Driss Ksikes : Est-il possible de continuer à vivre sans rêve à l’horizon ?


Il est né pour écrire. Ses débuts furent dans le journalisme. Par la suite, il dévoile son «je» et ses penchants pour la littérature :
Depuis son roman «Ma boîte noire», paru en 2006, Ksikes ne cesse de contribuer à la littérature d’expression française. Son dernier récit paru récemment est intitulé «L’homme descend du silence».
Révélations sur cette œuvre.

Entretien réalisé par Lahcen Aqartit
Lundi 15 Juin 2015

Driss Ksikes : Est-il possible de continuer  à vivre sans rêve à l’horizon ?
Libé : «L’homme descend du silence» est le titre de votre récit.
Driss Ksikes : Il est d’abord le premier vers du poème qui ouvre le récit et que l’on retrouve, par un effet de boucle, d’éternel recommencement, vers la fin du livre. Au-delà de l’écriture, le titre s’est imposé à moi depuis que j’ai commencé à travailler sur ce texte, avec l’idée que le silence est polysémique. Il est celui du lecteur, qui aime plonger dans les livres. Il précède le verbe sacré, celui qui détermine la pensée par la croyance. Et il est un passage obligé pour trouver sa voix, le lieu à partir duquel on parle. C’est une manière de dire que ceci est un livre qui raconte le rapport au monde et à la littérature.  

Alors, tout a commencé avec le souvenir de quatre vers. Comment vous affectent encore les souvenirs du jeune lycéen ?
La mémoire de l’adolescence, de l’époque du lycée a déjà énormément nourri mon premier roman, «Ma boîte noire», et constitue pour moi un terreau fertile où la mémoire va puiser les ressorts pour nourrir l’imagination. 

Est-ce que l’attachement à la poésie comme point de départ explique le rejet de « cette lassante fable
des origines » ?

Nous sommes tous en Méditerranée, dans les trois monothéismes surdéterminés par la fable des origines telle que transcrite par chacun des livres sacrés. Dans ce qui fait ma cosmogonie personnelle, la poésie, la littérature en général, occupe une place bien plus centrale. J’ai voulu tenir compte de ce qui fabrique mon imaginaire.

L’un des critiques a qualifié votre texte de «roman d’une génération». Laquelle ?
Celle qui a succédé aux années de plomb, autrement dit, la génération «chape de plomb», celle qui a tout vu, ressenti, flairé mais n’a pas beaucoup parlé. Je fais partie de cette génération née à la fin des années 60, arrivée au lycée, au milieu des années 80, en pleine répression et complicité de mutisme. Je ne fais pas de cela l’objet de mon récit, mais il en constitue quelque part l’arrière-plan.

Ne s’agit-il pas de commémorer un souvenir partagé avec des personnages comme Adib, Ahmadou et Halim ou de «reconstruire leur bâtisse calcinée pour réinventer un autre horizon, en leur nom»?
Dans l’historie que je raconte d’un lieu appelé «Utopie» qui prend feu, je tente une double transgression. D’abord, l’utopie, qui veut dire «no-topos», donc non-lieu, est assimilée dans le texte à un lieu déterminé, où les trois personnages que tu cites se retrouvaient pour inventer la vie autrement. Ensuite, ce lieu imaginaire est gommé par le feu, comme pour signifier la fin de l’utopie, du rêve. Mais est-il possible de continuer à vivre sans rêve à l’horizon? Ceci demeure pour moi l’un des moteurs essentiels de ce texte. 

Frank Guyot a dit que «l’écriture est une parole maquillée par le dessin de la réflexion». Quels rapports tissez-vous avec l’aventure de l’écriture?
L’écriture est une expérience des sens et de l’intellect. J’écris à partir des sons et des significations des mots, du rythme et de la portée des phrases. J’ai toujours en tête que la littérature est un moment de plaisir où quelque chose du monde est dit, l’air de rien. Je n’aime pas quand la réflexion alourdit le texte, alors que je ne m’interdis pas de réfléchir dans un texte. C’est, entre autres, la tension que crée ce paradoxe qui m’attire dans l’écriture. 

Vous êtes régulièrement confronté à l’écriture, journalistique, dramaturgique et romanesque. La conciliation ne vous semble-t-elle pas difficile ?
Non. A chacune sa place, son rythme et sa nécessité. J’aime changer de registre, ce qui ne veut aucunement dire mélanger les genres.

Dans votre récit, nous découvrons que la réalité est le berceau matériel de votre pensée,  que le vécu a façonné l’imaginaire de l’écrivain. Si c’est le cas, est-ce vraiment une condition pour l’écriture ?
Je ne crois pas à la mimesis, à la reproduction du même, à la représentation à l’identique du réel. Je crois beaucoup à l’invention et la fantaisie dans l’écriture. Mais j’estime que la réalité comme référent, comme source d’observation et d’inspiration, est un ingrédient fondamental pour écrire de manière incarnée, à partir de son lieu d’ancrage. Ceci dit, j’estime qu’il n’y a pas de hiérarchie dans la littérature entre le vécu, le rêvé, le lu et l’inventé. C’est la somme de tout cela qui fait la texture d’un récit littéraire. 

Comme vous le savez, un texte une fois publié, n’appartient plus à son auteur. Qu’aimeriez-vous que les lecteurs retiennent de votre récit?
Justement, j’aimerais être surpris par la manière avec laquelle chacun s’en est saisi. Ce serait dommage que les lecteurs reproduisent ce que j’ai imaginé en l’écrivant, à savoir ce que cela veut dire de rester dans son pays, et de ne pas abandonner le rêve, en restant. Cela, à la limite, rejoint mes propres fantasmes. Je serais curieux de savoir quels fantasmes il a rencontré chez tel lecteur ou tel autre.

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