L’homologation des pesticides, parent pauvre de l’agriculture marocaine


Par Mohamed Zouini *
Vendredi 11 Décembre 2009

L’homologation des pesticides, parent pauvre de l’agriculture marocaine
L’agriculture a toujours été un secteur stratégique pour le développement socio-économique du Maroc. Depuis, l’indépendance, le secteur a connu de nombreux programmes de développement agricole et rural et de réformes structurelles pour permettre au pays d’assurer sa sécurité alimentaire et poursuivre sa croissance économique.
Le Premier ministre, Abbas El Fassi l’a encore récemment réaffirmé à l’occasion du Sommet mondial sur la Sécurité alimentaire, qui vient de se tenir à Rome, en déclarant : « Nous sommes tous convaincus du besoin urgent et vital de replacer l’agriculture au centre de nos politiques économiques respectives et de renforcer massivement les programmes de recherches et de mobilisation de ressources financières au profit du secteur (…) Aujourd’hui, le temps est à l’action ».
Cependant, force est de constater que malgré ces professions de foi, l’agriculture marocaine reste un secteur sous-développé. Si l’on peut admettre que des facteurs comme la croissance démographique, les sécheresses et la mondialisation ont joué un rôle déterminant dans cette situation, il n’en demeure pas moins que ce diagnostic n’explique pas tout, puisque des pays comparables y ont été confrontés.
D’autres facteurs endossent en fait une partie importante de cette responsabilité. Il s’agit notamment de déficits de politiques, d’institutions et de gouvernance. La liste de ces défaillances est longue mais, on peut citer quelques unes, dont la mise à la disposition des petits agriculteurs d’intrants, tels que les produits phytosanitaires, notamment génériques, répondant aux normes en vigueur chez nous, à des prix à leur portée.
C’est l’une des principales conclusions de l’étude prospective sur l’agriculture à l’horizon 2030, menée sous la conduite du Haut Commissariat au Plan (HCP) qui incrimine, entre autre, les déficits accumulés au niveau du service d’homologation des pesticides, en moyens humains et matériels, ce qui l’empêche de répondre aux attentes en demandes d’homologations, d’extension ou de rehomologation, constamment en croissance.
A titre d’exemple de l’immense tâche qui est demandé au service d’homologation des pesticides, citons le nombre d’opérateurs dans le secteur qui est passé, en peu de temps, de moins de 20 sociétés à plus de 50 aujourd’hui. Ceci pour illustrer le nombre croissant de dossier déposés par les opérateurs des pesticides. Faute de moyens humains et matériels, le service d’homologation a été amené à limiter le nombre de dépôts à trois dossiers par opérateur. Mais, même cette option n’a pu atténuer la liste d’attente qui ne fait que s’allonger.« Encore un exemple des blocages des politiques agricoles successives des 50 dernières années qui, même si elles ont apporté des progrès indéniables, n’ont pas pu su aborder le développement agricole dans sa totalité, dans sa diversité et dans sa relation fondamentale avec le développement rural et avec la durabilité. Elles sont restées d’une façon générale trop dirigistes et technicistes, elles n’ont pas pu s’adresser au capital humain, mobiliser et responsabiliser suffisamment les acteurs ou appuyer efficacement leurs initiatives », déclare un opérateur très au fait des blocages qui entravent la vulgarisation et l’optimisation de l’utilisation des pesticides, notamment génériques, donc à porter des petits agriculteurs, dans notre pays. Il faut souligner pour les non avertis, qu’il y a généralement 4 sessions de dépôts de demandes d’homologation, d’extension d’homologation ou de rehomologation, par an. Une par trimestre, si, cependant, il n’y a pas d’urgence ou de crises liées à des infestations conjoncturelles menaçantes qui, forcement, font passer en priorité les demandes d’homologations relatives à ces urgences, retardant du coup toutes les autres démarches programmées. Pourquoi ? Parce que, face à cet accroissement exponentiel de demandes de traitements et de dépôts de dossiers, le nombre de cadres/techniciens chargés de traiter les dossiers en question est de 3. Vous avez bien lu, trois. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce nombre n’a pas varié depuis 10 ans. Aussi, et malgré son rendement, jugé excellent par les opérateurs du secteur, il est matériellement impossible à cette équipe d’assumer pleinement ce qu’on attend d’elle dans les délais. Malgré tout, l’administration de tutelle continue d’éviter de renforce cette équipe et de mettre à sa disposition les moyens nécessaires à la valorisation de sa mission de service public qui intervient dans une large mesure dans l’amélioration de la compétitivité du secteur agricole, à la disposition duquel elle met des pesticides génériques de qualité homologués et dont les prix sont à la portée même des agriculteurs les plus démunis.
D’autant plus que le contexte mondial marqué par la sécurité alimentaire, le changement climatique, la hausse des prix des produits agricoles, la responsabilisation des producteurs, la lutte contre la pauvreté impose de plus en plus au Maroc de revoir sa stratégie agricole dans un sens de mise à niveau, de restructuration et de redéfinition des missions.
C’est dans cette perspective que le nouveau Plan Maroc Vert a été élaboré et ce, pour rendre l’agriculture le principal moteur de croissance de l’économie nationale dans les 10 à 15 prochaines années. Ceci avec des retombées importantes en termes de croissance du PIB, de création d’emplois, d’exportation et de lutte contre la pauvreté.
On comprend dès lors pourquoi l’Office national de la Sécurité sanitaire des Aliments (ONSSA), organisme de tutelle, doit se pencher en priorité sur le calvaire que vivent les opérateurs du secteur de l’agrochimie qui n’arrivent plus à faire face aux blocages administratifs découlant de l’absence de structures d’accueil à la hauteur de leurs attentes et des défis que le Maroc doit relever.
Le temps est sans doute venu pour engager une vraie réflexion sur la question et sur la nécessité impérieuse de relever le Service d’Homologation des Pesticides au statut de Direction ou de Département ou, au minimum, de Division au sein de l’ONSSA, comme cela se fait partout ailleurs, où le pays a une vocation agricole. Un statut susceptible de permettre enfin de redéployer de nouvelles ressources humaines au sein de cette « cellule » et de l’a doter de moyens matériels conséquents (informatique, archivage équipé de NTI, documentalistes, informaticiens, techniciens, véhicules, etc.).
Si l’on admet que la santé animale, la santé des végétaux est aussi importante que les soins prodigués au humains qui se nourrissent de leurs produits, pourquoi, dès lors, ne pas mettre à la disposition de ce service, les mêmes moyens que ceux dont dispose la Direction du Médicament relevant du ministère de la santé.
Le moment est propice, car l’ONSSA connaît actuellement des changements profonds au niveau de la restructuration de plusieurs de ses départements, directions, divisions et services. C’est l’occasion idoine pour se pencher sur l’épineux statut du service d’homologations des pesticides qu’on ne peut plus ignorer, ni repousser aux calendes grecques

* Chercheur, spécialiste des pesticides, phytosanitaires
et génériques destinés à la santé végétale et animale



Qu’est-ce que l’ONSSA ?

L’ONSSA, établissement public, est placé sous la tutelle du Ministère de l’Agriculture. Le texte de sa création précise qu’il est question d’aliments d’origine animale, végétale, destinés à l’homme et à l’animal, à l’exception des médicaments, des produits cosmétiques et du tabac. L’Office est chargé d’élaborer et de mettre en œuvre la politique du gouvernement dans le domaine de la sécurité sanitaire. Il peut également proposer les mesures sanitaires et phytosanitaires afin de préserver la santé publique des animaux et des végétaux. Le contrôle des produits à l’intérieur du pays et à la postes-frontières relève de ses compétences. L’objectif étant d’assurer la cohérence dans le contrôle mais aussi de mettre le système de contrôle des produits agricoles en conformité avec les engagements internationaux du Maroc, notamment les accords de libre-échange, de l’OMC et l’accord d’association avec l’Union européenne. Dernier objectif : promouvoir la qualité et contribuer à l’amélioration de la compétitivité des produits marocains, en institutionnalisant la responsabilité des opérateurs par l’autocontrôle. Pour le ministère de l’Agriculture, il est temps de remédier aux différentes faiblesses du système de contrôle des produits alimentaires. L’une d’entre elles concerne la multiplicité des intervenants à des niveaux différents et parfois contradictoires. En outre, l’arsenal juridique dans ce domaine est lourd et dépassé. A cela s’ajoutent des ressources humaines et matérielles insuffisantes. L’Office est dirigé par un conseil d’administration  composé de représentants de l’Etat, des organisations professionnelles et des associations de protection du consommateur. Il est représenté aux niveaux central, régional et provincial par un pôle vétérinaire et un autre végétal. Le champ d’action de l’Office s’étend à la qualité des intrants. Il s’agit notamment des médicaments vétérinaires, des aliments de bétail, des matériaux au contact des aliments et des pesticides. Les fertilisants, les semences, les plants, les produits de désinfection et de nettoyage sont également dans son champ d’action ainsi que les produits de la pêche et de l’aquaculture.


Quid de la réglementation

La réglementation en vigueur du secteur des pesticides a pour objectif de s’assurer de l’efficacité et de l’utilisation des produits phytosanitaires et assurer la protection de l’homme et de son environnement. A cet effet, la loi n°42-95 définit dans son Article1, les produits soumis à l’homologation et interdit, dans son Article 2, l’importation, la fabrication, la détention en vue de la vente, la mise en vente ou la distribution des produits pesticides à usage agricoles lorsqu’ils n’ont pas fait l’objet d’une homologation. Ceci signifie en clair que les pesticides ne peuvent être importés ou mis dans le commerce qu’après une autorisation préalable du ministère de l’Agriculture. De même, l’Article 3 de ladite loi précise que les homologations ne sont accordées qu’aux pesticides ayant fait l’objet d’essais d’efficacité et d’une étude de leur innocuité à l’égard de l’homme, des animaux et de leur environnement. La demande d’homologation d’un produit pesticide est déposée au Ministère chargé de l’Agriculture (ONSSA). Cette demande est accompagnée de dossiers comportant toutes les données requises sur la matière active et le produit fini soumis à l’homologation : données analytiques, toxicologiques, éco- toxicologiques, biologiques et de résidus (Décret n°2-99-105 du 5 mai 1999).
Après étude préliminaire du dossier d’homologation, les spécialités à base de nouvelles matières actives ainsi que tout produit déjà homologué ailleurs ou qui présente une certaine modification de la composition physique, chimique ou biologique, doivent faire l’objet d’un contrôle d’efficacité biologique au Maroc. Ces expérimentations sont supervisées par les services régionaux de la Protection des Végétaux relevant du Ministère de l’Agriculture. Les rapports des essais sont établis et adressés à l’ONSSA. Aux termes des expérimentations et après étude des données analytiques, toxicologiques… fournies dans le dossier d’homologation, l’une des mesures spécifiées dans l’Article 4 du décret n° 2-99-105 est prise, il s’agit de :
L’homologation (10 ans) pour tout produit dont l’efficacité et l’innocuité ont été reconnues conformes ;
L’autorisation de vente (4 ans) pour tous produits pesticides à usage agricole conformément à l’Article 3 de la loi 42-95 ;
Le maintien en étude sans autorisation de vente lorsque certaines données relatives aux propriétés physico-chimiques, analytiques, toxicologiques, éco- toxicologiques ou biologiques fondamentales de la spécialité ne sont pas suffisamment connues ;
Le refus d’homologation pour toute spécialité non conforme aux dispositions de la loi n° 42-95 et des textes pris pour son application.
Actuellement, la décision est prise par une commission regroupant les différents départements concernés par les pesticides : en l’occurrence : la santé, l’emploi, le transport, l’intérieur, l’industrie, le commerce, l’environnement et l’agriculture.





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