Jamal Fezza : L’intellectuel devrait garder son autonomie et la distance critique à l’égard du pouvoir


Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Vendredi 10 Mai 2019

Il s’intéresse aux méthodologies de base pour acquérir la connaissance.
 Et ses questions suivent des pistes non traditionnelles et interpellent toutes les sciences sociales. Jamal Fezza qui enseigne la sociologie à l’Université Mohammed V à Rabat est parmi les chercheurs convaincus de la conjugaison des normes académiques et scientifiques avec
les interrogations sociales et anthropologiques.


Libé: Quelle lecture faites-vous du champ médiatique marocain ?
Jamal Fezza : Depuis 2002, l’année de création de la HACA (Haute autorité de la communication audiovisuelle) le Maroc, apparemment convaincu de l’importance d’abolir le monopole d’Etat dans le domaine des médias, a choisi la voie de la libéralisation du champ médiatique. Depuis lors, le problème que pose le champ médiatique au Maroc s’est structuré autour de l’axe « liberté/souveraineté ». La liberté nous interpelle à soumettre les médias aux conditions d’ouverture mondiale dans le respect des principes universels des droits de l’Homme, tant au niveau de communication que d’entreprise audiovisuelles, tandis que la souveraineté exige le respect total des valeurs civilisationnelles nationales.
Il me semble personnellement qu’on peut aisément saisir qu’au cours des deux dernières décennies, le problème central des médias au Maroc, qu’il s’agisse des journaux-papier ou des journaux électroniques, est principalement celui de la presse indépendante. Les affaires Mehdaoui et Bouaâchrine en sont des exemples saillants.

Quels rapports tenez-vous personnellement avec les médias marocains ?
Personnellement, mes relations avec les médias officiels sont très limitées et ne dépassent pas le stade des déclarations. Souvent, je ne participe pas à certaines émissions de télévision ou de radio surtout quand les sujets de débat sont loin de mes préoccupations académiques et citoyennes.
Pour les journaux électroniques, je n’hésite souvent pas à leur permettre de republier sur leurs pages médiatiques ce que je publie sur ma page Facebook. Je ne m’abstiens surtout pas lorsqu’il s’agit d’articles analysant des événements ayant des conséquences sur l’avenir. Cela me permet d’avoir davantage de lecteurs. Je cite à ce propos, à titre d’exemple, des articles concernant les mouvements de protestation au Rif et à Jérada et les manifestations des enseignants contractuels. Ces articles véhiculent, à mon avis, des messages que je trouve important de les communiquer au plus grand nombre de lecteurs,  y compris des décideurs.

Quelle image les médias nationaux réservent-ils aux intellectuels marocains ?
Il faut noter tout d’abord qu’avec cette libéralisation du champ médiatique au Maroc, le monde académique s’est ouvert aux sollicitations médiatiques. Mais cette ouverture est une arme à double tranchant; elle offre à la plupart des sociologues un espace public où ils peuvent prendre la parole et exprimer leurs points de vue. Parallèlement et avec cette montée incroyable de la demande de la soi-disant expertise sociologique, les sociologues se sont retrouvés confrontés à un dilemme d’ordre épistémologique, éthique et déontologique : comment pouvons-nous nous adresser à un large public tout en adhérant aux conditions de production d’un discours scientifique rigoureux ?
Par ailleurs, la sociologie, contrairement à l’histoire et plus évidemment encore à la presse, est une science nomologique cherchant à établir des régularités générales qui persistent à long terme. Alors en admettant cela, comment le sociologue peut-il apporter sa contribution à l’actualité ?

Les médias marocains sont-ils suffisamment ouverts aux intellectuels nationaux?
Dans un passé récent, nous déplorions la marginalisation des intellectuels en général et les intellectuels critiques en particulier, par les médias. Aujourd’hui, c’est peut-être le cas inverse. Le domaine de la communication est devenu tellement ouvert aux intellectuels qu’il est désormais possible d’entendre ici et là des voix qui n’ont rien à voir avec la culture et le monde des intellectuels.
Sous la bannière des experts, certains «charlatans » sont malheureusement sollicités par les médias. Ainsi, le problème auquel les intellectuels sont confrontés aujourd’hui n’est pas tant de trouver place dans le monde des médias, mais surtout d’y maintenir une autonomie scientifique. Ce que je voudrais dire brièvement est que l’Etat marocain manque encore d’un projet prometteur susceptible de répondre aux attentes des intellectuels. Le moins que ces derniers puissent faire, c’est de garder la distance critique nécessaire mais constructive à l’égard du pouvoir.

Quels sont les différents angles d’attaque utilisés par les médias marocains pour aborder les différents événements sociaux, politiques ou idéologiques?            
Il me semble que nous vivons aujourd’hui la transition du journalisme engagé en faveur du changement politique et social plutôt qu’une presse centrée sur l’événement en soi.
Sous prétexte d’engagement en faveur de l’objectivité, de la neutralité et du professionnalisme, la grande partie de la presse s’est éloignée de sa mission primordiale d’éclairer l’opinion publique et de contribuer à établir la démocratie et les valeurs de citoyenneté. Sous couvert de qualité et d’efficacité, elle s’emploie à conquérir un large lectorat.
La presse papier et son équivalent électronique s’affrontent aujourd’hui dans une course effrénée à la recherche d’affaires sensationnelles.

Quel regard portez-vous sur les intellectuels marocains fort présents sinon omniprésents dans les médias marocains?                           
Aujourd’hui, nous pouvons parler d’intellectuels au service des médias et de la communication. Ils sont prêts à répondre à n’importe quelle demande et sont facilement mobilisés et manipulés pour servir des intérêts politiques et idéologiques quoique souvent opposés. Ils se présentent comme des experts et vendent des illusions au grand public. Et sans gêne aucune, ils peuvent défendre aujourd’hui une opinion quelconque et la réfuter voire la contrecarrer le lendemain.  
Pour moi, l’autonomie à l’égard du pouvoir et des autorités publiques est la pierre de touche de n’importe quelle définition de l’intellectuel. Je ne parle pas ici de l’intellectuel organique tel que pensé par Gramsci, mais d’un intellectuel qui, quand il se trouve dans l’incapacité de dénoncer l’injustice sociale et de révéler les enjeux du pouvoir derrière la prétendue impartialité des institutions, peut au moins résister à la séduction de l’argent et du monde des affaires.  

Repères
Natif d’Errachidia, Jamal Fezza est passé des études scientifiques à la philosophie en général, à la sociologie par la suite où il s’est investi à la faveur d’études publiées dans plusieurs revues spécialisées ainsi que d’ouvrages notamment « La méthodologie anthropologique », « Le structuralisme de Claude Levi Strauss ou vers une phonologie de la culture » et « La recherche qualitative dans les sciences sociales »…
 


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1.Posté par Meryem hanin le 10/05/2019 12:02 (depuis mobile)
Bon travail

2.Posté par Maria Graham le 25/05/2019 01:53 (depuis mobile)
Je suis très fier de toi mon neveu, combattre les problèmes sociaux et surtout offrir des solutions adéquates pour les résoudre. Vraiment un grand bravo!!!!!

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