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Hamid Amdiss, éloge de l'aube du Maroc




Hamid Amdiss n’hésite pas à consacrer des jours entiers à admirer l’intensité poétique des pièces de théâtre de Tennesse Williams et à scruter le style de Charles Bukovski

Par Redouane Taouil
Samedi 2 Mai 2015

Hamid Amdiss, éloge   de l'aube du Maroc
«Vivre pour mourir n'est déjà pas amusant, mais vivre en sachant qu'on mourra prématurément, c'est complètement idiot". C'est comme pour conforter ce chuchotement de Tchekov sur son lit de mort que le destin a contraint cet enfant de l'aube du pays de la lune pourpre à hâter le pas en laissant le souvenir d'un homme qui a cultivé sa vie durant le plaisir de l'intelligence : il aimait autant arpenter les livres qu'écouter de la musique en transmettant, dans une complicité proverbiale, ses enthousiasmes de passionné des mots, des idées et de la lyre.
C'est dans ce Maroc où le slogan rimé, "Mohammed V, édificateur des écoles" résonnait formidablement aux oreilles des mères, qu'il a fait sienne la double sentence de "lire et écouter".
Grâce à deux plumes et à des livres placés sous l'injonction originelle, "Lis", à "Bien lire et comprendre" et à "Bachir et ses amis",  à la magie des radios et au dévouement des maîtres d'école, il grandit dans l'amour bilingue. L’enchantement des découvertes d’odes et de mélodies, l’initiation aux humanités et au verbe des mathématiques comme l’adhésion à l’espoir social alors magnifiquement vivace à travers l’élan du Syndicat national des lycéens émaillent ses années passées au lycée. Inscrit à la Faculté de droit de Casablanca, il  suit avec la verve d’un chercheur d’idées en herbe, les enseignements des sciences économiques dans des amphithéâtres où circulent, de poche en poche, « Une introduction à l’économie politique » de Jacques Valier et Pierre Salama, des exercices de statistiques ou sur le monopole discriminant et, sous le manteau, des opuscules interdits. Après sa licence, il intègre l’Université de Grenoble où les séminaires préparatoires au diplôme d’études approfondies animés par Christian Palloix sont une fête de l’esprit. Au fil des textes fondateurs des savoirs économiques, il acquiert le sens aigu des concepts et, grâce à la collection verte des presses universitaires de Grenoble et de Maspero, il nourrit ses connaissances par les termes des controverses sur le statut du capital et sur les modèles de croissance et par les débats sur valeur, prix, rapport salarial, monnaie et Etat. Suite à la fréquentation patiente des écrits de Louis Althusser,  de Cornelius Castoriadis et de Claude Lefort, de Lucio Colletti,Galvano DellaVolpe et de Mario de Tronti, le soupçon devient la lanterne de ses déambulations de lecteur.
 En guise de délassement au cours des longues soirées d’hiver alpin, il se chauffe à l’ardente voix de l’Astre de  l’Orient en sirotant inlassablement, entre autres, l’ode du prince des rimes : « Demandez à mon cœur,/Pourquoi a-t-il  délaissé sa passion/ Et consenti à y renoncer /Peut-être a-t-il a ses raisons ? A-t-il été déçu de la beauté ? »
 Partagé entre la vocation d’incessant chercheur d’idées et la curiosité insatiable d’arpenteur d’œuvres littéraires, il n’hésite pas à consacrer des jours entiers à admirer l’intensité poétique des pièces de théâtre de Tennesse Williams, à scruter le style de Charles Bukovski ou à relire la trilogie de Najib Mahfoud.
C’est sous la direction de Palloix qu’il met ses acquis critiques au service d’une thèse de doctorat sur "Le secteur des moyens de consommation au Maroc" qu’il conçoit dans le sillage de l’approche des systèmes productifs en termes de branches et de secteurs initiée notamment par  Rolande Borrelly dont il appréciait feuilleter l’ouvrage  "Croissance et fluctuations" coécrit avec Gérard de Bernis. A l’encontre des poncifs dominants de l’économie du développement, il plaide pour l’emploi des catégories du « Capital » de Marx dans l’examen des structures productives et les configurations du rapport salarial dans les économies du Sud. De retour au Maroc, il rejoint la Faculté de droit de Marrakech où il enseigne la microéconomie de base dont il a gardé la maîtrise intacte depuis les cours magistralement inoubliables de Michel Moret. Comme nul n’est prophète dans son pays, a fortiori lorsqu’il est en butte à l’adversité, il s’expatrie en Côte d’Ivoire où il occupe à la Banque africaine de développement, pendant de longues années, des fonctions d’expert. A l’orée de la décennie 2000, l’appel d’un autre pays de l’hiver retentit l’invitant à passer le plus clair de son temps au Canada.
Tel Ibnou Hamdiss, le poète andalou homonyme qui ne cesse de nourrir  la nostalgie de sa Sicile natale, il aime laisser affleurer les souvenirs du Maroc d’antan en rappelant les accents kafkaïens de la nouvelle, «La fourgonnette»,  du maître discret des lettres marocaines, Abdeljebbar Shimi, ou en égrenant la lucide élégie « Akhirou Ah » du trio Khammar, Amer, Doukkali, la tendre complainte de Oulaya, « Ana man Ana", ou encore les couplets andalous de Fata Dimachk ou les rythmes et les variations prenantes du chantre de Damas, Najib Assaraj.
Il est rare qu'un féru de lecture ne fasse pas son vœu d’écriture. Stimulé par des investigations sur des personnages de l’âge d’or abbasside, il s’est attelé à esquisser un roman historique. Serons-nous ravis, de lire, à son exemple, ce testament qui serait sans doute l’expression achevée d’une intelligence épanouie sous les cieux du beau Maroc.
 La disparition de l’enfant de ce Maroc affecte tant  ses proches et ses amis ou camarades de classe qu'elle donne immanquablement  à répondre volontiers à l'injonction de Paul Eluard :"Pleure, les larmes sont les pétales du cœur", et à songer à ce propos au célèbre vers de Abou Ala Al-Maâri appris sur les bancs du collège.
 


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