Hommage à Said Chraibi

Les doigts fertiles
L’astre discret du luth s’est éteint à l’aurore laissant une indélébile empreinte lumineuse dans nos cœurs. De deuil en deuil, la lune écarlate luit de moins en moins au calice des fleurs. Les jardins de Grenade épandent leur déplorations jusqu’au mont du sospiro del moro.Lissanou Eddine Ibnou Al-Khatib attend les rythmes du virtuose comme les cadences de la pluie sur les collines d’Andalousie. Garcia Lorca est impatient d’évoquer ses sonnets d’amour, les violons des Gitans et sa passion pour la musique que ses parents ont contrariée.
Maestro Rodrigo s’apprête à écouter son concerto ruisselant des cordes du maître  des modes et des mélodies. Les orangers de Marrakech exhalent leur chagrin ocre sur les roses blanches de l’Atlas. Les palmiers de Bagdad résonnent des rythmes réflexifs du fidèle à l’émoi et  à la fidélité. Comme les doigts fertiles de l’ami de la conversation amoureuse des sons, nos yeux sont, à la différence de ceux d’Abou Firas Al Hamadani, féconds de pleurs. Voici un hommage en vers que l’auteur de ces mots rêvait de voir lire par le musicien. Lamort en a décidé autrement comme pour prouver, ainsi que l’écrit Edmond Jabès, qu’elle n’éprouve point de remords :

Oraison de la pluie

Quel hiver!
Ingrat comme ses nuages,
La faucille de la mort
Y moissonne les étoiles
Dans un ciel impassible
Et l'azur reste sans sanglot,
Les jours sont graciles
L'alouette pleure
La future terre sans blé
Et le feu ne rêve plus de
Scintiller à l'arrivant,
Seules les graines de la tristesse
S’épanouissent
Et en tout frisson du vent :
Maroc, Maroc, Maroc,
Le luth est désaccordé
A l’aurore
Il soupire
Dans les monts de Grenade
Et se réverbère
Au crépuscule dans l'océan
Dans l'attente des doigts fertiles
De son maître,
Le soleil esseulé
A contrecœur de la nuit
N'est pas près de paître
Dans la voûte
En regret de l'infidèle
Pluie.