Faut-il que le Maroc boycotte les sociétés et les produits suédois ?


Par Hicham El Moussaoui *
Vendredi 16 Octobre 2015

Le 28 septembre dernier, les autorités marocaines ont annoncé la suspension de l’ouverture du magasin Ikea. Une décision justifiée officiellement par le fait que la marque suédoise n’est pas en possession des autorisations administratives nécessaires. Bien évidemment, il s’agit d’un prétexte puisque tous les indices semblent montrer qu’il s’agit d’une réaction par rapport à l’intention du Parti Social Démocrate au pouvoir de présenter un projet pour la reconnaissance du Polisario, ce qui porte atteinte à l’intégrité territoriale du Maroc. L’affaire d’abord politique a connu rapidement l’escalade puisque le Maroc, depuis le 1er septembre, boycotte les sociétés et les produits suédois. La décision marocaine est-elle sage ?
De prime abord, disons que le boycott par le Maroc des produits suédois, pourrait flatter l’ego des autorités marocaines, mais il n’aurait pas des effets diplomatiques favorables au dossier du Sahara. La raison en est simple : le Maroc ne représente pas un partenaire économique stratégique pour la Suède. Certes, certains groupes suédois (Volvo, H&M, Electrolux, etc.) ont quelques intérêts économiques, mais pas au point que le Maroc devienne incontournable. De même, le boycott marocain ne fera pas assez peur aux hommes d’affaire suédois pour courir faire pression sur leur gouvernement. Ceci est d’autant plus vrai que les échanges commerciaux et économiques avec la Suède restent marginaux, puisque ne représentant que 0,5 du solde commercial du Maroc en 2014, sans oublier que la balance commerciale est déficitaire au détriment du Maroc (déficit de 3 milliards de des en 2013). Autrement dit, en matière économique on est en position de faiblesse et nous n’avons pas le pouvoir économique suffisant pour infléchir la position de la Suède. Si on empêche IKEA de travailler au Maroc, ils iront ailleurs, et c’est le Maroc qui perd plus que la Suède. On a plus besoin d’eux que eux ont besoin de nous. C’est la raison pour laquelle la réaction marocaine est désespérée et désespérante!
En conséquence, la carte du boycott économique est non seulement perdante diplomatiquement, mais risque d’avoir justement des effets pervers économiques. En effet, cette décision s’inscrit en contradiction avec le choix stratégique d’une économie ouverte fait par le Maroc. Choix qui est souvent mis en avant même pour promouvoir l’image du Maroc en tant que Hub et tremplin vers l’Afrique. De ce point de vue, cette décision risquera d’écorner et de ternir la réputation et l’image que le Maroc essaye de véhiculer auprès des investisseurs étrangers, en tant que destination favorable et accueillante pour tous les investisseurs. Ceci est d’autant absurde qu’aujourd’hui on vit dans un contexte mondialisé et que les labels nationaux n’ont plus une grande signification en raison de la fragmentation des chaines de valeur mais aussi la libre circulation des capitaux qui rendent l’identité des entreprises multinationale plutôt que nationale. D’ailleurs, rappelons ici que ce sont des investisseurs Koweitiens (groupe Al Homaizi) qui sont à l’origine de l’introduction de la marque IKEA au Maroc et qu’en boycottant la marque suédoise, on ne fait en réalité que boycotter les capitaux des pays du Golf. C’est complètement absurde et irrationnel. Donc non seulement ce boycott n’aura pas d’effet diplomatique positif, mais il va n’avoir que des effets économiques négatifs pouvant dissuader certains investisseurs.
C’est vrai que le facteur économique est fondamentalement important pour soutenir la cause nationale. Et ce n’est pas valable uniquement pour le Maroc, puisque l’on voit qu’aujourd’hui la carte économique est déterminante pour infléchir les positions des pays sur l’échiquier géopolitique et géoéconomique. Ceci étant dit, l’on ne peut qu’être surpris par la position marocaine, d’autant qu’elle s’inscrit un peu a contrario de la ligne adoptée par le Maroc au milieu des années 90 vis à vis du continent africain.
En effet, et suite à sa sortie de l’UOA en 1984, le Maroc a beaucoup perdu sur le terrain politique du fait de son absence des instances de délibération au sein de l’Union africaine.
Les autorités marocaines se sont rendu compte que la politique de la chaise vide était contreproductive, Mais en même temps, ils ne pouvaient pas revenir sur la position adoptée par Hassan II. Le compromis a été de rester en dehors de l’UA et de pratiquer la diplomatie économique afin de convaincre les pays africains de renoncer à leur soutien au Polisario, sinon du moins rester neutre. Et ça a marché car grâce à la densification des liens commerciaux et économique, pas mal de pays voyaient leurs intérêts à long terme plus avec le Maroc qu’avec le Polisario. Ainsi, la réaction marocaine va à l’encontre d’une diplomatie intelligente visant à infléchir les positions des pays encore récalcitrants par la persuasion, mais aussi par la densification des intérêts économiques communs. En conséquence, la réaction du Maroc par rapport à la Suède, peut être interprétée comme une réaction irrationnelle de souveraineté versant uniquement dans la symbolique et surtout contreproductive.
Ainsi, il est plus opportun pour le Maroc de développer les échanges économiques avec la Suède pour les ramener à un niveau tel que la Suède pensera que son intérêt est mieux servi avec le Maroc que le Polisario. Cela passe par une diplomatie économique agressive pour convaincre les Suédois de venir investir au Maroc, mais aussi prospecter le marché suédois pour y exporter. C’est de cette manière qu’on pourra faire pression sur les suédois. La diplomatie économique balisera le terrain devant la diplomatie politique.
Bref, si la réaction marocaine est discutable, celle de la Suède l’est autant dans le sens ou en 2013 déjà, des entreprises suédoises ont décidé de boycotter les exportations marocains (produits alimentaires, produits de sante, phosphates et dérivés) en raison du conflit du Sahara et leur soutien au Polisario. Si la Suède voudrait donner des leçons, elle doit d’abord commencer par balayer d’abord devant sa porte, et surtout ne pas commettre l’erreur de « nationaliser l’échange » et promouvoir la logique pernicieuse d’« Eux contre nous ».
Car cela ne peut amener qu’a la radicalisation des positions des uns et des autres. N’oublions jamais ce que nous dit Montesquieu : l’échange adoucit les mœurs ». C’est valable aussi bien pour les marocains que les Suédois.

 * Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane
Article publié en collaboration avec Libre Afrique


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