L’Etoile d’or ne sera jamais marocaine


Par Mohamed Mouftakir Cinéaste
Lundi 5 Décembre 2016

Que signifie un festival international de cinéma dans un pays où il y a de moins en moins de salles de cinéma; pas plus de douze pour être plus concret et qui sont dans un état lamentable? Que signifie un festival international de cinéma dans un pays où on produit de moins en moins de films, on dépasse difficilement les quinze films par an? Que signifie un festival international de cinéma dans un pays où ses cinéastes, ses acteurs, ses critiques, ses journalistes et ses organisateurs ne sont pas mis en avant, ne sont pas valorisés et sont relégués au second plan, tels des figurants ou des comparses d’un péplum et dont la plupart chôme ou émigre pour ne jamais revenir? 

L’Etoile  d’or ne  sera jamais  marocaine
Que signifie un festival international de cinéma où le débat cinématographique est pratiquement quasi-absent, où les conférences de presse n’existent pas, en dehors de ce qui se dit dans les cafés, dans les couloirs des hôtels ou dans ceux menant aux salles de cinéma et qui relève plus du domaine de la médisance, de l’abattage impitoyable que de la bonne critique et de l’analyse?
Je n’entrerai pas dans ce discours creux et insignifiant et qui n’a aucun sens pour moi : Français contre Marocains, ou bien c’est un festival français ou marocain, cette dichotomie colonisateur/colonisé insensée et dépassée.  Le Maroc et la France ont besoin l’un de l’autre, chaque pays a des compétences et un génie qui le caractérisent, les marginaliser et les soumettre au silence, c’est contribuer à ternir sa propre image, car si celle-ci rayonne autour de nous, nous rayonnons aussi. C’est vrai que le Maroc et la France ont une histoire et une destinée communes dictées par la grande  Histoire elle-même et par sa fatalité, mais c’est dans la complémentarité et l’entente que ces deux pays doivent œuvrer pour un futur meilleur et non dans la servitude et la dépendance.
Planter un arbre sans racine, c’est le condamner, planter une racine, c’est avoir un arbre dans le futur, hélas le Festival international du film de Marrakech, ce beau corps sans âme, cet arbre qui a commencé si florissant est devenu un concept qui s’essouffle, chaque année un peu plus. Il perd son aura et sa brillance, car il n’a pas cette âme qui le nourrit et qui le fructifie en lui donnant sa raison d’être et qui n’est autre que la présence du cinéma marocain, avec toutes ses composantes! Un festival, avant qu’il ne soit une infrastructure et des films, c’est d’abord un comportement, une discipline et une culture.
Chaque festival est d’abord  et avant tout un acte politico-culturel, Marrakech n’en fait pas l’exception, mais comment un festival qui se respecte s’impose-t-il au-delà du politique ? Il s’impose d’abord par son histoire cinématographique, par la valeur de ses cinéastes et de ses acteurs, par la qualité des films qu’il sélectionne, par les écrits de ses critiques, par l’aura et la présence de ses journalistes et par la compétence de ses organisateurs. Où en est-on par rapport à tout cela ? 
Un festival ne pousse pas d’en haut, mais d’en bas. Un festival ne commence jamais grand mais il le devient. Le Festival de Cannes a commencé petit, trop petit même, celui de Venise aussi et même celui de Berlin et s’ils ont grandi et sont devenus si importants, c’est parce qu’il y a une production locale intéressante et des cinéastes passionnés, des acteurs phars, des cinéphile mordus  et des politiciens et des peuples qui croient en leur cinéma et le font fructifier.  Si le Festival de Cannes fonctionne, c’est parce que le cinéma français fonctionne, n’est ce pas là-bas que le cinéma avait vu le jour, ceci est aussi valable pour le Festival de Venise et celui de Berlin. Nous savons très bien le rôle qu’avaient joué le cinéma italien et le cinéma allemand dans le développement du langage cinématographique, la preuve c’est que les meilleurs chefs opérateurs hollywoodiens sont d’origine allemande et les meilleurs réalisateurs sont d’origine italienne.
En quoi le Festival international du film de Marrakech est-il important pour le cinéma marocain en particulier et le cinéma international en général? Ce festival est-il reconnu mondialement? Que se passe-t-il quand un cinéaste remporte l’étoile d’or, ce médaillon sans collier? Pour chaque cinéaste, on le sait très bien, il y a un avant et un après une Palme d’or, un avant et un après un Ours d’or, un avant et un après un Lion d’or, mais est-ce qu’il y a un avant et après une Etoile d’or pour tout cinéaste qui le remporte? Je ne pense pas, on plie bagage, chacun rentre chez soi et personne n’en parle !
Pour que ce festival que nous souhaitons grand trouve sa raison d’être qui le rendra incontournable dans le développement de la culture et du pays, le cinéma marocain ne doit pas être présent uniquement par ces films en compétition ou hors compétition, car ce n’est pas cela qui est le plus important, contrairement à ce que croient beaucoup d’entre nous, il doit l’être aussi par son industrie, par ses critiques, son public et ses organisateurs qu’on doit glorifier et mettre en avant, et qu’on arrête de dire et de croire que les nôtres sont incapables d’organiser et de gérer un événement de cette envergure. Les critiques marocains ont aussi le droit d’animer des débats et des master class.  Les journalistes doivent être libres de dire ce qu’ils pensent et orienter le public et contribuer ainsi à enrichir sa culture cinématographique.  Les cinéastes et les acteurs marocains doivent être invités eux aussi, et pourquoi pas, à faire des master class et parler de leurs expériences. On a des cinéastes et des acteurs qui ont fait plus de dix films et on aimerait bien les écouter parler de leur expérience et s’exprimer. Les étrangers, présents dans notre pays lors du festival, ont aussi le droit de les connaître et de communiquer avec eux.  Arrêtons de croire que le plus important ne vient que l’au-delà.  Si on croit qu’on est grand, l’autre nous verra grand aussi et nous respectera, et si on se voit petit l’autre nous verra petit, et on le restera. La grandeur, c’est de chez soi qu’elle devrait émaner, la grandeur est, d’abord et avant tout, locale. 
Je ne vais pas répéter et ronronner ce discours creux, superficiel et irresponsable, que certains ingrats  répètent  à qui veut l’entendre que le film marocain n’est pas à la hauteur et que le cinéaste marocain doit encore apprendre.  Avant de dire ce genre d’absurdité, il faut juste tenir compte d’une seule chose, il n’y a pas un film marocain mais des films marocains, il n’y a pas un cinéaste marocain mais des cinéastes marocains. 
Ceux qui se plaisent à répéter cette absurdité, je tiens juste à leur rappeler la liste des films marocains qui ont honoré leur pays et leur culture et à qui on a réservé des standings ovation qui a duré de longs moments d’applaudissement, d’émotion et de respect partout où ces films vont dans le monde. On est respecté et applaudi hors de chez nous, mais jamais chez nous. Ici on est presque hué ! 
Nos cinéastes confirmés et peu nombreux, qui essaient tant bien que mal de représenter la culture de leur pays, de raconter leur histoire, un pays en ébullition et qui essaie difficilement de se développer et de sortir de l’obscurantisme qui le menace sont abandonnés, chaque jour un peu plus.  Le cinéma marocain est abandonné par ses vrais critiques réduits au silence, laissant le champ libre à des râleurs incultes et superficiels, proférant et ronronnant n’importe quoi, ce n’importe quoi qui contribue plus à la chute de notre cinéma fragile qu’à son ascension. Et puisqu’on est amnésique à ce point, je vous dresse ci-dessous la liste de quelques bons films marocains qui n’ont pas eu le droit ni la chance de représenter le Maroc lors de son grand Festival international de cinéma et dans leur propre pays où ils étaient produits,  des films pour lesquels j’ai un grand respect, : Les fibres de l’âme, A Casablanca les anges ne volent pas, L’endormi, Cœurs brûlés, Terminus des anges, Mort à vendre , Casanégra, Cheval de vent, Carmen, Le grand voyage, Les portes du paradis, Pégase, entre autres…
Le rôle de l’art est de représenter les différentes cultures d’où sont issus leurs artistes en l’esthétisant et en les dramatisant tout en les rendant riches en symboles et en métaphores. Ce qu’avait fait et ce que fait encore Emir Kusturica pour le cinéma et la culture serbes, aucun responsable politique ne l’avait fait avant lui. Qui d’entre nous connaissait bien le cinéma serbe ou s’y intéressait avant que Emir n’arrive ? Que nous le vouliez ou non, que ça nous enchante ou non, on a des cinéastes marocains confirmés qui représentent dignement leur culture et leur pays et devant qui on s’incline respectueusement là où ils vont. Lors d’une conférence de presse que j’avais donnée en France, après la projection de Pégase, mon premier long métrage,  face à un public hétérogène, issu de différentes nationalités et venant de différents pays, je me rappelle bien un producteur américain qui n’en croyait pas ses oreilles en m’entendant dire que le budget de Pégase ne dépassait pas les quatre millions de dirhams, chose qui, pour ledit producteur, n’est même pas les défraiements d’un réalisateur américain qui tourne hors de son pays ! «Voilà notre force et notre valeur ajoutée ; faire un bon cinéma avec peu d’argent », selon les propos du même producteur.
Un pays de cinéma est un pays qui a un public habitué à aller dans ses salles pour voir aussi bien des films que des pièces de théâtre et écouter de la bonne musique, bref c’est un pays qui a une culture artistique active. Un pays de cinéma est un pays qui produit d’abord une quantité de films, des films bons, d’autres moyens et même des mauvais, comme partout dans le monde. 
Ne croyez pas que les films français, américains ou italiens, entre autres, sont tous bons! Ceux qui arrivent jusqu’à chez nous et qu’on prenne pour des modèles indiscutables et en fonction desquels nous sommes jugés sont sélectionnés et choisis au peigne fin. Si un pays produit 300 films par an, c’est normal qu’il ait 30 bons films qui feront sa fierté, le cas des Etats-Unis par exemple. Si on produit 15 films par an, le cas du Maroc actuellement, c’est normal d’avoir 3 bons films, ce qui est d’ailleurs le cas. C’est mathématique, on n’en échappera pas et il n’y a pas de secret. Si vous voulez plus de bons films, il faut produire plus, promouvoir plus et distribuer dans des salles dignes de ce nom et qui devraient exister dans pratiquement chacune des villes de notre cher pays,  petites ou grandes.  
Où en est le Festival international du film de Marrakech dans tout cela?  Apporte-t-il quelque chose au cinéma, à la culture et à l’art marocain?  Que se passe-t-il chaque fois qu’une édition prend fin? Quelle est sa valeur ajoutée? On n’en sait rien.  On s’auto-flagelle, on se culpabilise et on revient bredouille, nos cinéastes sur la croix, sources de nos malheurs, de nos échecs et de nos maux et cause de tous les problèmes, alors que la vraie source du mal est ailleurs, voire nous-mêmes et comment on se regarde et quelle image on donne de soi. Cette image qui nous éloigne, chaque jour un peu plus de cette Etoile d’or qui ne brille pas et qui ne sera jamais marocaine, car elle nous éclaire de si loin, du pays de l’Hexagone et non d’ci, de l’Atlas !


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1.Posté par Sebti le 05/12/2016 04:35 (depuis mobile)
Excellente critique du cinéma marocain. Excellent et surtout émouvant plaidoyer pour une corporation en crise. Il faut écouter cette voix.



2.Posté par Benbachir le 05/12/2016 10:42 (depuis mobile)
Aucun marocain ne pourra contester cette critique tout à fait objective, mais le cinéma est une partie de l''''ensemble à savoir le Corps marocain, ce corps malade. Qu''''en est-il de la culture, de l''''enseignement, du sport de la politique et j''''en passe ?

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