Je me souviens …


Par Hamada Eddarouiche
Samedi 20 Août 2011

Je me souviens …
Le 25 mars 2006, je me trouvais quelque part à quelques encablures de Tifariti, ce minuscule patelin qui porte les stigmates de cette guerre absurde qui empoisonne nos vies depuis 36 ans.
Le Front Polisario venait d’y célébrer, en grande pompe, le trentième anniversaire de la naissance de sa «Jamhouria».
J’avais été entouré de tous les soins, au cours de ces festivités, sans doute pour  déraciner  en moi, le réalisme que j’ai toujours affiché et défendu depuis les premiers jours du cessez-le-feu : trouver une solution médiane entre l’indépendance totale et une assimilation de type phagocytose.
La scène se passe dans un campement fait de tentes, des guitounes en bâches vertes qui servent de demeures aux Sahraouis réfugiés  en Algérie depuis 36 ans. Toutes les tentes sont équipées d’énergie solaire et de paraboles. La « révolution » étant en jachère depuis belle lurette, la télévision a largement pris la place des conférences ronflantes qui embrigadaient les populations naguère. Celles-ci, restent cependant très politisées et informées de l’actualité.
Le fait qui mobilisait l’attention de tous, était la venue de S.M. le Roi en grande pompe à Laâyoune d’où il devait adresser un discours à la Nation. Sa teneur, tant attendue, serait, nous n’en doutions pas, axée sur la question du Sahara.
Nous étions tout un bon groupe de Sahraouis, dans nos immenses tenues bleues d’hommes du désert, des responsables politiques et militaires dans le système polisarien, des Sahraouis de la diaspora, des natifs de Mauritanie, du nord du Mali, du sud Algérien, du Maroc septentrional et du territoire anciennement sous administration espagnole… En somme, des Sahraouis représentatifs de la nomenclature héritée de la « charcuterie » faite à notre espace, par la
colonisation.
Les conversations allaient bon train et nous avons pronostiqué un discours fort, une réponse aux festivités du 27 février, un message qui nous serait sans doute  adressé, peut être une perche tendue, un pont pour franchir ce marécage de tous les malheurs que constitue le conflit pour nous.
L’éventualité  d’un discours menaçant a été elle aussi évoquée...
Nous n’avons pas été déçus dans nos premiers pronostics !
Le Souverain a mis en lumière une très grande proposition: l’autonomie des provinces du sud comme plan de règlement politique du conflit.
Le caractère très solennel de la cérémonie et la mise en place du Corcas  comme institution chargée d’élaborer et de diffuser le plan d’autonomie,  donnent tout de suite  à la proposition, une dimension d’une portée exceptionnelle doublée d’une charge émotionnelle puissante !
Le principe d’autogestion dans un espace démocratique et serein est donc en gestation. Cette annonce nous interpelle. Nos avis étaient partagés entre les extrémistes qui ne veulent rien entendre que les thèses de la direction du Polisario, et ceux qui considèrent la proposition comme une bonne base de discussion. Les radicaux nous font remarquer que notre enthousiasme va s’émousser rapidement quand nous découvrirons à nos dépens que les propositions du Royaume ont toujours été de nature à enliser le conflit pour gagner du temps et briser le souffle et la détermination des populations  des camps de Tindouf.
Le débat a été très animé. Les palabres se sont étirés jusqu’au bout de cette nuit étrange, de verre de thé en verre de thé. Les jusqu’au-boutistes ont été mis en minorité. Nous balancions entre l’espoir qui germait dans nos cœurs et la peur d’être déçus. Le scepticisme regagnait du terrain, il se devait d’être dissipé par de plus amples informations et des contacts à mener avec les nouveaux responsables fraîchement désignés par le Souverain. Ceux-ci devenaient donc les interlocuteurs privilégiés de leurs frères Sahraouis, afin de leur faire accepter la nouvelle donne.
Durant  plus de huit mois, à l’insu du Maroc et du F. Polisario, de nombreuses réunions auront lieu, en plein désert et regrouperont un grand nombre de personnes.
L’ordre du jour était bien entendu notre ralliement au Maroc dans la nouvelle vision Royale.
Les conditions se devaient d’être réunies, c’est-à-dire notre intégration en bonne et due forme, prêts à servir, car le premier objectif auquel on aspirait ardemment était notre responsabilisation dans la mise en forme de l’autonomie.
Suivait dans notre esprit, avec les autorités en charge du dossier, une réflexion de fond sur les modalités de rapatriement et d’insertion du plus grand nombre des nôtres, car avec l’immense espoir qui venait de se lever, nous percevions la possibilité d’un formidable appel d’air en direction des camps.
Nous avions bien mûri nos réflexions et élargi le cercle des participants, malgré les énormes risques encourus.
Arrive le moment du contact avec les autorités marocaines et le choix de nos missionnaires.
L’air du temps et la force du discours Royal nous ont imposé le choix du Corcas comme interlocuteur, et son caractère de représentant légitime de la volonté Royale est incontestable eu égard au discours de Laâyoune et les Dahirs définissant ses prérogatives.
J’ai été choisi comme interface pour ces négociations et la mission m’imposa un sacrifice incalculable, le prix d’une vie, l’arrachement à des racines, à tout ce qui avait fait de ma vie, une belle vie jusque-là.
Ce sacrifice, je l’ai consenti avec  gravité mais aussi une grande fierté. Je ne regrette rien, j’ai agi pour un idéal pour lequel je me battrai toute ma vie : la paix, les retrouvailles des Sahraouis chez eux, au Maroc, acteurs de leur devenir, dans le respect et la dignité, avec en fond d’horizon, l’édification du Maghreb arabe et la fraternité des peuples qui le composent. La vision d’un homme du désert tel que je suis, et tel que je le suis resté, a ceci de particulier que rien n’arrête son regard et donc rien n’arrête sa pensée…
Des contacts et négociations ont été établis en octobre et novembre 2007 avec les hauts responsables nationaux  marocains en charge du dossier. Le dialogue s’est alors installé non-stop. Tous les détails ont été minutieusement passés en revue et sanctionnés par un gentlemen agreement, il ne pouvait pas en être autrement.
La preuve tangible de cette confiance aura comme résultat immédiat la réalisation, qualifiée d’historique, par les sources officielles marocaines, de deux évènements majeurs pour la nouvelle dynamique marocaine :
- L’organisation d’un congrès opposé et concomitant à celui du F. Polisario le 14,15, 16 décembre 2007, désormais connu sous le nom
de « Congrès de Agjijimat » qui sont des petites collines à une vingtaine de kilomètres de Tifariti. D’une témérité inouïe, ce que personne ne conteste aujourd’hui, cette action au nez et à la barbe du Polisario, a immédiatement ajouté de la crédibilité à la proposition marocaine.
- Suivra le premier ralliement en masse de l’histoire du conflit : plus de cent personnes comprenant des cadres et des notabilités de premier ordre, d’horizons et d’appartenances sociales différentes, aura lieu le 27 février 2008 comme conséquence directe de l’événement précité.
Tous ceux qui ont été les acteurs de ces évènements sans précédent, au prix du grand chambardement de leurs vies, espèrent que la communauté nationale ait apprécié à sa juste valeur, la portée de ce ralliement de masse qui a  entraîné de nombreuses lézardes et perte de confiance au sein du Front Polisario.
Les deux événements ont été fortement médiatisés et capitalisés par notre pays et par le Conseil Royal consultatif pour les affaires sahariennes (Corcas) pour des raisons évidentes.
Par contre et c’est profondément regrettable, les effets induits des événements et l’engouement extraordinaire né chez nos frères des camps de Tindouf, se sont consumés en raison de l’immobilisme des responsables du dossier, des petites guéguerres des clans sahraouis, sous le regard bienveillant de notre administration
Plus de trois ans après ces événements, à haute teneur politique et sociale, au moment où de profondes mutations porteuses d’espoir se profilent dans la sphère politico-sociale nationale, et forts de l’esprit et de la lettre des discours Royaux, j’ose poser des questions qui me hantent :
- Dormir sur ses lauriers sera-t-il à l’avenir, une ligne de conduite systématique de notre administration en matière de gestion du conflit ?
- Les conflits d’intérêts et de compétences entre les institutions, peuvent-ils indéfiniment et impunément inhiber l’action dans le sens d’une solution acceptable du conflit ?
- L’exception sahraouie peut-elle expliquer valablement les dysfonctionnements et les manquements qui font le lit du séparatisme et le beurre des rentiers du conflit ?
- L’équation à résoudre, de la première cause nationale, comportera sans aucun doute,  des défis nouveaux et difficiles à appréhender. Pour qui a un peu de vision, ils pointent déjà à l’horizon... La politique de l’autruche est-elle la meilleure posture
face à cette situation qui exige une forte prévoyance et un grand sens de la prospective?
- La mise au placard des figures emblématiques sahraouies, en l’absence d’une relève de la jeune élite à impliquer dans la gestion du dossier, relève-t-elle d’une gestion rationnelle des ressources humaines?
- Cette mise en jachère, de compétences et de bonnes volontés, parmi les plus concernées à trouver une issue bénéfique au pays, est-elle vraiment raisonnable? Le Maroc a-t-il les moyens de s’en payer le prix?
- L’anesthésie du Corcas et la neutralisation progressive du potentiel dynamique des forces ayant immédiatement soutenu et embrassé de l’extérieur, la proposition Royale du projet d’autonomie, ne confortent-elles pas la propagande du F. Polisario ?
Les réponses à toutes ces questions, pour ceux qui analysent et sont immédiatement prêts à servir les Hautes directives royales, figurent clairement dans les discours de Sa Majesté.
Il nous a particulièrement demandé le 31 juillet dernier de faire preuve d’audace pour « concrétiser notre aspiration commune à édifier un Maroc nouveau, uni, démocratique et avancé, garantissant à tous ses enfants une citoyenneté pleine et entière, préservant leur dignité et sauvegardant l’unité et la souveraineté de la patrie».
On y va armés de l’esprit et de la lettre des discours Royaux ! Il faut donc oser!


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