Des “bonnes” marocaines déguisées en épouses


Par le Docteur Jaouad Mabrouki
Jeudi 17 Août 2017

Des “bonnes” marocaines déguisées en épouses
J’observe un phénomène douloureux et répandu dans toutes les couches sociales marocaines, celui de l’obligation de certaines jeunes mariées de partager le domicile de leurs beaux-parents. Rapidement, la mariée devient la «bonne à tout faire» de la belle-mère, appelée aussi «la3gouza».
Malgré tous les conflits engendrés par cette cohabitation depuis la nuit des temps qui se transforme toujours en enfer quotidien ou en douloureux divorce, je pense que cette coutume persiste encore et à chaque fois la famille concernée est persuadée qu’elle est différente des autres comme si elle avait une baguette magique pour faire de cette cohabitation un paradis !
Plusieurs cas de figure sont responsables de la mutation de la jeune mariée en «bonne» et je citerai les cas les plus courants que j’observe dans ma pratique quotidienne.
Absence du mari et épouse «sous protectorat». C’est la situation où juste après le mariage, le mari s’absente pour des périodes allant de 3 mois à un an, pour des raisons professionnelles, c’est le cas par exemple des militaires ou des MRE. La jeune mariée est alors confiée aux parents du mari. En effet, les traditions n’autorisent pas la mariée à rester chez ses propres parents en attendant le retour du mari ! En réalité, deux raisons expliquent cette tradition tordue : d’une part, l’épouse reste sous le contrôle de  «la3gouza» garantissant la fidélité à son mari et d’autre part, elle prend le statut de bonne gratuite. Ainsi quand j’interroge le mari sur ce phénomène, sa réponse est : «iwa lwalida 3yana w khass liy3awnha»  c'est-à-dire, ma mère est fatiguée et elle a besoin de quelqu’un pour l’aider.
Mari fantôme et épouse «partagée».  Nous avons aussi le cas du fils « pourri-gâté », qui passe tout son temps dans l’oisiveté et les dépenses financières et ses parents décident alors de le marier «bach ydir 3a9lou», pour l’assagir et le détourner de sa vie frivole. Le fils accepte alors pour faire plaisir à ses parents, éviter la confrontation et obtenir tout ce qu’il veut. Ainsi il leur laisse le soin de choisir la future épouse et d’organiser le mariage. Naturellement les nouveaux mariés cohabitent avec les parents ! Quelques semaines après le mariage, le fils gâté reprend ses anciennes habitudes en s’amusant toutes les nuits avec ses copains en laissant son épouse seule. Lorsque les parents lui reprochent ce comportement, sa réponse automatique est «ntouma libghitou». «C’est votre choix et votre décision». Ainsi la mariée devient une épouse sous tutelle des beaux-parents et  une bonne par obligation.
Mari malade et femme «tutrice et soignante». Dans ce cas, le mari est malade ou bien souffre  d’un handicap psychique, mental ou sexuel et son mariage est une décision de ses parents ; alors évidemment la mariée cohabite avec eux. Le but de ce mariage est d’assurer une assistance et une tutelle au mari malade après le décès des parents. La femme passe alors sa vie à jouer une pièce de théâtre : tantôt elle joue l’épouse devant les étrangers, tantôt  une tutrice ou une aide-soignante en fonction des situations, mais dans tous les cas, elle ne bénéficie pas de vie conjugale dans ce ménage !
Mari effacé et «épouse proie». Souvent, il peut s’agir d’un mariage d’amour et les parents des deux partis sont consentants.  Mais juste après les fiançailles, la maman oblige son fils à vivre avec elle après le mariage en promettant qu’elle ne s’ingèrera jamais dans leur vie conjugale. Effectivement, la belle-mère tient sa promesse au début du mariage, mais quelques mois après, elle commence à s’attaquer à sa proie «la jeune mariée» et lui fait vivre toutes les souffrances possibles en la traitant évidemment de bonne et d’esclave. Or, comme le fils est «un mari effacé», il ferme les yeux et offre son «épouse proie» à sa mère «chasseresse» pour la dévorer. L’explication psychanalytique de ce phénomène est que la belle-mère reproduit le même scénario qu’elle a vécu étant jeune épouse et se venge de sa propre belle-mère par le biais de sa belle-fille !
 Mari «mardé lwalidine» ou obéissant  et épouse «infirmière de maison de retraite». Lorsque les parents vieillissent et commencent à être infirmes, le fils décide de se marier pour que son épouse assiste ses parents. Au lieu de se charger lui-même de ce noble service, il se marie alors et transforme son épouse durant la journée en bonne, infirmière,  cuisinière,  machine à laver, pressing, aspirateur,  serpillère, masseuse de hammam (pour la belle-mère), fabrique à enfants et éducatrice et durant la nuit en source de satisfaction de ses besoins sexuels. De surcroît, cette épouse doit s’interdire d’être fatiguée ou mécontente, elle doit être joyeuse à tout instant avec son «bienveillant» mari!
Comment ce type de mariage esclavagiste, destructeur de notre société, bafouant la dignité de la femme peut-il  être encore admis dans nos traditions marocaines ? Comment peut-on parler de  démocratie alors que ce phénomène social investit beaucoup trop de foyers marocains ?
Nous devons protéger  notre société en mettant en place une commission composée de spécialistes pour une étude approfondie, une recherche sérieuse et une consultation obligatoire pour les futurs mariés, imposant des conditions garantissant la protection de la femme de toutes ces formes de violences, de tortures et d’esclavagisme ! Comment pouvons-nous nous taire et justifier ce phénomène terroriste ?
Et si nous réfléchissions à  un programme scolaire, un module universitaire ou une formation sur  le mariage, la vie conjugale et familiale que nous  généraliserions à toutes les couches sociales afin d’éviter tous ces problèmes récurrents qui traumatisent la société marocaine?

 * Psychiatre, psychanalyste, écrivain
et artiste peintre


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