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Hakima Laala : L’image de l’intellectuel dans les médias est assez floue !


Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Mardi 14 Mai 2019

Hakima Laala est le genre de femmes chercheures qui travaillent dans l’ombre. Si le sujet des luttes et de la condition féminine constitue le socle de ses recherches sociologiques, elle ne cesse de mener d’autres activités. Outre ses cours de sociologie, elle occupe des postes de responsabilité, tels que membre de la commission interministérielle franco-marocaine de réflexion sur la promotion de la Moudawana en France, ancienne déléguée du médiateur de la République française. Elle est présidente fondatrice de l’Association des femmes franco-marocaines pour l’accès aux droits et à la citoyenneté à Paris, et ex-présidente de l’Association démocratique des Français à l’étranger-Casablanca.

Libé : Quelle lecture faites-vous du champ médiatique marocain ?
Hakima Laala : Les médias marocains sont, presque totalement, absents du champ social et politique ; je peux parler d’absence comme je peux parler de déni de la vie quotidienne.  Les médias marocains continuent à ne pas être une source d’information pour leurs téléspectateurs, d’où l’explication ou l’une des explications du fait qu’ils suivent et cherchent l’information auprès d’autres chaînes arabes ou européennes, et à faire un usage démesuré des réseaux sociaux.
Le champ médiatique marocain n’a pas une approche construite, réfléchie ; on ne peut pas, non plus, parler d’un plan de communication ou d’attaque ou d’une vision stratégique claire.  Nous sommes plutôt et essentiellement dans une dimension d’animation, le personnel du champ médiatique est centré sur le divertissement, qu’il soit de bonne ou de mauvaise qualité. Le champ médiatique marocain manque d’innovation, d’audace et de création ; presque l’ensemble des programmes donne une image rétrograde de la société marocaine et fonce dans la reproduction des stéréotypes largement dominants dans la société. Pire, le champ médiatique est le premier diffuseur de l’image négative sur le Marocain et essentiellement la femme.
Je peux même oser et confirmer que le champ médiatique inculque au téléspectateur le mépris de soi, de sa personne et de sa société ; il devient «le bouffon» dans plusieurs émissions.

Quelle image les médias marocains réservent-ils aux intellectuels marocains ?
L’intellectuel dans la société marocaine, c’est celui qui maîtrise la parole, un orateur. L’action de réfléchir, ou ce que l’on appelle « intellect » est peu présente dans la définition, car la notion de la raison et l’action de raisonner sont aussi absentes, même méconnues pour plusieurs, y compris pour les professionnels du champ médiatique. Donc, toute la difficulté est de concevoir l’intellectuel comme quelqu’un qui pense.
Le champ médiatique  fait la confusion entre la personne intellectuelle et  la personne cultivée. A savoir qu’une personne intellectuelle est celle qui mène une réflexion. L’amalgame entre l’intellectuel et le cultivé est très répandu dans le champ médiatique ; il suffit de faire preuve d’une grande connaissance dans un domaine précis pour être  considéré comme un intellectuel et même être invité pour débattre  d’un sujet bien précis. Et donc, assez souvent on se retrouve dans un étalage de connaissances ou de savoir sans valeur ajoutée apparente. Ainsi l’image de l’intellectuel dans les médias est assez floue.  S’ajoute à cette conception erronée une autre, celle de concevoir que l’intellectuel doit ou peut mener une réflexion tout en réduisant sa liberté de pensée.
Je pense que les médias marocains ont beaucoup de difficultés  à reconnaître la qualité d’intellectuel aux penseurs marocains, et en même temps, sont assez souvent en train d’ajuster, manier ou attribuer cette qualité scientifique à tout le monde et cela révèle leur méconnaissance réelle de son sens. A force de consommer arbitrairement ce titre «d’intellectuel », il devient un fourre-tout.

Les médias marocains sont-ils suffisamment ouverts aux intellectuels marocains ?
Les médias marocains ne sont pas suffisamment ou pas du tout ouverts aux intellectuels. Je pense que la présence des intellectuels dans les médias est un fait de mode sans plus. On ne peut constater une relation construite ou une passerelle possible entre le champ médiatique au Maroc et les intellectuels marocains. Je pense même qu’il y a un vide intellectuel qui vient de la difficulté des médias marocains à concevoir la place et le rôle des intellectuels dans leur champ en particulier et dans la société en général. Les intellectuels peuvent être vus par les médias comme des «fauteurs de troubles». Donc, il est d’abord nécessaire pour les médias de clarifier leurs relations avec les  intellectuels, de croire à leurs rôles importants dans l’évolution de la société. Il est aussi important de décider de leur place dans les médias et d’élaborer une stratégie pour promouvoir leur rôle comme une élite. La relation des médias avec les intellectuels est très réduite, ils sont présents occasionnellement dans le champ médiatique, une forme de présence qui ressemble à une parodie. On observe l’absence des émissions proprement culturelles, de débat et d’échange sur des sujets sociaux.

Quel regard portez-vous sur les intellectuels marocains fort présents sinon omniprésents dans les médias marocains ?
Je considère que le champ médiatique dans son ensemble est une mise en scène qui est en décalage avec la réalité culturelle marocaine. Il ne favorise pas le débat public.  Cela peut expliquer la résistance de certains intellectuels de s’afficher dans les médias. La volonté des médias est d’abord de faire de ces intellectuels des éléments d’influence d’opinion, mais avec des restrictions de parole et de réflexion. Cet état de fait provoque sans cesse un comportement de rejet des médias par plusieurs intellectuels marocains qui sont conscients du risque d’exploitation.  Ils devraient être très vigilants vis-à-vis des médias qui risquent de réduire  leur liberté de réflexion et de pensée.
D’autres s’engagent et sont omniprésents dans les médias pour commenter des sujets ou des évènements. Cependant, lorsqu’on observe leur présence, elle est assez souvent complémentaire, elle n’est ni fondamentale ni constructive, car l’objectif implicite des médias se limite à construire un «aspect» culturel de la chose sans s’y intéresser réellement. Je constate aussi  que le champ médiatique se réfère aux intellectuels  comme des personnes qui détiennent une vérité quelconque sur un sujet bien déterminé, c’est-à-dire qu’il y a une attente préalable des réponses aux questions posées.  


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