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Du bruit pour avoir la paix

Les femmes s’attaquent au harcèlement de rue armées de sifflet


Chady Chaabi
Samedi 10 Novembre 2018

Du bruit pour avoir la paix
Décidément, toujours d’actualité, le harcèlement de rue n’en finit pas de susciter des remous. On doit vous avouer quelque chose. On est évidemment conscient que ce constat a des airs de doux euphémisme, néanmoins, après l’entrée en vigueur, il y a deux mois, de la loi contre les violences faites aux femmes, on aurait pu croire que cet ignoble phénomène serait atténué et les harceleurs dissuadés. Que nenni. Naïfs nous avons été. En réalité, la loi n’y a rien fait. Pour s’en persuader, il suffit de se balader dans les artères du Royaume. Conscient d’un manque flagrant de progrès à ce sujet, le mouvement #Masaktach, a décidé de prendre les choses en main. Par choses, on veut dire des sifflets. En effet, le collectif a initié un mouvement national intitulé « #ila_dsser_seffri », traduction faite, cela donne « s’il dépasse les limites, siffle ».
Ainsi, aujourd’hui, le mouvement entend organiser une marche dans plusieurs villes  du pays, à savoir Casablanca, Rabat et Marrakech. Ipso facto, plusieurs femmes munies de sifflets seront en vadrouille dans l’espace public, guettant les comportements désobligeants. A la moindre tentative de drague ou remarque déplacée, la femme harcelée devra donner un coup de sifflet. Pour le coup, on risque d’assister à un concert discontinu, et les marchands de cet objet, nouveau symbole du ras-le-bol de la femme marocaine, risquent de voir leurs chiffres d’affaires monter en flèche tant le harcèlement de rue est fréquent; pis, il est ancré dans les mœurs et les traditions.
Concrètement, dans le fond, cette initiative alimente des sentiments mitigés. Si d’un côté, elle aura un effet indéniable, en réveillant les consciences et surtout en mettant dans l’embarras le harceleur; de l’autre, elle pourrait également être à l’origine de fortes tensions voire de débordements. Un sifflet qui retentit dans l’espace public, c’est l’assurance d’attirer l’attention de tous ses occupants. En partant de ce principe, il suffit qu’il y ait une ou plusieurs personnes dans le lot, animées de l’intention de jouer au héros pour que la situation s’envenime. D’autant plus qu’il est convenu qu’un homme qui est pris la main dans le sac, perclus de honte et asphyxié par le regard d’autrui, a tendance à devenir agressif. Donc, quand bien même l’initiative est louable, il s’agit également pour les femmes qui y participeront d’éviter les conflits. Les répercussions peuvent être dramatiques.
Cela dit, on n’en serait jamais arrivé là, si la loi 103-13 relative à la lutte contre les violences à l’égard des femmes, publiée il y a six mois au Bulletin officiel (n° 6655 du 12 mars 2018), et entrée en vigueur le 12 septembre, avait eu les effets escomptés, notamment s’agissant du harcèlement. Dans ce cas précis, la loi prévoit de sanctionner sévèrement le harcèlement de rue: une peine d’emprisonnement d’un à six mois et une amende pouvant aller de 2.000 à 10.000 DH. Il est ainsi stipulé qu’il «est considéré comme coupable de harcèlement quiconque persiste à gêner autrui dans des lieux publics ou autres, moyennant des agissements, propos, gestes à caractère sexuel. Le harcèlement peut également se faire via correspondances écrites, téléphoniques ou électroniques, des photos et/ou des enregistrements à caractère sexuel». Cependant, le gouffre est toujours aussi grand, entre la réalité et la Constitution. Combien de femmes iront-elles porter plainte, s’engager dans des procédures longues et complexes, tout en délaissant leur travail et peut-être leurs enfants, enfin ce pourquoi elles marchaient dans la rue? Il paraît évident qu’une loi ne peut être à elle seule une solution. Elle ne peut être qu’un complément. On aura beau créer et instaurer un arsenal juridique, rien ne vaudra un effort considérable au niveau de l’éducation des hommes de demain, soit nos enfants.  


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