L’exception marocaine en est-elle une ?


Par Siham Mengad *
Samedi 19 Avril 2014

L’exception marocaine en est-elle une ?
A la croisée des chemins entre l’Afrique et l’Europe, le Maroc s’est toujours distingué comme un pays de brassage culturel de plusieurs civilisations. Une autre particularité, cette fois politique, caractérise le pays, celle d’être un «pays-modèle» de changement pacifique en Afrique. Une exception, qui s’est encore consolidée après « le Printemps arabe », où comparativement à ses voisins, le Maroc a traversé «l’orage», sans violence et sans chaos politique. Quelles sont les raisons de cette «exception marocaine» ? Continuera-t-elle à l’être dans l’avenir ? 
Au Maroc, le système politique est issu de la structuration des conflits de pouvoir après l’indépendance. L’Institution Royale a constitué et continue de constituer la clé de voûte du système politique. La Monarchie a permis une stabilité politique, et ceci en raison tout d’abord de sa légitimité historique. Le Maroc est le seul pays d’Afrique du Nord qui ait connu un régime de Protectorat, à la différence du régime de la colonisation directe opéré dans les autres pays. Le colonisateur a trouvé au Maroc un Etat déjà structuré, en raison du système du Makhzen et du rôle du Sultan dans la fondation de l’Etat marocain. La légitimité populaire est un autre atout de la Monarchie. La communion entre le peuple et S.M le Roi Mohammed V lors de son exil est un exemple concret. L’acte de l’exil effectué par le Protectorat français était révélateur du lien solide qui unit le peuple marocain au Trône alaouite. L’attachement populaire à la figure de libérateur et de Commandeur des croyants a consolidé davantage le sentiment national et religieux des Marocains. Enfin, l’Institution monarchique se caractérise par un sens de l’adaptation très élevé. L’alternance politique, en 1999, est révélatrice dans ce sens. Feu Hassan II a pu inclure l’opposition à l’exercice du pouvoir en formant le premier gouvernement d’alternance  dirigé par Abderhmane El Youssoufi. Cela a permis une transition politique pacifique et consensuelle.
Par la suite, le Maroc s’est engagé dans des réformes politiques de grande envergure. La création du Conseil constitutionnel, celle du Conseil consultatif des droits de l’Homme, appelé aujourd’hui Conseil national des droits de l’Homme, les tribunaux administratifs, l’Instance équité et réconciliation, la réforme du Code de la famille, l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH): des réformes saluées au niveau régional et international sur le chemin de la démocratie transitionnelle. Ce sont autant de mesures qui ont préparé le terrain à une succession souple du pouvoir, mais surtout qui ont anticipé sur les attentes de la population en matière des droits et libertés. Cette ouverture anticipée  a été un gage pour le Maroc sur le chemin de la stabilité politique. Toutefois, les attentats du 16 mai 2003 ont donné lieu au retour d’une politique sécuritaire restrictive des libertés publiques et civiles. La pauvreté et la précarité, la dégradation des conditions de vie, et la crise économique qui a touché le monde et le Maroc en 2008, ont été autant de facteurs pour déclencher une crise politique dans l’ensemble de la région arabe, sous la bannière du «Printemps arabe».
Des bouleversements qui vont sans doute toucher un régime et un pays tel que le Maroc. La réaction à ces changements va être proactive. Le discours du 9 mars 2011,  annonçant la réforme de la Constitution en juillet de la même année, était un acte  à même de répondre aux aspirations populaires. 
La réforme était donc au niveau de l’esprit et du cadre général de la Constitution. Mais fondamentalement, le Roi conserve ses prérogatives tout en devant partager l’exercice des fonctions exécutives et législatives avec le chef du gouvernement. Le rôle des autres acteurs politiques, à savoir, les partis politiques, la société civile, l’opposition, les instantes indépendantes, est dorénavant probant. Ils sont désormais des institutions constitutionnalisées. Cependant, le Roi demeure la pierre angulaire dans l’architecture institutionnelle marocaine. 
Tout d’abord, le chef du gouvernement  dispose de plus de pouvoir en matière de nomination et de coordination de l’action gouvernementale. Mais les questions stratégiques, notamment sécuritaires, diplomatiques ou de défense relèvent toujours des prérogatives du Roi. Ce dernier préside le Conseil supérieur des Oulémas, de ce fait, le domaine religieux est de sa compétence exclusive. Ceci relève du caractère spécifique de la Commanderie des croyants au Maroc. Ensuite, le domaine de la loi est toujours restreint. Malgré une relative extension (article 9 à 50), le Parlement pourrait être toujours dissous par le Souverain. Enfin, en présidant le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, le Roi cumule les trois pouvoirs. 
Par ailleurs, l’économie de rente, la corruption ancrée, la répression des mouvements pacifiques, sont autant de risques qui piétinent l’expérience politique marocaine.
A vrai dire, si l’Etat marocain n’était pas en mesure de répondre aux attentes de la société, que ce soit en termes de création de richesses et surtout de justice sociale, ce que l’on appelle «le modèle démocratique marocain» perdrait de sa force de résistance. C’est de la réelle volonté de changement, aussi bien de la part de la Monarchie, des acteurs politiques et économiques, ainsi qu’une action cohérente avec cette volonté, que dépendra la spécificité ou l’exception  marocaine en Afrique du Nord.
 
* Doctorante en droit 
international et sciences 
politiques au GERPAD, Université de Fès 
 


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