Habiba Bagdade Le mal français du colonialisme n’est pas encore totalement guéri


Youssef Lahlali
Lundi 18 Avril 2016

Libé : Quel est votre sentiment sur le débat autour de la déchéance de la nationalité en France ?
Habiba Bagdade : Concernant la déchéance de la nationalité, on est vraiment devant un mur. C’était suite à la promesse faite par François Hollande après les attentats de Paris. Mais aujourd’hui, l’émotion est passée et la proposition de déchéance est une chose inacceptable. On va mettre d’un côté des Français parce qu’ils ont une seule nationalité et d’un autre ceux qui ont une deuxième ou une troisième nationalité. 
Aujourd’hui, on ne peut pas retirer la nationalité à un Français qui a une seule nationalité. Ainsi, il deviendrait apatride et cela est contraire au droit universel et aux droits de l’Homme. Par conséquent, cette fameuse déchéance de la nationalité ne s’appliquerait que sur des Français ayant d’autres nationalités. Mais celui qui est l’auteur d’un acte terroriste, d’un acte horrible doit payer de son acte et être déchu tout simplement de ses droits civiques. De toute façon, quand une personne est accusée d’acte de terrorisme, je ne crois pas qu’elle sorte rapidement de prison. Si on lui retire la nationalité française, le pays de sa deuxième nationalité va le déchoir également, aucun pays ne veut avoir un terroriste sur son territoire.
Est-ce qu’il y a encore une possibilité d’accord entre le Sénat et le Parlement ?     (L’entretien a été réalisé juste avant le désaccord entre les deux assemblées sur ce projet)
Ça ne va pas passer, car c’est une question qui divise les Français, qui divise à gauche et aussi à droite. Aujourd’hui, on connaît l’avis du Sénat ; il rejette le texte de l’Assemblée ; il doit donc retourner à l’Assemblée nationale pour être révisé dans des délais assez courts. Une fois le texte revu, il doit être accepté par le Sénat et il faut ensuite rassembler le congrès. Tout cela prendra du temps, on s’approchera des élections présidentielles et on ne pourra plus réunir le congrès.  Personnellement, j’espère qu’on n’aboutira pas à un accord.  Ce sera alors le moment pour le président de la République de trancher  et d’abandonner cette réforme constitutionnelle de la déchéance de la nationalité. (C’est ce qui s’est produit. Depuis cet entretien, François Hollande a abandonné son projet de révision).
Comment la classe politique a-t-elle été entraînée dans ce piège qui n’a pas de sens ? 
En France, on traverse une grande crise identitaire. L’expression « crise identitaire » a été employée, cela fait longtemps, par Sarkozy et son ministère de l’identité.  La déchéance et la binationalité sont arrivées dans le débat public en France. Pourtant, cela a toujours existé sans créer le moindre problème.
 La déchéance de la nationalité est arrivée comme en résonance à un discours de l’extrême droite qui est aujourd’hui repris et partagé   par une certaine classe politique de droite comme de gauche et du coup récupéré par l’ensemble des Français.
 Comme le peuple français dans sa majorité vit  cette   crise, il est dans le repli sur lui-même. La déchéance de la nationalité arrive comme une solution au problème de la France,  mais ce n’en est pas une. C’est pour cela qu’il a cette résonance-là. Aujourd’hui, ceux qui ne défendent pas cette déchéance sont restés sur les questions de  fond et le risque de diviser les Français.
Est-ce que cela voudrait dire que la France n’a pas tourné complètement la page colonialiste et son regard sur les autres ?
Moi, je crois que ce mal français du colonialisme n’est pas encore totalement guéri. On le voit bien avec ces questions sur la déchéance de la nationalité et le droit de vote des étrangers. Certains conservatismes existent depuis toujours. On a déjà vu cela lors du changement de la Constitution en 1992. Quand on a signé l’accord de Maastricht qui accorde les mêmes droits à tous les Européens, la France a été le dernier pays à changer sa Constitution pour accorder ce droit aux autres Européens. Parmi les électeurs, il y avait des gens contre ce vote des citoyens européens, alors qu’on avait signé Maastricht. En France, il y a toujours ce conservatisme et le rejet de la réforme des droits pour tous.
Propos recueillis par


 


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