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L’entreprise marocaine baigne désespérément dans un climat délétère

Le nombre de conflits individuels va augmentant, le contrat de travail ne sert pas les intérêts des salariés, la culture de la cogestion fait défaut …


Hassan Bentaleb
Mercredi 4 Mai 2016

Qu’en est-il du climat social dans l’entreprise marocaine? Selon des chiffres du ministère de l’Emploi et des Affaires sociales, l’année 2015 a enregistré  le déclenchement de 265 grèves et la solution de 1.310 autres, le traitement de 54.593 conflits individuels du travail, la satisfaction de 75.000 réclamations, la réintégration de 4.129 salariés licenciés et la signature de 467 protocole d’accord et de 9 conventions collectives.
Le nombre de grèves évitées est passé de 972 en 2012 à 1.232 en 2013 avant d’atteindre 1.462 en 2014 et 1.310  en 2015, soit une diminution de 10,4% par rapport à l’année précédente. Le nombre d’établissements concernés par ces grèves est passé de 776 unités de production en 2012 à 1.285 en 2014 avant d’atteindre 1.107.
Concernant les conflits individuels du travail, ils ont été de l’ordre de 36.265 en 2012 avant de passer à 46.687 en 2013 et à 50.062 en 2014. Le nombre de salariés réintégrés est resté, quant lui, stable puisqu’il n’a pas dépassé les 4.000 entre 2012 et 2015.
Pour Khalil Bensami, membre du Conseil national de la CDT, l’augmentation du nombre de conflits individuels du travail est souvent liée à trois facteurs qui sont récurrents, à savoir le non-respect des  libertés syndicales, la non-application du Code du travail et l’absence de couverture sociale. « La majorité de ces conflits sont souvent déclenchés  par la non-délivrance de la carte de travail attestant que le salarié travaille  effectivement dans l’entreprise en question  ou par sa non déclaration aux services de la  CNSS. Le démantèlement des bureaux syndicaux figurent également parmi les causes », nous a-t-il expliqué. Pourtant, notre source demeure pessimiste concernant  ces conflits. D’après elle, ils sont appelés à s’intensifier notamment avec l’augmentation du niveau de conscience de leurs droits chez les salariés et l’entêtement du patronat à ne pas respecter ces mêmes droits. «Le patron exerce les pleins pouvoirs sur  ses employés ; lesquels peuvent être licenciés n’importe quand et sans justification valable. Et cela sans que les syndicats n’osent bouger le petit doigt puisque ces derniers n’ont plus de pouvoirs réels et  qu’ils sont devenus le maillon faible de l’équation», nous a-t-elle précisé. Et d’ajouter : «Prenez l’exemple des salariés réintégrés.  Leur retour  au sein de l’entreprise est souvent difficile. D’autant qu’il n’y a pas  de comité de suivi et de contrôle qui peut attester  que tel salarié a repris effectivement ses fonctions ou non. Lesdits salariés sont réintégrés mais pour combien de temps puisque les patrons acceptent leur retour à contrecœur  et  au vu des montants  qu’ils doivent débourser en cas de licenciement abusif. Les patrons n’attendent donc que l’occasion pour les licencier de nouveau ».
Evoquant la question du nombre de grèves évitées,  Khalil Bensami  attribue sa baisse au rôle joué par les inspecteurs du travail qui assument, selon lui, un rôle important malgré leur nombre insuffisant et les limites légales imposées à leurs missions. En effet, l’année 2015 a enregistré la réalisation dans le secteur du commerce, industriel et des services,  de plus de 22.200 visites d’inspection, de plus de 516.000 observations adressées aux employeurs contrevenants  et de  180 procès-verbaux d’infraction et délits  dressés contre les employeurs contrevenants. Quant au contrôle dans le secteur agricole, ce dernier a enregistré plus de 1.300 visites d’inspection et  plus de 21.500 observations adressées aux employeurs contrevenants.  Les interventions des centrales syndicales, notamment au sommet de l’hiérarchie, ont  également figuré comme facteur essentiel dans l’évitement de plusieurs conflits sociaux.
En réponse à l’augmentation du nombre de protocoles d’accord et de conventions collectives qui est passé respectivement de 162 et 2 en 2012 à 467 et 9 en 2015, notre source nous a expliqué que ces protocoles d’accord sont une pratique annuelle récurrente notamment dans le secteur de la Fonction publique, ce qui explique leur nombre important.  « Ces protocoles encadrent souvent des questions relatives,  entre autres, aux salaires ou aux libertés syndicales et,  du coup, leur impact sur le maintien de la paix sociale n’est pas démontré puisqu’ils n’y contribuent en rien contrairement aux conventions collectives », nous a-t-elle indiqué avant de préciser qu’il n’est, néanmoins, pas souvent fait recours à ces conventions collectives du fait qu’elles ne garantissent pas beaucoup de droits et acquis aux salariés.  « Les syndicats et les patrons hésitent souvent avant de recourir à ces conventions. En effet, ces formes d’engagement  réussissent dans les pays où il y a une justice d’urgence qui permet aux  travailleurs de rentrer avec diligence dans leurs droits en cas de violation de la convention collective », a-t-elle déclaré. Et de poursuivre : « Les conventions collectives ont été signées au Maroc par des établissements publics qui ont été privatisés depuis et qui ont voulu, par ce biais, contourner la rigidité des textes de loi concernant l’avancement, les procédures disciplinaires, etc. S’il y a application de ces conventions,  c’est uniquement dans les entreprises où il existe beaucoup de syndicats mais qui sont dépourvus d’une force réelle et d’une représentativité suffisante».
Pour notre syndicaliste, le véritable problème au Maroc réside dans la spécificité du tissu économique national. « Il n’y aura pas d’amélioration du climat social tant que les entreprises marocaines sont gérées par des patrons qui veulent amasser des fortunes sans contrepartie réelle, tant qu’on a des entrepreneurs qui ne sont pas prêts à partager les richesses générées et tant qu’on a une  justice défaillante, tatillonne et peu efficace.  Une situation des plus compliquées puisque peu de nos entreprises s’acquittent de leurs impôts et qu’un grand nombre d’entre elles sont familiales et fort peu structurées», a-t-il conclu.


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