Entretien avec Amina Bouayach, présidente de l’OMDH : “Nous vivons une crise de gestion des droits de l’Homme”


Entretien réalisé par Narjis Rerhaye
Samedi 28 Mars 2009

Entretien avec Amina Bouayach, présidente de l’OMDH : “Nous vivons une crise de gestion des droits de l’Homme”
A l’occasion du 7ème congrès national de l’Organisation marocaine des droits humains, Amina Bouayach qui boucle ses 3 ans de présidence, évoque les nouvelles violations des droits de l’Homme et explique le combat contre l’impunité que mènent désormais les activistes
de cette ONG. Parce que, dit-elle, la fin de
l’impunité est la seule manière de nous prémunir contre les exactions

Libé : Le Congrès national de l’Organisation marocaine des droits humains s’est ouvert vendredi 27 mars à Rabat. Cela fait trois ans que vous êtes à la tête de l’OMDH. Quelle évaluation faites-vous de la situation des droits de l’Homme dans notre pays ?

Amina Bouayach : Je dirais qu’il y a une crise de gestion de la problématique des droits de l’Homme, et ce à plusieurs niveaux : les autorités publiques, les acteurs politiques, les institutions, la justice.

Que signifie une telle crise de gestion ? Est-ce à dire que tous les acteurs que vous venez de citer n’ont pas su encore développer une manière d’aborder les droits humains ?

Tout à fait. Il n’y a pas une manière d’aborder la question des droits humains au Maroc. Nous ne sommes pas dans une phase de recul. A l’OMDH, nous essayons de mesurer le recul autant que nous prenons la mesure de l’étape dans laquelle nous nous trouvons.
Nous ne sommes pas en fait dans une étape de recul mais dans une phase où nous n’avons pas une stratégie, une vision pour renforcer ce processus. Toutes les questions, tous les volets où il y a eu violation des droits de l’Homme n’ont pas la même nature des violations et exactions qui ont eu lieu par le passé. Ce ne sont pas des violations graves. Nous pouvons dire qu’elles ne sont pas graves, parce qu’il y a des critères des violations graves des droits de l’Homme et aussi parce que nous avons un grand respect et une appréciation différente des victimes des violations graves des droits de l’Homme. Ce sont des personnes qui ont subi les atrocités d’un système politique. Actuellement, ce sont des violations des droits de l’Homme d’une autre nature auxquelles nous assistons. Passer d’une période de violation grave des droits de l’Homme à une période de respect des droits de l’Homme a provoqué une crise de gestion chez nous.
Nous ne comprenons pas parfois certaines décisions prises par les autorités marocaines. Nous ne comprenons pas non plus l’intervention des forces publiques dans les manifestations. Autre exemple, s’il n’y a pas une restriction de la liberté de presse, il y a une autre manière de restreindre en condamnant à de lourdes amendes des journaux. Tout cela provoque une gestion qui nous interpelle d’une manière urgente. Il faut poser le problème et dire que nous sommes dans une situation de crise de gestion. Aujourd’hui, la question qui se pose. Comment parvenir à une responsabilisation ?

Durant votre mandat à la tête de l’OMDH, plusieurs événements ont survenu. Vous avez eu à faire des rapports sur ce qui s’est passé à Sidi Ifni, Ksar El Kebir, Sefrou…Vous avez été aux côtés des blogueurs condamnés et emprisonnés. Vous étiez là où des voyants rouges se sont allumés et ce qui vous a valu parfois des critiques acerbes. Est-ce que vous dites que c’est le prix à payer pour la professionnalisation des droits humains ?

A ce titre, je pense que l’Histoire nous a donné raison. L’OMDH a toujours été une cible des autorités et des radicaux au Maroc. L’histoire nous a donné raison d’abord dans la manière avec laquelle nous avons soulevé, depuis notre création en 1988, la question des violations des droits de l’Homme et nous a aussi donné raison dans tous les événements que nous avons accompagnés.
Je voudrais revenir sur les événements de Sidi Ifni. Quand je lis le rapport de l’enquête parlementaire sur ce sujet, j’ai été vraiment surprise de voir des personnes incapables d’assumer la responsabilité de leurs premières déclarations.

Qu’entendez-vous exactement par cela ?

Je vous rappelle que  certaines associations parlaient de violations graves des droits de l’Homme à Sidi Ifni, craignant même un retour en arrière. Ces mêmes associations ont déclaré devant la commission d’enquête parlementaire qu’il n’y a pas eu recul. C’est de toute cette ambiguïté que je suis en train de parler. Dans un cadre fermé, on tient un discours et dans un cadre ouvert, on tient un tout autre discours. Je pense que nous allons traiter de la déontologie des défenseurs des droits humains au cours de notre congrès. Il y a là une déontologie pour assumer la responsabilité et dire les choses telles qu’elles sont en dehors de toute considération politique.

La politisation des droits humains, est-ce que c’est quelque chose de dangereux pour vous ?

Oui, et c’est même très dangereux. Autant le terrorisme est l’ennemi des droits de l’Homme, autant la politisation des droits de l’Homme est un ennemi de ce combat. En matière de défense des droits humains, il ne faut pas plaider pour une position politique contre une autre, quel que soit le système en place, monarchique, républicain, de droite, de gauche… L’essentiel est de savoir de quelle manière ce système de gestion des affaires publiques mis en place est capable de respecter les droits de l’Homme. La mise en œuvre des droits de l’Homme est un processus continu qui doit être réactualisé au fur et à mesure des changements, des acquis, des défis. A l’OMDH, nous étions sincères avec l’opinion publique nationale et internationale. Nous étions clairs dans nos positions. Cela nous a valu quelques mots mais je pense que l’Histoire nous a donné raison. Nous sommes des défenseurs des droits de l’Homme, respectueux de la déontologie et de la vérité. Et le prix de la vérité peut être cher…Depuis Sidi Ifni, un environnement national mais aussi international de plus en plus large nous soutient et croit en nous.

Les violations des droits humains, dites-vous, n’ont pas la même nature que celles du passé. Quels sont selon les chantiers urgents à mettre en place, aussi bien du côté des citoyens que des autorités, particulièrement en ce qui concerne la gestion des conflits sociaux et la liberté d’expression et de presse ?

Nous avons la conviction que l’étape la plus importante que les décideurs politiques doivent franchir est celle du cadre qui renforcera la confiance des citoyens dans les institutions. C’est le cadre global et général qui renforcera ce processus de démocratie et des droits de l’Homme. Un tel cadre de lutte contre l’impunité imposera aux différents acteurs   d’assumer leurs responsabilités par rapport à l’opinion publique. Je pense là au gouvernement, au Parlement et la justice qui doit, elle,  revoir ses mécanismes d’action et d’élaboration de décisions judiciaires. Pour nous, la lutte contre l’impunité représente le pivot central de la nouvelle génération de consolidation de ces acquis. C’est aussi cela la citoyenneté. Parce que la citoyenneté signifie d’abord l’égalité de tous devant la loi. En matière de lutte contre l’impunité, la première étape forte est la mise  en œuvre du principe de l’égalité de tous devant la loi, qu’ils soient simples citoyens ou hauts responsables.
Après 20 ans d’existence, l’OMDH est toujours inscrite dans la même logique de construction de processus. En 1988, notre premier slogan était relatif à la libération de tous les détenus politiques. Nous jugeons que nous avons mené à bout un processus en aboutissant  à des recommandations importantes. Nous avons la conviction que l’impunité était la cause principale des violations des droits de l’Homme. La lutte contre l’impunité est un cadre de protection des droits humains dans lequel l’OMDH s’est investie par la réflexion, par la mobilisation, par l’expertise, par le plaidoyer.


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