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Eloge funèbre : A la mémoire de Hadj Mhamed Eddahar (1931-2017)


Pr. Nabyl Eddahar *
Jeudi 16 Mars 2017

Eloge funèbre : A la mémoire de Hadj Mhamed Eddahar (1931-2017)
Par ce témoignage, j’aimerais honorer la mémoire d’un homme qui a fortement marqué son entourage: mon père. Toutefois, je dois reconnaître que je suis incapable de lui rendre justice. Car, c’était un homme immense par sa sincérité, par sa générosité, par sa bonté, par sa disponibilité.
S’il est une chose à laquelle tous les hommes sans exception doivent s’attendre, c’est la mort. Nous réalisons tous qu’il arrive un jour ou l’on se doit d’être prêt à honorer la mémoire des êtres aimés et appréciés. Loin du tumulte d’un deuil.
Tous ceux qui ont connu cet homme gardent de lui des souvenirs propres: son épouse, ses enfants, ses beaux-fils et belles-filles, ses frères et sœurs, ses amis, ses compagnons des années de résistance et de lutte politique, ses connaissances, ses voisins, etc. Je ne pourrais dire ici tout ce qu’il représentait pour toutes ces personnes.
Mon père s’est entièrement dévoué à sa famille et à son pays. Ils étaient ni plus ni moins ses principales raisons de vivre. Il témoignait un grand amour et une grande attention pour tous, ce qui l’a assurément rendu surprotecteur. Il se responsabilisait beaucoup  des maux des autres. Son amour pour son pays le rendait souvent fier, parfois amer. Car il était issu de cette société marocaine des années 1940, 1950 et 1960, une société qui respirait une intelligence supérieure, une société inclusive et non exclusive.
Hadj Mhamed Eddahar était un homme de sacrifice, un homme de vertu. Il était aussi un homme de foi. Une foi inébranlable que rien ni personne ne pouvait altérer. Il vivait dans une sorte d’intimité avec Dieu. Ses actions et sa manière de mener sa vie prouvent qu’il a véritablement connu Dieu.
La mort est un phénomène naturel et inéluctable qui nous rappelle constamment que dans ce bas-monde tout est éphémère. La mort est aussi un phénomène bizarre qui s’annonce de loin parfois, mais ne prévient jamais.  La journée de ce jeudi 9 mars 2017 a commencé comme toutes les autres, et nul ne présageait vraisemblablement le tragique évènement. Sauf un homme, mon père, qui tel un vieux sage, s’y préparait depuis un bon moment dans une grande sérénité.
Couché sur son lit, il a regardé d’un œil vif et pénétrant ce monde éphémère, et s’est engouffré dans ce monde invisible et parallèle qui l’appelait à une autre vie. Cet homme sage n’était nullement inquiet. Il est parti, le visage serein et paisible. En l’espace de quelques secondes, cette noble et belle âme avait fait le grand bond et s’en était allée rejoindre son origine, son Créateur. L’homme semblait dormir paisiblement. J’en témoigne; j’ai accouru à son chevet et j’y suis resté pendant de longues minutes, récitant versets du Coran et prières.
Très vite, la nouvelle se répandit à la vitesse de l’éclair. C’est compréhensible ; l’homme qui venait de partir n’est pas un inconnu. Ce n’est pas n’importe qui. Allah est Seul et Unique Souverain. Il a donné et Il a repris. On entendit cris, pleurs, silence, méditation et contemplation. Sa vie a été simple, son parcours a été exceptionnel de moralité, de rectitude, et surtout de délicatesse, perceptible uniquement par ceux dotés d’une immense sensibilité. Tel un artiste qu’on ne peut ressentir qu’à travers son œuvre.
La tristesse, le chagrin et la peine se lisaient sur les visages des personnes accourues. La présence massive de la foule qui l’accompagna à sa dernière demeure ne peut s’expliquer par ses qualités intrinsèques reconnues, le rayonnement qu’il a eu et surtout le sacrifice qu’il a consenti pour le bien-être des siens et de son pays.
Nous, ses enfants, ses proches, sa famille, ses amis, avions partagé ses douleurs, ses inhibitions, ses inquiétudes, ses angoisses, sa souffrance, d’une manière ou d’une autre, plus ou moins profondément. Nous ne savions peut-être pas assez qu’il était sur le chemin de l’accomplissement de son destin. La vie de notre regretté Hadj Mhamed Eddahar nous interpelle à un rigoureux examen de conscience et nous invite à revisiter l’histoire de notre cher pays. Dans les périodes de tumulte, lorsque l’on ne sait pas où on va, il faut savoir d’où l’on vient. Sa vie est une très belle leçon de morale, d’humilité et de sagesse.
Mon père a été exposé à cet enseignement traditionnel de la Qarawiyine dans les années 1940, il a milité contre l’occupant, il a exercé le beau métier d’enseignant, il a participé à la vie partisane à travers le Parti de l’Istiqlal, il a été parmi les fondateurs de l’UNFP, il a fait partie de ceux qui ont encadré les bâtisseurs  de la Route de l’Unité, il a travaillé dans le journalisme, et il  a été député dans le premier Parlement marocain. Il a surtout côtoyé de grandes personnalités politiques du Maroc contemporain : Allal El Fassi, Mehdi Ben Barka, Abdallah Ibrahim, Abderrahim Bouabid, Ali Yata, Mohamed Abed El Jabri, et d’autres.
Mais, il y a toujours eu dans tout cela une certaine renonciation de soi dont il a constamment fait preuve. Cette abnégation est le véritable legs qu’il nous laisse et qu’il laisse à la postérité. Pouvoir renoncer à soi pour l’autre. Peut-on donner plus bel exemple aujourd’hui en politique ?
Il avait l’art et le secret d’éduquer par le silence. Il avait le génie de l’humilité et de la simplicité, de la candeur, de la justice, de la droiture, de la générosité, de la modestie, du courage et de la compassion. Il était pour nous un point de repère, une oasis qui désaltère et qui sauve le voyageur fatigué. Il avait le don d’éclairer les siens quand ils se trouvaient dans la confusion totale.
Même dans sa mort, mon père Hadj Mhamed Eddahar va continuer à nous apprendre la vie. Que sa mémoire soit ici honorée pour la dévotion sans bornes dont il a su faire preuve envers les siens et envers son pays. Il repose sûrement en paix. Allah n’a-t-il pas dit : « O âme apaisée, retourne vers ton Seigneur, satisfaite et satisfaisante, puis entre parmi Mes serviteurs, et ensuite pénètre dans Mon jardin. »? (Saint Coran, LXXXIX, 26-30)

 * Professeur, Université Hassan II, Casablanca.

Condoléances

Libération se joint aux membres de l’Association Chaouia et à son président Dr. Mohamed Zouhaïr pour partager le deuil de la famille Eddahar qui vient d’être affligée par la perte d’un être si cher, un militant de la première heure qui a consacré sa vie à la lutte contre l’occupation française et, par la suite, à un combat permanent pour la démocratie et pour la justice sociale aussi bien en tant que militant de l’UNFP ou en tant que député au premier Parlement du Maroc indépendant en 1963.
Fidèle à ses principes et aux grandes valeurs qui ont toujours été les siennes, et après un parcours aussi digne qu’exceptionnel, Mhammed
Eddahar a rendu l’âme jeudi 9 mars 2017.
Nos sincères condoléances à sa petite et à sa grande famille.
A Dieu nous sommes et à Lui nous retournons.

 


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