Enjeux géostratégiques et sécuritaires dans l’espace sahélo-saharien


Par El Moussaoui El Ajlaoui *
Samedi 28 Décembre 2013

Enjeux géostratégiques et sécuritaires dans l’espace sahélo-saharien
L'implantation du jihadisme, la prédication et le recrutement efficace, les revendications autonomistes ethniques multiformes, la tentation séparatiste, l'insécurité, la porosité des frontières et la conversion de fait d'un large domaine saharien en terre hors Etat, constituent désormais un problème endémique qui menace frontalement la stabilité fragile. 
 
•Les défis sécuritaires 
dans l’espace 
sahélo-saharien
Ils remettent également en cause les compromis et les consensus établis depuis les indépendances, sur lesquels reposent en  réalité l'unité des Etats sahélo-sahariens. Ils compromettent aussi le processus de transition démocratique. Cette situation a eu pour résultat d'aggraver la dégradation économique et de fragiliser l'organisation sociale, politique et culturelle de la région. Ces menaces ont et auront principalement un impact grave sur les enjeux de la paix, de la sécurité et de la stabilité dans la région.
En moins d'une décennie, les groupes jihadistes, en complicité avec des mouvements à tendance séparatiste et des groupes de narcotrafiquants, sont parvenus à créer dans la région une crise banalisée. 
La question sécuritaire dans la région  est posée en termes de demande de droit et de justice, de prise en charge de la diversité culturelle et de bonne gouvernance. Le facteur risque, que constituent les groupements jihadistes, n'a pas pour autant disparu sur le terrain. Les mouvements de populations causés par la crise en Libye ont provoqué le retour massif de migrants au Mali, au Niger et au Tchad.
L’intervention militaire de janvier 2013 a modifié exclusivement  la topographie du jihadisme dans la région sahélo-saharienne; par contre les structures  et la gravité de la crise nécessitent une approche politique à long terme.  Actuellement, l’instabilité ne touche pas uniquement les pays sahélo-sahariens mais également une partie importante de l’Afrique du Nord. Le Grand sud libyen est devenu une pépinière du jihadisme, des groupes de narcotrafiquants et autres; une course effrénée s’est engagée, dans cet espace géographique, pour le contrôle des trafics juteux: pétrole, cigarettes, drogue, armes, médicaments de contrefaçon, déchets toxiques et êtres humains transitent illégalement dans la région. Les groupes jihadistes prospèrent via le trafic d’armes ou de drogue. L’absence de l’Etat  dans cet espace saharien favorise ce trafic illicite. L’Etat libyen est dans l’incapacité d'assurer la sécurité des citoyens et d’imposer son autorité sur les groupes tribaux, les milices régionales et les groupes jihadistes; paradoxalement ces groupes assurent la protection des frontières, ils agissent souvent selon leurs propres agendas, comme l’expliquent les événements des derniers mois à Benghazi et à Tripoli. La stratégie identitaire en Libye est basée désormais sur la région, la tribu, la ville, ce qui explique la prospérité du jihadisme.
La carte jihadiste est illustrée dans l’espace saharien par deux connexions. La première  représente un axe qui relie le sud libyen avec la direction d’Aqmi au nord-est de l’Algérie en passant par  le sud tunisien, ce qui explique les événements qui se déroulent depuis un an au sud tunisien et aux frontières tuniso-algériennes. La deuxième connexion est établie entre les réseaux libyens et ceux du  Grand Sahara ; cette connexion est la plus dangereuse. Depuis le mois d’août 2013, l’ancien émir d’Al Moulattamoune, Mokhtar Bel Mokhtar, a réussi à unifier l’ensemble des groupes jihadistes (Moulattamoun, Mujao et Al Mouwakioun bi Dimaa -Les signataires par le sang-) en  une seule katiba. Le nom  que porte la direction de ce groupe est confié à un ancien jihadiste arabe d’Afghanistan.
Cela explique une lutte  acharnée  entre Bel Mokhtar et Droukdal, l’émir d’Aqmi pour contrôler l’espace saharien. Suite à la disparition d’Abou Zayd tué durant l’intervention militaire au début de l’année 2013, un communiqué d’Aqmi, daté de septembre 2013, annonce la nomination d’un nouveau chef d’Al Mourabitoun, l’Algérien Said Abou Moqatil et une sariyya dirigée par le Mauritanien Abderrahman Abou Talha. La création des nouvelles katibas explique la course vers une légitimité jihadiste au Sahara entre Droukdal et Bel Mokhtar. Parallèlement, ce mécanisme de création des nouvelles structures jihadistes reflète la vivacité du jihadisme le long de l’espace géographique qui relie l’espace sahélo-saharien à l’Afrique du Nord. 
L’analyse des communiqués des groupes jihadistes comme Ansar Achariaa, Ansar Beyt  al Maqdisse et Ansar Assalafia jihadia  révèle la naissance d’une troisième connexion entre le sud libyen et le Sinaï. 
Avec un discours politique simpliste ponctué de valeurs salafistes, ces groupes élargissent de plus en plus leur assise populaire.
 
•Conséquences pour 
les populations et le 
développement dans 
l’espace sahélo-saharien
Les raisons de l'émergence de la force et la persistance de groupes jihadistes et narcotrafiquants sont nombreuses: l’instabilité, l’absence de l’Etat,  la mauvaise gouvernance, la sécheresse et la crise alimentaire. Ces raisons constituent l’oxygène des réseaux  jihadistes et autres qui  ont remplacé  l’Etat dans ses fonctions. Depuis des décennies, l’espace saharien est  affecté par les baisses des productions agropastorales, ce qui a impliqué une dégradation des conditions d’accès alimentaire. La  diminution des revenus des populations agricoles et pastorales est couplée à une diminution des réserves alimentaires des ménages affectant par conséquent la qualité et la quantité de leur régime. Durant la crise malienne en 2012, on a relevé l’importance de la carte alimentaire dans la stratégie des réseaux jihadistes  de contrôle de l’espace saharien.  Cela explique le soutien significatif  aux groupes jihadistes à l’échelon local ; ainsi les structures non étatiques et l’anarchie deviennent-elles un moyen de gouvernement.
Vu d’autres espaces notamment en Afrique de l’Ouest et l’Afrique de l’Est, cela signifie que ce réseau jihadiste est un mouvement puissant et un pôle d’attraction le cas échéant. Cette situation peut durer longtemps; elle se joue aujourd’hui dans   cet espace qui s’étend de l’Atlantique à la mer Rouge. Et il faut s’attendre à une recrudescence dans des pays tels que la  Mauritanie, l’Algérie, la Tunisie, le Niger, le Tchad ou l’Egypte, sans oublier le Grand sud libyen.
 
•Rôle des Etats et de 
la communauté 
internationale dans 
la lutte contre le fléau 
L’espace sahélo-saharien vit au rythme de changements majeurs. Les  Etats et la communauté internationale doivent adopter une stratégie de sécurité des biens et des personnes, le développement économique des zones frontalières, l’amélioration de l’accès aux services de base et la bonne gouvernance locale. La sécurité est liée au développement; l’enjeu est le renforcement des capacités de l’Etat. Son absence génère une dégradation des conditions de vie des populations, notamment dans les zones  touchées par des crises protéiformes. Les  politiques sont appelées à relever  ces défis, car l’absence des fonctions de l’Etat produit des Etats en faillite. Le rôle des Etats de la sous-région et des instances internationales réside dans le renforcement des capacités de ces Etats en faillite au niveau institutionnel et sécuritaire. Cette situation  amène des acteurs à intervenir comme l’ONU,  CEDEAO,  CENSAD et les ONG afin d’assurer une sortie durable de crise. Face au trafic illicite et  au jihadisme, des solutions peuvent être esquissées :
- Identification des zones et des populations à risque;
- Instauration d’un programme de développement humain;
- Assistance aux pasteurs vulnérables affectés par le déficit de pâturage;
- Assistance aux ménages agricoles affectés par la crise alimentaire;
- Assistance  aux populations affectées par la sécheresse.
- Intégration des refugiés et déplacés.
 
•Quelques pistes de 
solutions pour une 
sécurité durable
- Renforcer la coopération et la coordination sur la sécurité des frontières  au Maghreb et au Sahel. La coopération  sécuritaire régionale doit avoir un pendant économique et de développement. La résolution des crises de l’espace sahélo-saharien requiert l’implication effective des élus, des leaders communautaires, des partis politiques et de la société civile.
- Développer une approche sécuritaire commune. Les réseaux  du trafic  illicite profitent de la faiblesse des échanges entre les pays de la région et l’absence d’une approche sécuritaire commune;
- L’amélioration de la sécurité des frontières en se basant sur les stratégies de coopération bilatérale, régionale et internationale. Le caractère transnational des crises nécessite une réponse régionale appropriée et intégrée;
- Renforcer la coopération par un plan d’action régionale et mettre en place des groupes de travail sectoriels dans les domaines de la sécurité, des renseignements, des douanes et de la justice; 
-Renforcer les capacités des Etats de la région, en matière d'équipements et de technologies nouvelles, pour mieux sécuriser les frontières;
-  Mobiliser les ressources financières adéquates pour le soutien des projets et des actions de coopération bilatérale, régionale et interrégionale dans le domaine de la sécurité des frontières;
- Renforcer la coopération transfrontalière face aux menaces sécuritaires en Afrique du Nord, en particulier en Libye;
- Création d'un mécanisme de consultation et d'échange d'informations.
- Prenant en compte toutes les stratégies et les initiatives émanant des diverses entités des Nations unies, des Organisations internationales et régionales ainsi que tous les mécanismes de lutte contre le terrorisme et le crime transnational organisé;
 - Etablir une coopération en matière de lutte contre la falsification des documents;
- Préparer une liste de projets prioritaires liés au développement humain, adaptés aux besoins spécifiques des populations des zones sahariennes;
- Renforcer  le rôle des partis politiques, des élus, des leaders de communautés et de la société civile dans la lutte contre l’insécurité de l’espace saharien, en adoptant une approche transversale de sécurité;
- Contrôler  la circulation d’armes sophistiquées dans l’espace saharien et chaque Etat doit prendre des mesures appropriées pour assurer la sécurité de son territoire;
- Promotion d’un islam sunnite malékite et reconstruction du champ religieux;
- Démocratisation de l’espace sahélo-saharien;
- Adopter la justice transitionnelle comme option dans les périodes de transition. 

 * Institut des études africaines 
Université Mohamed V 
Souissi Rabat
 


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