absence de ces institutions dans les textes constitutionnels espagnols s’explique par «le traditionalisme de la société espagnole de l’époque» et par le fait que les libéraux espagnols n’étaient pas assez imprégnés par «les idées de Rousseau, de Condorcet et d’autres théoriciens du libéralisme radical». 
Ce n’est qu’avec l’accession au pouvoir de la gauche en avril 1931 et  la proclamation de la Seconde République espagnole, que l’Espagne adopte une nouvelle Loi suprême le 9 décembre 1931 qui marque «une rupture» par rapport aux textes constitutionnels antérieurs.
S’inspirant de la Constitution de Weimar de 1919, la Loi fondamentale de 1931 reconnaît, pour la première fois de l’histoire constitutionnelle espagnole, des institutions de la démocratie participative comme l’initiative populaire et le référendum. Ainsi, l’article 66 de la Constitution de 1931 dispose que «le peuple pourra faire soumettre à sa décision, par voie de référendum, les lois votées par le Parlement. Il suffira pour cela que la demande en soit faite par quinze pour cent du corps électoral. Ne seront pas soumis à ce référendum: la Constitution et ses lois complémentaires, les lois de ratification de Conventions internationales enregistrées à la Société des Nations, les Statuts régionaux, ni les lois fiscales. Le peuple pourra de même, dans l’exercice de son droit d’initiative, présenter au Parlement une proposition de loi, pourvu que celle-ci soit demandée par quinze pour cent au moins des électeurs. Une loi spéciale réglementera la procédure ainsi que les garanties du référendum et de l’initiative populaire». Force est de constater que le législateur espagnol a donné, ainsi, au 15% du corps électoral le droit de proposer des lois au Parlement qui a, en fin de compte, le dernier mot pour l’adopter ou le rejeter. Le peuple a également le droit de veto lui permettant de s’opposer à toute loi émanant du Parlement.   
Cette expérience a été vite enterrée avec l’usurpation du pouvoir par le général Franco en 1939. Le régime instauré par le Caudillo a, certes,  fait appel à des institutions de la démocratie participative comme la loi sur le référendum. Mais au lieu de les utiliser «comme de vrais instruments pour garantir une meilleure participation citoyenne» au processus de prise de décision, le régime franquiste les a instrumentalisées pour légitimer son pouvoir.
Après la fin du régime franquiste en 1975 et le retour de la démocratie sous l’égide du Roi Juan Carlos, l’Espagne a adopté une nouvelle Constitution en 1978. Celle-ci prévoit plusieurs institutions de la démocratie participative :
° L’initiative législative populaire (article 87/3).
° Les décisions politiques d’une importance particulière pourront être soumises au référendum consultatif (article 92 ).
° Le référendum pour la ratification de la réforme de la Constitution (article 167  et 168 ).
° Le référendum pour l’élaboration et la réforme du Statut d’autonomie (les articles 151  et 152  de la Constitution).
° Le Conseil ouvert (l’article 140).
Malgré la diversité des institutions de la démocratie participative mises en place par la Constitution de la transition politique en Espagne, plusieurs constitutionnalistes espagnols confirment que le Constituant a opté pour le renforcement de la démocratie représentative au détriment de la démocratie participative. Cela est dû principalement à la réticence du constituant espagnol à l’égard des mécanismes de la démocratie participative. Trois raisons peuvent expliquer cette position :
° La première raison est d’ordre politique. «L’objectif du Constituant était de renforcer le plus rapidement possible le système démocratique en Espagne»  après la fin du régime franquiste. Atteindre cet objectif passe inévitablement par le renforcement des «partis politiques en tant qu’organes de manifestation de la volonté populaire et instruments fondamentaux de la participation populaire».
° La deuxième raison est d’ordre historique. Il s’agit, outre de l’instrumentalisation des référendums par le régime franquiste, de l’image négative que l’utilisation abusive des mécanismes de la démocratie participative avait produite dans certains pays comme l’Italie (instabilité politique).  
° La troisième raison est d’ordre sociopolitique. Le Constituant espagnol redoute une instrumentalisation «démagogique» des mécanismes de la démocratie participative par les minorités ou les forces extraparlementaires. 
Ces trois raisons expliquent pourquoi «l’avant-projet de la Constitution (de 1978) prévoyait plusieurs mécanismes de la participation directe, mais ils ont été sensiblement verrouillés  durant les débats parlementaires (pour l’adoption de la Constitution), de crainte qu’ils ne soient utilisés de manière démagogique par des groupes minoritaires et afin de consolider les partis politiques après quatre décades de règne du régime autoritaire. En résumé, en dépit de l’opposition du député Fraga Iribarne et de son groupe parlementaire, les constituants ont opté pour le renforcement des institutions de la démocratie représentative»   au détriment des mécanismes de démocratie participative qui n’ont qu’un caractère «subsidiaire». Le même constat s’applique au cas français où l'initiative législative populaire a «toujours inspiré la crainte en France»  ou encore au cas italien où «l'initiative populaire s'est heurtée à la vive hostilité des libéraux. Comme le référendum abrogatif, elle altérerait le fonctionnement du régime parlementaire. Les Chambres seraient submergées de propositions dictées par des intérêts sectoriels (50.000 électeurs peuvent-ils prétendre exprimer la vox populi ?) et il en résulterait une dispersion du travail législatif. Si elles ne donnaient pas suite à l’initiative, on ne manquerait pas d’exploiter cette attitude dans le but de discréditer le Parlement, dénoncé comme sourd aux requêtes du peuple et donc inapte à le représenter». 
La suspicion à l'égard de l'initiative législative populaire en Espagne a été traduite par une loi organique restrictive qui impose plusieurs «obstacles qui ont fini par rendre son exercice plus difficile, voire impossible».

Cadre normatif de 
l’initiative populaire
Les spécialistes définissent l´initiative législative populaire comme «le droit reconnu à un nombre déterminé de personnes de soumettre une proposition au corps électoral ; par extension, le terme désigne aussi l'objet de la proposition, autrement dit le texte destiné à être approuvé».
La nature de cette institution fait l’objet de débat entre les spécialistes. Il y a, d’une part, ceux qui la considèrent comme une institution de la démocratie directe comme George Burdeau, Maurice Duverger ou Léon Duguit et il y a, d’autre part, ceux qui la considèrent comme institution qui a un caractère spécifique comme Hans Kelsen ou Carl Schmitt.
Ce désaccord sur la nature de cette institution est dû principalement à l’existence de trois types de mécanismes permettant au peuple de prendre part au processus législatif. Il s’agit, en l’occurrence, de l’initiative législative populaire, de l’initiative populaire et de l’initiative de référendum.
La première institution consiste en la possibilité d’un nombre déterminé de citoyens de présenter une proposition de loi au Parlement qui a le droit de la rejeter ou de l’admettre la convertir en une loi. 
Quant à la deuxième institution, les citoyens ont le droit de présenter une initiative au Parlement, mais, à la différence du premier cas, c’est le corps électoral qui l’adopte par voie de référendum.
En revanche, l’initiative de référendum permet aux citoyens de demander qu’une loi proposée par d’autres organes constitutionnels et approuvée par le Parlement, soit soumise au référendum pour la confirmer ou l’annuler.

Le titulaire de l’initiative 
législative populaire
Qui est le titulaire de l’initiative législative populaire dans le système constitutionnel espagnol? Le peuple ? Les citoyens ou les électeurs ? Ou encore le Comité d’initiative? Répondre à cette question n’est pas une tâche aisée, car il y a au moins trois réponses diamétralement opposées : celle de la Constitution espagnole elle-même, celle de la loi organique régissant ce mécanisme, et enfin celle du règlement du Congrès des députés.
En effet, l’énoncé de l’article 87 de la Constitution espagnole donne une réponse ambiguï et équivoque. Il dispose dans son 3ème paragraphe qu’«une loi organique réglera la forme et les conditions dans lesquelles s’exercera l’initiative populaire pour la présentation de propositions de loi. Dans tous les cas, au moins 500.000 signatures accréditées seront nécessaires. Cette initiative ne s’appliquera pas aux matières propres d’une loi organique, aux questions fiscales ou de caractère international, ni à la prérogative de grâce». Cet article de la Constitution n’évoque que le nombre des signatures requises pour la présentation de l’initiative populaire, mais il ne précise pas qui a le droit de la présenter.
La réponse de la loi organique n’a pas, pour autant, dissipé cette ambiguïté, car elle a donné deux formules tout à fait contradictoires. 
Primo, elle a affirmé dans son préambule que «la Constitution prévoit également la participation directe des citoyens dans le processus de production des normes, définissant le peuple, au moyen de la présentation de 500.000 signatures, comme sujet de l’initiative législative. Cette reconnaissance constitutionnelle de l’initiative législative populaire permet, en premier lieu, la participation du titulaire de la souveraineté à l’élaboration des normes régissant la vie des citoyens, et facilite, en second lieu, l’ouverture des voies pour demander au pouvoir législatif d’approuver des normes dont la nécessité est largement ressentie par les électeurs, mais elles ne trouvent aucun écho chez les formations politiques représentées au Parlement». 
En dépit de cette référence au peuple, le professeur de droit constitutionnel, Paloma Biglino Campos, croit que cette affirmation ne signifie absolument pas que le peuple est le titulaire de l’initiative populaire. Car la nature même de l’initiative législative populaire n’octroie pas au peuple des pouvoirs directs et partant, elle n’est envisagée que comme un droit fondamental dont les titulaires sont les individus .
Secundo, la loi organique donne une autre réponse tout à fait différente à celle exprimée dans son préambule. En effet, l’article 1 de cette loi dispose que «les citoyens espagnols majeurs et inscrits sur les listes électorales peuvent exercer l’initiative législative en vertu de l’article 87.3 de la Constitution, et en accord avec les dispositions de cette loi organique». Les titulaires de cette initiative sont, selon ledit article, les citoyens espagnols. On trouve la même formule dans le règlement du Congrès des députés. Néanmoins, «la citoyenneté est une condition nécessaire, mais pas toujours suffisante pour l’exercice de certains droits, en particulier les droits de participation politique» y compris le droit d’initiative populaire. Et pour exercer ce droit, il ne suffit pas donc que le citoyen soit de nationalité espagnole, il doit être majeur, inscrit sur les listes électorales et jouissant de ses droits critiques et politiques. 
De surcroît, quelques constitutionnalistes espagnols estiment que le titulaire de l’initiative populaire n’est ni le peuple, ni les citoyens, ni les électeurs, mais le Comité d’initiative. Car, c’est celui-ci qui se charge de présenter la proposition au Parlement, de collecte les signatures, et de la défendre aussi bien devant le Parlement que le Tribunal constitutionnel dans le cas de recours d’Amparo comme on va le voir par la suite.

Les domaines exclus
Lors des débats au sein de la Commission constituante sur le domaine de l’initiative législative populaire, les réticents et les sceptiques ont pris le dessus sur les défenseurs de l’élargissement de ce domaine. Une citation du député José Pedro Pérez-Llorca, un des sept pères de la Constitution de 1978, illustre parfaitement cette réticence à l’égard de ce mécanisme de la démocratie participative. Il a, en effet, affirmé que des groupes minoritaires pourraient instrumentaliser l’initiative législative populaire, ce qui pourrait générer des «conflits graves» sur le fonctionnement du système politique. C’est pour cette raison que les dispositions de la Constitution ont limité à l’extrême le domaine de l’initiative législative populaire.
Pour le constitutionnaliste Víctor Cuesta, l’article 87.3 de la Constitution espagnole de 1978 a reproduit presque à la lettre les restrictions du référendum abrogatif mentionnées dans l’article 75 de la Constitution italienne.
Pour aborder la question relative au domaine de l’initiative législative, on va procéder par l’énumération des domaines exclus de cette initiative en vertu de l’article 87.3 de la Constitution et l’article 2 de la loi organique 3/1984 :

° Les lois organiques : L’initiative populaire ne portera pas sur les lois organiques concernant les droits fondamentaux et des libertés publiques, celles qui approuvent les statuts d’autonomie et le régime électoral général, ainsi que les autres lois prévues dans la Constitution. Même la loi organique régissant l’initiative législative populaire est ne peut être modifiée par une proposition de loi populaire. Cette impossibilité a été fortement critiquée par Carmela Mallaina García : «Même si les citoyens savent qu’il est nécessaire de modifier la loi (c’est-à-dire la loi organique), ils ne peuvent même pas la proposer, (…), car en fin de compte, comme nous le savons, ce sont les institutions parlementaires qui acceptent ou rejettent la proposition en première et dernière instance».
° Les normes concernant les impôts : Cette exclusion, selon le professeur de droit constitutionnel Francisco Astarloa Villena, «est tout à fait logique, car une utilisation inadéquate de l’initiative législative populaire dans ces cas pourrait générer des situations démagogiques.
° Le Budget général de l’Etat : La tâche de l’élaboration de cette loi incombe uniquement au  gouvernement, en vertu de l’article 134.1 de la Constitution, alors le Parlement se contente seulement de l’examiner, de l’amender et le voter. 
° La planification de l’activité économique : comme le Budget général de l’Etat, la planification de l’activité économique incombe au gouvernement en vertu de l’article 131 de la Constitution. Lequel article dispose que :
«1- L’Etat pourra, par une loi, planifier l’activité économique générale pour veiller aux besoins collectifs, équilibrer et harmoniser le développement régional et sectoriel et stimuler la croissance des revenus et de la richesse et leur plus juste distribution.

Les statistiques montrent la méfiance à l’égard de l’initiative populaire et la domination des projets gouvernementaux et des propositions parlementaires dans la production des lois en Espagne

L’initiative législative populaire Une institution fictive en Espagne ?
2- Le gouvernement élaborera les projets de planification compte tenu des prévisions qui lui seront fournies par les Communautés autonomes, ainsi que des conseils et de la collaboration des syndicats et autres organisations professionnelles, patronales et économiques. On constituera à cette fin un Conseil dont la composition et les fonctions seront définies par une loi». D’après le professeur Ramón Punset, l’exclusion du Budget de l’Etat et la planification économique du domaine de l’initiative législative populaire ne peut se comprendre qu’en relation avec l’article 134.6 de la Constitution qui exige l’accord du gouvernement pour toute proposition ou amendement qui pourrait entraîner une augmentation des crédits ou une réduction des recettes budgétaires.
° Les matières à caractère international: le professeur Francisco Asterloa Villena estime que l’exclusion est raisonnable puisque c’est le gouvernement qui dirige la politique intérieure et extérieure de l’Etat  selon l’article 97 de la Constitution. 
° La prérogative de la grâce : cette prérogative est exercée uniquement par le Roi en vertu de l’article 62 de la Constitution. Les constitutionnalistes estiment que l’exclusion est tout à fait justifiée, car elle peut être utilisée de manière démagogique.
° La réforme de la Constitution : La loi organique ne fait pas allusion à cette exclusion, mais elle peut être déduite implicitement de l’article 166 de la Constitution puisqu’il se réfère à l’initiative en matière de révision constitutionnelle aux deux premiers paragraphes de l’article 87 régissant l’initiative législative. En effet, la révision constitutionnelle revient au gouvernement, au Congrès, au Sénat et aux assemblées des Communautés autonomes qui «pourront demander au gouvernement d’adopter un projet de loi ou transmettre au bureau du Congrès une proposition de loi».
Une décision n° 76/1194 du Tribunal constitutionnel espagnol datée du 14 mars 1994 a confirmé cette tendance quand il a rejeté le recours d’Amparo des promoteurs d’une initiative législative populaire au Parlement basque exhortant ce dernier à exercer son droit en vertu de l’article 166 de la Constitution et demander de la réviser afin de permettre l’accès à l’autodétermination des territoires historiques basques (Territorios forales), mais le bureau du Parlement basque a rejeté l’initiative. Insatisfaits par cette décision, les promoteurs ont saisi le Tribunal constitutionnel qui a déclaré irrecevable ce recours. 
Dans son fondement de droit n°5, le Tribunal a estimé que «la proposition de loi présentée par les requérants ne pouvait prospérer, car elle se réfère à une matière, celle de la réforme de la Constitution, qui est exclue de l’initiative populaire en vertu de l’article 166 de la Constitution espagnole. (…) La Constitution a réservé la réforme constitutionnelle au gouvernement, au Congrès des députés, au Sénat et aux assemblées législatives des Communautés autonomes, tout en privilégiant les mécanismes de la démocratie représentative sur ceux de la démocratie directe».

L’inadmissibilité de l’initiative
Le législateur a conféré au Congrès des députés un pouvoir considérable dans le traitement et le filtrage des initiatives populaires. En effet, il a le droit de rejeter toute initiative législative populaire avant même de l’étudier et de la discuter. L’article 5 de la loi organique régissant ce droit a énuméré les causes d’inadmissibilité des initiatives législatives populaires. Mais il convient ici de faire la distinction entre deux types de causes : les causes matérielles et les causes formelles.
° Les causes matérielles : elles portent sur le contenu de la proposition elle-même comme celles dont dispose l’article 2 de la loi organique relative à l’initiative législative populaire. C’est-à-dire si la proposition a pour objet l’un des domaines exclus de l’initiative populaire que nous avons déjà développée. 
° Les causes formelles dans le cas où la proposition de loi ne remplit pas les conditions de l’article 3. Toutefois, s’il s’agit d’un vice rectifiable, le bureau du Congrès des députés le communique au Comité d’initiative pour y remédier dans un délai d’un mois. Le bureau du Congrès peut également rejeter une initiative populaire si elle porte sur des sujets manifestement distincts et dépourvus d’homogénéité.
La proposition ne peut être admise s’il existe au Congrès ou au Sénat un projet ou une proposition de loi qui porte sur le même sujet de l’initiative populaire, ou si elle est une reproduction d’une autre initiative populaire de contenu identique présentée lors de la même législature en cours.
Un débat doctrinal a éclaté au sujet de la constitutionnalité de cet article de la loi organique. Certains constitutionnalistes estiment qu’il impose «d’autres limites à l’initiative législative populaire, distinctes de celles prévues par l’article 87.3 de la Constitution», alors que d’autres défendent la constitutionnalité d’une telle disposition étant donné que «la Constitution a imposé directement quelques limites à l’initiative législative populaire, mais laissant à la loi organique le soin de fixer les conditions et les formes de l’exercice de cette initiative et partant, tout ce qui ne contredit pas expressément le texte constitutionnel doit être considéré valide». 
Les décisions du bureau Congrès des députés peuvent être attaquées par le Comité d’initiative populaire devant le Tribunal constitutionnel. En effet, l’article 6 de la loi organique dispose que les promoteurs de l’initiative ont le droit de présenter un recours d’Amparo  contre la décision du bureau du Congrès des députés devant le Tribunal constitutionnel dans un délai de 3 mois à compter du jour où la décision du bureau du Congrès devient ferme, c’est-à-dire après sa publication dans le bulletin officiel du Parlement.
Si le Tribunal constitutionnel fait état que la proposition de loi ne contient aucune des causes de l’inadmissibilité dont dispose l’article 5 de la loi organique, il décide la poursuite de la procédure d’examen de la proposition.
En revanche, si le Tribunal remarque des irrégularités affectant quelques aspects de la proposition, il demande au bureau du Congrès de les communiquer aux promoteurs de l’initiative. Ceux-ci ont le choix entre le retrait de l’initiative ou son maintien après avoir effectué les modifications nécessaires.

Le processus parlementaire
Une fois l’initiative populaire admise, les promoteurs de la proposition de loi peuvent entamer la phase de la collecte des signatures. 
Dans ce cas, c'est la Commission électorale centrale qui garantira la régularité de l’opération. L'initiative doit recueillir 500.000 signatures. Certains constitutionnalistes estiment que le nombre de signatures exigé par le législateur espagnol est excessif par rapport à d’autres pays comme l’Italie ou la Suisse.
Le Comité dispose de 9 mois pour collecter le nombre de signatures exigé par la Constitution. Ce délai est prorogeable de deux mois dans le cas d'une force majeure appréciée par le bureau de Congrès. Passé ce délai, si les promoteurs de l’initiative n’arrivent pas à obtenir le nombre de signatures exigé par la loi, l’initiative deviendrait caduque.
Les signatures doivent être inscrites sur des feuilles contenant le texte intégral de la proposition de loi. Ces feuilles doivent être présentées par le Comité d'initiative à la Commission électorale centrale qui, dans un délai de 48 heures, les retourne scellées et numérotées au Comité. A ce moment-là, celui-ci pourra commencer à réunir les signatures.  
Celles-ci doivent être assorties des noms complets des signataires, leur identité, la municipalité dans laquelle l'électeur signataire est inscrit.
Les signatures peuvent être authentifiées par un notaire, un secrétaire judiciaire, un secrétaire municipal de la municipalité où l'électeur-signataire est inscrit sur la liste électorale de cette municipalité, ou par des personnes désignées par le Comité d'initiative.
Une fois terminée  la phase de recueil des signatures, le Comité d'initiative remet à la Commission électorale centrale les feuilles. Celle-ci les envoie au bureau chargé d'établir les listes électorales pour vérifier si les signataires sont inscrits sur ces listes. Dans un délai de 15 jours, ce bureau remet à la Commission électorale centrale son rapport à ce sujet. Le Comité d'initiative peut à n'importe quel moment demander à la Commission électorale centrale les informations à propos du nombre de signataires.
Par la suite, la Commission procède à la vérification et au calcul définitif des signatures. Celles qui ne respectent pas les conditions exigées par la loi organique sont tout bonnement déclarées invalides et ne sont pas prises en compte.
Une fois la phase de vérification finale terminée, la Commission électorale centrale remet au Congrès des députés un rapport contenant le numéro des signatures valides.
Après quoi, le Congrès commence l’étude de cette proposition de loi pour approbation. 
Dans le cas où le Comité d’initiative réussit à collecter le nombre de signatures exigé par la Constitution, les promoteurs de l’initiative législative ont le droit de recevoir une compensation financière pour les dépenses générées par cette opération. Ces dépenses doivent être justifiées. Cette nouvelle disposition a été introduite par l’amendement de la loi organique en 2006. 
Par ailleurs, l’article 13.2 de cette même loi ouvre la voie au Comité d’initiative de prendre part à la procédure parlementaire, en désignant un représentant pour défendre la proposition de loi devant les parlementaires. Cependant, la loi ne spécifie pas si la présence du représentant du Comité d’initiative se limite aux débats concernant la prise en considération de la proposition, ou s’il assiste également aux débats au sein de la Commission législative.
Selon l’article 13 de la loi organique, le bureau du Congrès des députés ordonne la publication de la proposition de loi. Après quoi, il l’envoie au gouvernement comme toutes les autres propositions de loi. Le gouvernement dispose de 30 jours pour opposer son veto si la proposition populaire pourrait entraîner une augmentation des crédits ou une réduction des recettes budgétaires (article 134.6). Le gouvernement est tenu d’informer le bureau du Congrès de sa décision finale durant ce délai.     
Il convient de noter que le bureau du Congrès inscrira obligatoirement la proposition populaire à l’ordre du jour dans un délai ne dépassant pas 6 mois à compter du jour de la décision de prise en considération (toma en consideración).

La prise en considération
La prise en considération est l’acte juridique par lequel la Chambre parlementaire adopte une proposition de loi émanant, soit des parlementaires, soit de l’initiative législative populaire. C’est un acte essentiel pour que le Parlement commence la phase finale de la procédure législative. Si les parlementaires votent contre, la proposition de loi est rejetée, et s’ils votent pour, le Parlement commence à débattre de la proposition.
Après avoir passé le filtre du gouvernement, le Parlement doit inscrire l’initiative législative populaire à l’ordre du jour de la séance plénière pour que les parlementaires la prennent en considération. Selon l’article 13 de la loi organique, le bureau du Congrès doit inscrire l’initiative à l’ordre du jour de la Chambre dans un délai ne dépassant pas 6 mois. 
Cette procédure (prise en considération) a suscité un vif débat doctrinal entre les constitutionnalistes espagnols, qui défendent cette procédure et ceux qui la critiquent.
Les défenseurs de la prise en considération avancent les arguments suivant :
° Cet acte libre du Congrès constitue un jugement sur la totalité de l’initiative afin d’«éliminer les propositions de loi considérées inopportunes ou contenant des principes contraires à ceux soutenus par la majorité. 
° En outre, la suppression de cette procédure pourrait entraîner la perte du temps du Congrès qui sera contraint de débattre des propositions de loi qui ont peu d’intérêt pour les groupes parlementaires.
° Le Tribunal constitutionnel considère la prise en considération comme un acte libre du Congrès des députés et partant, rien ne l’empêche de décider de ne pas délibérer sur une initiative populaire pour des raisons d’opportunité politique. 
En revanche, les adversaires de cette technique juridique avancent les arguments suivants : 
° Ils estiment qu’il est aberrant d’appliquer cette procédure à une initiative ayant eu l’aval d’au moins 500.000 électeurs, et partant, ils exigent que cette proposition populaire soit admise automatiquement par le Parlement.
° Appliquer cette procédure dénature l’initiative législative populaire. C’est pour cette raison  qu’ils considèrent que l’initiative populaire n’est pas une  proposition législative authentique.
° Enfin, appliquer cette procédure à l’initiative populaire signifie que ce mécanisme de la démocratie participative demeure subordonné à la volonté d’un organe de la démocratie représentative.  
Après avoir été prise en considération par les parlementaires, l’initiative législative populaire  est soumise à la commission parlementaire compétente pour l’étudier, et le cas échéant, l’amender selon les dispositions du règlement intérieur de la Chambre concernée. La réforme de la loi organique en 2006 a introduit une disposition selon laquelle le Comité d’initiative peut désigner une personnalité pour prendre part au débat parlementaire concernant l’initiative qu’il a proposée (article 13 de la loi organique).
Pourtant, le traitement des propositions de loi populaire au Parlement pose quelques problématiques évoquées par le constitutionnaliste Alfredo Ramírez Nárdiz dans sa thèse de doctorat:
° Le Congrès des députés peut amender et changer complètement l’initiative législative populaire. Même si ces changements déplaisent à ses promoteurs, ils n’ont pas le droit de la retirer.
° La loi organique n’exige pas qu’un certain nombre de propositions populaires soit approuvé par le Congrès des députés, ou au moins soit connu de l’opinion publique. En effet, la majorité des propositions sont rejetées sans que la société en soit au courant.
° La loi espagnole écarte complètement la possibilité de soumettre une proposition populaire rejetée par le Congrès des députés au référendum pour l’approuver.
Pour conclure ce volet relatif à la procédure parlementaire, on peut citer un passage de l’article de Carmela Mallaina García qui résume en quelque sorte la complexité de cette procédure : «Si les procédures antérieures à l’entrée d’une proposition de loi populaire au Congrès des députés sont difficiles, elles le sont également quand elles y atterrissent postérieurement pour les discuter et les approuver. Pour cela, on propose également la réforme du règlement du Parlement, surtout le règlement du Congrès des députés afin de faciliter que l’effort effectué par le Comité d’initiative avec l’appui significatif d’un grand nombre de citoyens ne soit pas infructueux». 

L’échec de l’initiative 
populaire
Tous les différents obstacles qu’on a énumérés précédemment (depuis la formation du Comité d’initiative jusqu’à la procédure parlementaire en passant la phase de collectes des signatures) expliquent largement l’échec de ce mécanisme de la démocratie participative. En dépit de l’amendement de la loi organique sur l’initiative populaire en 2006 qui a introduit plusieurs modifications, ce droit reste pratiquement inapplicable. Les chiffres sont ici à l’appui. De 1977 à 2012, 66 initiatives législatives populaires ont été présentées au Congrès des députés, seulement 12 propositions ont pu surmonter la barrière de 500.000 signatures. Une seule proposition législative populaire s’est convertie en une loi. Même dans ce cas, elle a été incorporée dans une autre proposition parlementaire. Quant aux autres propositions législatives populaires, elles ont été rejetées, devenues caduques ou retirées.
Les statistiques montrent la méfiance à l’égard de l’initiative populaire et la domination des projets gouvernementaux et des propositions parlementaires dans la production des lois en Espagne. Depuis la première législature (1979-1982) jusqu’à la sixième (1996-2000), le gouvernement avait proposé 1110 projets de loi et 908 se sont convertis en lois, alors que durant la même période, 1236 propositions de loi (émanant soit des parlementaires ou des Communautés autonomes ou d’initiative législative populaire) ont été présentées. De ces propositions, seulement 161 ont abouti dont 120 lois émanant des propositions des parlementaires, 15 lois des propositions des Communautés autonomes, et seulement une proposition d’initiative législative populaire s’est convertie en loi.
En conclusion, nous citons l’avis de Javier Gracía Roca, professeur de droit constitutionnel à l’Université Complutense de Madrid, cité par le journal El Pais. Le professeur «estime que le succès limité a marqué les initiatives populaires dès sa genèse. Durant la transition politique, il régnait une peur à l’égard de la démocratie participative. Les constituants se justifient par le fait qu’il y avait trop de partis politiques et que l’intention était de fonder un système stable. Ils voulaient éviter une situation similaire à celle de l’Italie où le Parti radical a profité des référendums pour mobiliser le peuple. Mais s’ils considèrent que l’article 87 de la Constitution doit être réformé, ils mettent en garde également contre l’erreur qui consiste à croire que cet article défavorise l’initiative populaire : le règlement du Congrès des députés donne la préférence aux projets de loi du gouvernement et non à toutes les autres propositions de loi. Le gouvernement a toujours la possibilité de ne pas les prendre en considération».
 


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