Economie numérique des biens culturels: la droite, la gauche et la licence globale


Libé
Vendredi 22 Juin 2012

Economie numérique des biens culturels: la droite, la gauche et la licence globale
Depuis dix années, la droite a raté le virage du numérique dans le domaine de la culture. Mais le statu quo n’est pas souhaitable ni du point de vue de la création musicale et du droit d’auteur ni d’un point de vue économique.
La nouvelle ministre
de la Culture devra
se positionner sur cet
enjeu fondamental pour la préservation de la diversité de l’offre artistique.

Tous les ministres passés rue de Valois ont, depuis 2002, tenté de soutenir en vain l’industrie culturelle actuelle, confrontée à des évolutions technologiques auxquelles les pouvoirs publics n’ont su apporter les réponses adéquates. Ces différentes problématiques se sont concrétisées par la création de la HADOPI, partant du postulat – appuyé par les maisons de disques et certains artistes influents – que la défense des créateurs passerait par la sanction des publics. Conséquence : la situation entre les différents acteurs concernés semble aujourd’hui au point mort. Aucun débat ne semble pouvoir déboucher sur des solutions acceptables, et les ventes de biens matériels ont continué de chuter.
Pourtant, des évolutions et des innovations sont fondamentales, tant le statu quo n’est pas souhaitable au sein d’une industrie représentant 7 % du PIB européen et 8,5 millions d’emplois dans l’Union européenne.
C’est pourquoi l’un des dossiers majeurs de la nouvelle ministre de la Culture sera sans aucun doute l’économie numérique des biens culturels. Il s’agira de tirer les leçons du passé et d’aller de l’avant, sans se tromper.
Quatre questions se posent d’ores et déjà. La liberté sur le net est-elle compatible avec celle de la rémunération des créateurs et des différents acteurs de l’industrie culturelle ? Les bouleversements technologiques impliquent-ils une adaptation du mode de perception du droit d’auteur et de la rémunération des interprètes et des producteurs ? La dématérialisation des supports implique-t-elle la perte de la notion de propriété intellectuelle ? Comment préserver la diversité de l’offre et de l’expression artistique ?
L’arrivée du numérique, la coexistence d’une offre gratuite (radios, chaînes musicales) et d’une offre payante (industries culturelles) ainsi que le retard pris par les éditeurs phonographiques dans la mise en ligne de leur catalogue ont contribué à la détérioration du consentement à payer chez les consommateurs de biens culturels. Les acteurs de l’industrie culturelle dénoncent aujourd’hui la baisse des ventes et le pillage à grande échelle, tandis que les consommateurs ont l’impression d’avoir été victimes du monopole des producteurs et des majors dans les années 1990, là où le prix du CD était très élevé au regard de ses coûts de production de distribution. Ce rééquilibrage entre consommateurs et producteurs s’est donc nourri bien évidemment de la généralisation des appareils portables et des technologies, mais aussi de l’attitude d’une partie des producteurs.
Le bilan d’HADOPI est de ce fait loin d’être satisfaisant et illustre l’inefficacité d’un dispositif reposant uniquement sur la sanction. Le fossé s’est aujourd’hui creusé entre les artistes et leur public, et les droits issus de l’internet ne compensent pas les pertes réalisées sur les supports matériels. Ainsi, c’est une politique ambitieuse et innovante sur les pratiques culturelles numériques à laquelle il convient de s’atteler, pour prendre en compte une fois pour toutes la relation aujourd’hui constante entre web 2.0 et utilisation de données culturelles.
A travers le numérique et les phénomènes de dématérialisation, les biens culturels ont en effet acquis les caractéristiques de biens non rivaux non exclusifs, reproductibles à l’infini, non soumis aux lois de la rareté et de la propriété qui fondent l’économie matérielle. La numérisation des contenus et leur diffusion mondiale rendent en effet caduque le modèle de perception des droits d’auteurs, qui repose sur les supports physiques, modèle que la HADOPI a tenté de préserver. Il est donc nécessaire de s’adapter aux transformations que connaissent l’industrie musicale et l’industrie culturelle dans son ensemble afin d’offrir les réponses les mieux appropriées, et de contenter tous les acteurs concernés, qu’ils soient auteurs, créateurs, compositeurs, interprètes, producteurs, ou publics.
Plutôt que de protéger le modèle existant de rémunération des producteurs et de perception des droits d’auteur (qui reposent sur la vente de biens matériels), il s’agirait de réconcilier les artistes et les publics, et de refonder les droits d’auteur et le droit des utilisateurs par la création d’une licence globale européenne.
Il s’agirait alors de répartir le financement de la création et de la production sur l’ensemble des acteurs, en tenant compte de la diversité des œuvres, des créateurs et des modes de diffusion. Cela pourrait se concrétiser par une contribution des détenteurs d’accès internet (de 2 à 7 euros par mois et par internaute) qui permettrait de couvrir l’usage des échanges par les réseaux. Il n’est donc pas question de supprimer le droit d’auteur. Il s’agirait au contraire de conserver le droit actuel là où il est applicable, tout en lui donnant une autre forme là où son application n’est plus réaliste.
Cinq propositions sont alors avancées, afin de rétablir un dialogue et une écoute des différents acteurs de l’industrie culturelle, dialogue que la droite n’a eu de cesse de dégrader lors des dix dernières années : tout d’abord, il s’agirait de transformer la HADOPI en compteur universel, afin d’établir une méthode incontestée et incontestable de mesure des usages marchands et non marchands. De plus, la progression dans la connaissance de l’économie des biens numériques semble nécessaire, afin de s’approprier les nouveaux espaces culturels et leur mode de régulation. En outre, le prochain modèle de régulation des biens culturels numériques devra refonder la distinction entre les usages commerciaux et les usages privés pour permettre des modalités de régulation différentes selon les usages. De plus, préserver la diversité musicale étant un enjeu central, réorienter le projet du centre national de la musique est primordial, afin d’accompagner au mieux ce secteur vers l’économie numérique. Enfin, au-delà de la musique et du droit d’auteur, il s’agira d’installer la politique des contenus numériques au ministère de la Culture et de la Communication, afin d’avoir une véritable politique du numérique.
La décennie qui vient de s’écouler doit être perçue comme une décennie perdue pour la compréhension des biens culturels numériques et la régulation de leurs usages. Les biens culturels numériques, en tant que biens publics, ne pouvant être régulés par le seul jeu de la concurrence et du marché, la nouvelle ministre de la Culture devra s’emparer de ces sujets sans tarder afin de construire une véritable politique industrielle assurant le développement de ces secteurs.
Note élaborée par les Groupes d’études et de recherches sur la culture de la Fondation Jean-Jaurès


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