HISTOIRE DE…LIRE

De quoi la littérature est-elle le nom?


Par Younès Ez-zouaine
Jeudi 28 Février 2019

Lire, ce que lire veut dire, est devenu un acte d’ostentation pure et dure au Maroc. Tenir un livre entre ses mains est le signe même du snobisme propre à une gent qu’on considère, à tort ou à raison, futile et frivole. La chanson de Gnawa Diffusion en dit long : les intellos balkilo…! L’intellectuel, figure majeure du lecteur (cf. Mythologies de Barthes), s’est banalisé au point de se faire ramener, ironiquement, au statut de celui qui lit en changeant à chaque fois de paires de lunettes. Mais de quels livres parlons-nous ?
C’est que derrière le constat de la faillite de notre littérature et, partant, de notre culture, il y a une réalité amère. La littérature n’attire plus personne (était-ce, d’ailleurs, le cas avant ?) et pour cause. Lecteurs et spécialistes en conviennent. L’auteur marocain ne parle plus au lecteur, n’arrive plus à toucher son cœur et à le faire rêver. 
Quoi de plus misérable qu’un livre, écrit en français ou en arabe peu importe, qui mobilise un imaginaire importé ou restrictif ? Quel rapport a le lecteur marocain avec des personnages qui font dans l’exception plus qu’ils ne reflètent un réel donné, le leur ? La file des ivrognes, des culs-de-jattes, des manchots, des estropiés (d’un œil ou d’autres organes nobles), des homosexuels, des androgynes, des garçons manqués, des assises de hammam ou d’autres extravagances de la nature et du sort traverse, tel un fleuve en crue, le paysage littéraire marocain. Ne trouvez en cela, ô lecteur, (« Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère ») aucun rabaissement d’une certaine littérature de la marge (ou de la délinquance). 
Délestons-nous des normes et des canons : la littérature a pour simple vocation de rendre le vécu intelligible, de mettre à la hauteur de notre perception circonstanciée des personnages pouvant coïncider avec nos idéaux : des âmes qui souffrent ou qui se révoltent pourvu que leurs cris reflètent tant bien que mal la complexité de notre réel.
N’est-il pas vrai qu’une nation qui se porte bien est une nation qui sait parler d’elle-même ? L’Allemagne du XIXe siècle est l’exemple courant chez les historiens des idées : un discours sur la nation en tant qu’elle est un tout semblable mais différent des autres entités nationales. La littérature et les autres arts (en rapport d’infériorité, hélas, avec le sport) constituent l’un des piliers qui permettent de mettre en évidence l’identité nationale. Une littérature qui se porte bien est le signe de santé d’une nation qui se porte bien et vice-versa. 
La revue Souffles avait apporté jadis beaucoup d’eau au moulin de ce débat : « Décoloniser les esprits ; recoloniser la culture », disait Abdellatif Laâbi. Libérer les esprits et attiser l’imagination ; débarrasser la littérature nationale des carcans aussi bien classiques que pseudo-modernistes. Enfin, de quoi la littérature est-elle le nom au Maroc ? De la misère de notre réalité.
 


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