Estelle Marratche, une fière doukkalie à Paris


Par Mustapha Jmahri (écrivain)
Mardi 19 Avril 2016

Descendant en ce matin du 5 avril 2016 à la gare ferroviaire de Marne-la-Vallée-Chessy dans la banlieue parisienne, j’ai jeté, encore une fois, un regard rapide sur ma fiche de rendez-vous. L’heure convenue avec la Jdidia Estelle Marratche et son époux, le sympathique Bidaoui Edmond, était fixée à 19h à mon hôtel du boulevard Voltaire à Paris. Théoriquement, j’avais tout le temps devant moi mais Paris n’est pas El Jadida, et ici, dans la capitale des Lumières, le temps passe plus vite qu’ailleurs en raison, bien évidemment, des inévitables déplacements, des prévisions de la circulation et d’autres péripéties.
Je connaissais Estelle depuis, au moins, une quinzaine d’années mais sans jamais la rencontrer vraiment. Jusque-là, nos échanges se faisaient par courrier postal ou par e-mail. Mais Estelle, qui est une authentique Mazaganaise, n’est pas seulement bent bladi, ou fille de mon pays, elle est aussi une fidèle lectrice des Cahiers d’El Jadida dont je suis l’auteur, et dont elle détient la collection complète. C’est une amoureuse inconditionnelle de Mazagan et de tout ce qui lui rappelle, de près ou de loin, Mazagan, sa ville natale, la cité de ses ancêtres, les Bensimhon.
Edmond, son mari, dont j’ai eu la joie de faire la connaissance, est d’origine souirie, mais Casablancais de naissance. Un Casablancais d’agréable compagnie, au grand cœur, avec un esprit large et une vision humaniste des choses, des peuples et de l’Histoire. Alors qu’il sortait tout récemment d’une période de convalescence suite à un malaise cardiaque, il a tenu à nous rencontrer en personne, mon épouse et moi-même. Notre rencontre nocturne, ce jour-là, s’était déroulée d’abord dans le hall d’accueil du Grand hôtel, à l’heure convenue, avant de se poursuivre dans un restaurant de poissons, très convivial. Le sympathique propriétaire de l’hôtel, Si Houcine Ouali, grand ami des Marratche, s’est joint à nous, un homme de grande culture et qui, plus est, nous a parlé avec fierté de ses lointaines origines idrissides de Moulay Abdeslam Ben Mchich Alami. Il est d’ailleurs adepte assidu du Festival des Musiques sacrées du monde qui se tient, chaque mois de mai, à Fès.
La famille Bensimhon, bien connue à El Jadida, habitait la rue montante Victor Hugo, juste en face de l’internat du lycée Ibn Khaldoun. Le père Charles Bensimhon lisait et parlait l’arabe couramment. Il avait pris la relève de M. Weuvert, comme gérant de l’hôtel-restaurant de la plage et faisait partie de l’équipe de football de la ville. Charles était l’ami intime du caïd Ali Zelmat, du transporteur Si Bouchaib Bouchtia et de Haj Jebli. Joseph Bensimhon, oncle d’Estelle, était, lui, professeur d’arabe et a eu comme élève le fils Jebli et Mohammed Amor, futur ministre du gouvernement marocain. Joseph et Charles étaient, par ailleurs, de fervents sympathisants du parti de l’Istiqlal. D’ailleurs précise Estelle, les deux frères avaient souffert, au temps du Protectorat, du fait de leur sympathie déclarée pour ce parti, considéré, alors, comme opposé à l’administration française.
Estelle a grandi, étudié puis travaillé à El Jadida. A l’époque, elle devint enseignante à l’école Trii, en bas du quartier Derb Ghallef. Ses collègues enseignants n’étaient autres que Si Benallal et Si Sabri. Ce dernier a pris la direction de l’école au lendemain du départ précipité de l’ancien directeur algérien, M. Méliani, qui était retourné à son pays en 1963. «Mes deux collègues Si Benallal et Si Sabri étaient à mon mariage en 1965», se rappelle-t-elle.
Estelle nous raconta également, avec beaucoup de plaisir et d’emphase, des bribes de ses années d’apprentissage à El Jadida où elle était en classe avec Colette Moret, Radia Boujibar, Joudia Hassar, Bernard Paul, Léo Sellier, Bernadette Carbou et Claude Azoulay, frère d’André Azoulay, conseiller de Sa Majesté le Roi. Parmi ses autres amies, Naïma Loulidi, dont le père était commissaire de police et Jeannette Zemrod, fille de l’épicier libanais, et qui s’était mariée avec un jeune commissaire de 22 ans, Mohammed Limati, dont la secrétaire n’était autre que Suzanne Zemrod, sa sœur cadette.
Lorsqu’Estelle arriva en France en 1973, son père s’était installé tout d’abord dans le sud de l’Espagne et il y resta 25 ans avant d’immigrer en France où il mourut en 2006 à l’âge de 90 ans. Depuis, Estelle vit entre Paris et Casablanca mais sans jamais revoir sa ville natale de crainte de ne pas trouver le Mazagan d’hier. En fait, elle ne veut pas, dit-elle, altérer l’ancienne image de sa cité, qu’elle garde toujours en mémoire, avec ses lumières, ses couleurs et ses odeurs.
Et alors que les discussions aux autres tables du restaurant portaient, très probablement, sur la manifestation des jeunes Français contre le projet de loi El-Khomri qui avait lieu ce jour-même sur la place de la Nation, à quelques mètres seulement de notre restaurant, à la nôtre, par contre, la discussion portait principalement sur la douceur de vivre à Mazagan au lendemain de l’Indépendance. Edmond, amusé, nous révéla qu’il avait vu plusieurs fois les yeux de son épouse briller en cette soirée lors de ces retrouvailles tant attendues. Edmond nous gratifia de beaucoup d’anecdotes, de joyeuses plaisanteries, et de morceaux de chansons marocaines d’Abdelhadi Belkhayat et d’Abdelwahab Doukkali notamment celle où il déclare : «Lehla yzid ktar, soit Y’en a assez, je suis fatigué de patienter».
Réagissant sur l’actualité récente, Estelle nous affirma ne pas comprendre la facilité langagière d’une certaine presse francophone qui, après les attentats terroristes de Paris et de Bruxelles, collait l’attribut « belgo-marocain » aux meneurs de ces attentats, ignorant que ces criminels sont nés, ont grandi et ont toujours vécu en Europe. Elle est révoltée contre cette presse qui, dans le cas d’espèce, étiquette les Belges selon l’origine des parents.
Tout au long de cette soirée, Edmond et Estelle Marratche, reconnaissant la valeur de la vraie amitié, n’ont pas cessé de nous parler en termes très élogieux de leur ami Si Houcine. Edmond le considère comme son véritable frère tant il a partagé, comme dit Jean-Jacques Rousseau, ses plaisirs et ses peines, ou comme dit le proverbe arabe «L’ami ne se connaît que quand on a recours à lui».
C’est sur cette note d’amitié sincère et désintéressée que nous nous sommes quittés hélas en cette soirée inoubliable sur le perron de notre hôtel.


Lu 2068 fois


1.Posté par Tayeb Esserrakh le 03/06/2017 02:33 (depuis mobile)
Hallo.freut mich sehr .Sie zu sehen als Familie von Herr ksiksu. Ich bin der enkel von caids mhamed ben matti triii.

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.







L M M J V S D
1 2 3 4 5 6 7
8 9 10 11 12 13 14
15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28
29 30          


Inscription à la newsletter



services