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Décryptage : L’insoutenable calvaire des réfugiés syriens

Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Comment parviennent-ils à franchir les frontière européennes ?


Hassan Bentaleb
Lundi 21 Septembre 2015

Le visa serait-ce un stratagème pour occulter le droit à l’incontournable à asile ?

La scène est devenue presque banale sur nos écrans de télévision. Des centaines de migrants syriens, seuls ou en familles, sac à dos, marchent vers l’Allemagne depuis Salzbourg et Budapest. Ils étaient 20.000 à fouler le sol de Munich deux semaines auparavant. 13.000 entrées ont été enregistrées pour la seule journée de dimanche 6 et 2.500 le lundi 7 septembre courant. Le pays s'attend à enregistrer 800.000 demandes d'asile cette année, soit quatre fois plus qu’en 2014. 
Qui sont ces migrants ? D’où viennent-ils ? Et comment ont-ils pu franchir les frontières européennes ? Selon des chiffres du Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), plus de 380.000 migrants sont arrivés par la Méditerranée depuis janvier dernier et 2.850 sont morts ou portés disparus. Au total, jusqu'au 7 septembre courant, 381.412 personnes ont traversé la Méditerranée pour regagner l'Europe dont 258.365 sont allées en Grèce, 121.000 en Italie, 1.953 en Espagne et 94 à Malte. 
Selon le HCR, la majorité  de ces migrants sont originaires de pays en conflit et recherchent désespérément une protection internationale.  51% d’entre d’eux sont des Syriens, 14% des Afghans, 8% des Erythréens, 4% des Irakiens, 2% des Somaliens et 2% des Soudanais. En Grèce, le contingent des Syriens reste le plus élevé (69%). Il est suivi des Afghans (20%) et des Irakiens (3%). 
« Un grand nombre de migrants passe pour des Syriens en brandissant de faux passeports. On trouve parmi eux plusieurs personnes venues des pays arabes », nous a indiqué Mahmoud Aldarwichi,  un Syrien installé à Munich et membre d’un collectif de soutien aux réfugiés syriens avant d’ajouter : « On compte également parmi les Syriens arrivés en Europe, des Gitans et des Kurdes. Les Syriens arabes ne constituent que 30 à 35% du total des arrivants ».  D’après lui, ce document de voyage se vend aujourd’hui comme des petits pains en Turquie à 500 dollars la pièce fournie par des trafiquants spécialisés en la matière et qui s’affichent sans vergogne sur les réseaux sociaux comme appartenant à des bureaux de services et publient leurs numéros de téléphone et adresse. 
Mais ces trafiquants n’assurent pas uniquement des documents de voyage, ils garantissent également le franchissement des frontières européennes. « Le deal entre les passeurs et les candidats à l’exil se conclut souvent à Bodrum, une petite ville de Turquie proche des frontières avec la Grèce. Le prix du voyage oscille entre 3.000 et 15.000 euros selon que la personne voyage seule ou avec sa famille », a révélé notre source avant de poursuivre : « Une fois les négociations abouties, le montant en question est placé dans une « agence d’assurance » selon un code qui sera transmis au candidat à l’exil mais ne sera délivré au passeur qu’une fois le candidat aura franchi les frontières. Le montant en question peut être remis au passeur ou au candidat dans un délai de neuf jours».  
Chaque nuit, des camionnettes venues d'Istanbul débarquent discrètement des dizaines de migrants à la frontière entre la Turquie et la Grèce. La région qui s'étend le long du fleuve Meriç reste l'une des principales voies d'accès clandestines vers l'Europe. La frontière gréco-turque est difficilement contrôlable, avec des dizaines d'îles à portée de bateaux et des clandestins. 
Le voyage se fait souvent via la mer sur des barques de fortune où s’entassent des dizaines de migrants  alors que la capacité de ces braques ne dépasse guère 25 personnes. Souvent, hommes, femmes et enfants bravent des flots puissants à l'aide de bouées ou de simples cordes tendues entre les deux rives. «  Les passeurs peuvent transporter en un seul voyage entre 150 et 200 personnes et le plus souvent ces embarcations tombent en panne en pleine mer. De nombreux témoignages ont confirmé que les candidats étaient  contraints de continuer à la nage dans des eaux glacées pour alléger la barque », a rapporté Aldarwichi. 
D’après ce dernier, le voyage vers l’Europe peut prendre de 20 à 60 jours. « Il faut compter le temps de chercher un passeur en Turquie, négocier le montant du voyage, préparer le voyage lui-même et traverser, dans un long périple, les frontières grecques, bulgares, hongroises et autrichiennes avant d’arriver enfin en Allemagne », a-t-il précisé.   Une aventure  de tous les dangers, car la mort guette les exilés sur toutes les routes menant vers l’Europe. 
Selon notre source, une grande partie de ces Syriens cherchant refuge en Europe sont des médecins, ingénieurs, professeurs ou cadres. Beaucoup d’entre eux ont vendu leurs biens ou se sont endettés  pour quitter leur pays. « Une grande majorité de ces personnes, a-t-elle précisé, sont fortunées. Car seuls ceux qui ont des moyens peuvent entreprendre une telle aventure. Le voyage d’une famille de quatre personnes peut coûter dans les 15.000 euros ». Les malchanceux se trouvent aujourd’hui dans les camps de réfugiés en Turquie, au Liban, en Jordanie et en Irak. Selon les chiffres du HCR, ils 600.000 en Jordanie et 1,4 million selon les autorités de Amman où l’aide du Programme alimentaire mondial (PAM) vient de cesser, faute de fonds, et qui était destinée à 230.000 Syriens vivant hors des camps. Au Liban, leur nombre s’élève à 1,1 million. Eux aussi, ils ont vu leurs coupons alimentaires réduits de moitié, passant de 27 à 13,5 dollars par mois. Le PAM a aussi diminué d’un tiers le nombre de bénéficiaires de ses coupons, passant de 2,1 à 1,4 million de réfugiés. Le PAM a déclaré récemment qu’il avait besoin de 236 millions de dollars d’ici fin novembre afin de venir en aide aux Syriens dans leur pays ou réfugiés à proximité. 
Aujourd’hui, en Allemagne, la situation semble favorable pour ces Syriens fuyant la guerre civile et ses atrocités. « Le peuple allemand était longtemps renfermé sur lui-même et savait peu de chose sur le dossier syrien. Aujourd’hui, ils sont nombreux à s’intéresser à notre cause et de plus en plus solidaires avec le peuple syrien.  Une solidarité et une sympathie que l’on ressent davantage à l’Ouest qu’à l’Est », a ajouté Aldarwichi. 
Pourtant, l’Allemagne reste la destination la plus sollicitée par les Syriens vu les possibilités offertes par ce pays. « Ici, il y a plus d’offres d’emploi et des perspectives d’avenir. Les procédures d’asile sont aussi plus rapides qu’ailleurs. D’autant plus que les autorités allemandes accordent l’asile même aux personnes déboutées par d’autres pays européens. Ce n’est pas le cas en Suède ou en Grande-Bretagne  où des individus et des familles ont vu leurs dossiers rejetés par le fait qu’ils ont déjà déposé des demandes d’asile en Grèce ou ailleurs », a-t-il expliqué. Et d’ajouter : « Les Syriens préfèrent également ce pays où résident une grande communauté musulmane. On peut également y trouver des mosquées, des centres culturels islamiques et  des commerces halal, entre autres ». 
Mais Aldarwichi estime que l’accueil des Syriens en Europe n’est pas la solution car le vrai problème est ailleurs. « Il est en Syrie où des millions de citoyens subissent les atrocités de la guerre ; cette réalité insupportable est appelée à durer tant que la communauté internationale n’a pas pris au sérieux ses responsabilités », a-t-il conclu.
 

400 enfants fuyant les atrocités de la guerre retenus au CETI de Mellilia

400 est le nombre d’enfants syriens détenus dans le Centre d'accueil temporaire pour immigrés (CETI) de Mellilia. Ils sont dans l’attente d’un éventuel transfert vers l’Espagne depuis trois ou quatre mois.  Une attente qui s’avère longue et dure puisqu’elle se fait dans des conditions inhumaines et dans des centres inadaptés.
« Une situation des plus difficiles puisque ces enfants restent séparés de leurs parents bloqués au  Maroc », nous a précisé Omar Naji, militant de l’AMDH section-Nador avant d’ajouter : « Ces enfants  franchissent souvent les frontières artificielles les premiers aidés par des passeurs avant que leurs parents ne les rejoignent dans un deuxième temps. Dans de nombreux cas, on trouve deux ou trois enfants de la même famille vivant dans ces centres séparés ».
Un état de fait confirmé par l’ONG internationale « Save the Children » qui a constaté plusieurs cas de familles dont les membres sont séparés  entre le Maroc et ses présides occupés. A ce propos,  l'ONG a demandé au gouvernement espagnol de délivrer  des visas  humanitaires à ces candidats à l’exil pour leur permettre de bénéficier de la protection internationale en Espagne. Une demande faite par d'autres ONG, comme la Commission d'aide aux réfugiés (CEAR), qui a demandé par lettre aux ministères de l'Intérieur et des Affaires étrangères  la délivrance de visas humanitaires aux réfugiés en attente  à  Nador et l’Association « PRODEIN «  qui a été la première à tirer la sonnette d’alarme sur la situation de ces enfants et leurs parents. 
Une demande que ne semble pas partager l’ONG marocaine GADEM qui estime que les personnes en quête de protection internationale n'ont en aucun cas besoin de visa pour pouvoir déposer leur demande d’asile. Elle pense que cette «  idée qui paraît à première vue humaniste, veut occulter le droit absolu qu’ont ces demandeurs d’asile d’accéder librement au bureau d'asile situé à la pseudo frontière de Mellilia au niveau du poste international de Beni-Ansar ». Et du coup, elle considère que les demandes adressées à l'Etat espagnol pour qu'il mette en place une politique de visas pour ces personnes, ne sont en aucun cas pertinentes.
« Ce n'est pas la première fois que des organisations étrangères formulent de telles idées. Le GADEM s'inquiète de la multiplication d’initiatives d’acteurs de la société civile qui concourent (volontairement ou involontairement) dans le sens de l’installation de camps de sélection dans des espaces relevant d’Etats-tampons, notamment en Afrique du Nord. Ces initiatives vont dans le sens voulu par des responsables européens qui cherchent à externaliser la gestion des « flux migratoires». Pour preuve, cette déclaration du ministre de l'Intérieur français, Bernard Cazeneuve, dans une interview donnée au journal Le Monde : « Il faut transformer Schengen et faire en sorte de (…) contrôler d'avantage les frontières extérieures de l'UE. On a augmenté les moyens de Frontex, mais il faut surtout qu'aux frontières extérieures de l'Union, il y ait la mise en place de centres d'accueil de réfugiés et de contrôle des frontières, ce qu'on appelle les « hotspots » », a indiqué un communiqué du GADEM.
Les membres de cette ONG estiment qu’il y a une volonté délibérée d’empêcher les Syriens d’accéder au bureau d'asile situé à la frontière artificielle de Mellilia. « Depuis une semaine, la frontière marocaine aurait fermé trois fois temporairement. Comme le dénonce la section locale de l'Association marocaine des droits de l'Homme à Nador, il s'agirait d'une procédure destinée à empêcher l'accès de plusieurs centaines de Syriens qui tentent d'entrer à Mellilia. Cette pratique est en violation de la convention de Genève. Aussi, les restrictions faites au passage de potentiels demandeurs d’asile ne font qu’accentuer la prise de plus de risques par ces derniers pour traverser la Méditerranée et les rendre tributaires de personnes peu scrupuleuses, qui marchandent leur entrée sur le territoire de Mellilia », a rapporté le communiqué.
Des restrictions déjà dénoncées dans un communiqué daté du 1er septembre 2015 par les organisations espagnoles du réseau Migreurop qui ont critiqué l'impossibilité d'accéder aux bureaux d'asile aux frontières artificielles  de Sebta et Mellilia pour les personnes originaires d'Afrique subsaharienne. Elles ont enjoint le gouvernement espagnol d'entreprendre des démarches auprès de l'UE suite aux propos tenus par le ministre de l’Intérieur à ce sujet, affirmant que « l’Espagne ne peut pas imposer au Maroc de critère qui déterminerait la façon dont il doit réaliser les contrôles d’entrée et de sortie de son territoire (…) il relève de l’UE d’entreprendre des actions relatives à ces questions auprès d’Etats tiers ».
 


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