De Taznakht au palais Royal


Par My Seddik Rabbaj
Lundi 14 Septembre 2020

Certains hommes politiques tiennent à partager leurs expériences avec le grand public, avec ceux qui sont un peu loin des arcanes du monde du pouvoir et des décisions. Ils expliquent des positions, des choix, des résolutions qui ne concernent pas seulement leur vie personnelle mais plutôt toute une population et qui pourraient se poursuivre même après leur départ de leur poste. Le temps des tempêtes de Nicolas Sarkozy paruaux éditions de l’Observatoire en est un exemple récent. Les motivations qui se trouvent derrière l’écriture de ce genre de livres sont nombreuses. Certains exposent leurs vies pour se justifier et éluciderquelques actes commis dans des moments où l’explication à tempsétait impossible ou du moins difficile. D’autres considèrent l’écriture comme un exercice cathartique. D’autres encore le font pour donner des leçons de vie etc. Le Marocain, feu Taïeb Bencheikh, ne déroge pas à la règle. Dans son livre posthume Rhapsodie dans un parcours de vie,« soucieux de transmettre aux plus jeunes les leçons d’une vie de quatre-vingts ans », il nous livre l’expérienced’un politicien qui a été à la tête de plusieurs ministères et quia dû prendre des décisions cruciales pour le peuple marocain. Une vie mouvementée où les embûches ne manquent pas, où les affrontements sur plusieurs points ponctuent le quotidien et où le combat est infini contre ceux qui mettent l’intérêt personnel devant l’intérêt général. Ce livre peut être réparti en deux grands volets. Le premier s’intéresse à l’enfance ordinaire et aux études primaires et secondaires de l’écrivain et le deuxième se focalise sur son engagement politique qui commence depuis son arrivée en France. La première partie est écrite dans un style fluide, poétique et littéraire. Cela montre l’influence sur l’auteur des premiers écrivains marocains de langue française, ses contemporains,et qui ont meublé son enfance. Depuis la première page, on se trouve emporté par des descriptions enchanteresses, des passages qui procurent le vrai plaisir de la lecture. Celui-ci en est un exemple : « Le soleil qui se couche caresse de ses derniers rayons les flancs vallonnés de la plaine à perte de vue. On croirait cette nature désertique et inhospitalière, sans vie, si au voisinage d’autres enfants, nos disputes n’alimentaient un quotidien écrasé par la chaleur et soumis au rituel coranique dans une pièce mal éclairée, assis en tailleur sur des tapis de doum travaillés par l’usage. » La période de l’école coranique trouve des échos dans beaucoup de textes de Marocains notamment La boite à merveilles d’Ahmed Sefrioui. Le livre s’ouvre sur le quotidien du fils d’un fonctionnaire qui, par le hasard des affectations se trouve à Taznakht, un petit patelin à 90 kms de Ouarzazate. Même dans un monde isolé et hostile, le jeune enfant arrive à extraire les fleurs du mal. Sa dose de plaisir, il la butine dans son petit entourage auprès des enfants des voisins et de ses sœurs, mais aussi dans les livres qu’un père intellectuel met à sa disposition. Un pèrequi est un « lecteur assidu de la presse arabe et francophone, instruit des publications littéraires aussi bien en français qu’en arabe ». Ce père qui a traduit le livre de Paul Odinot Le Caïd Abdallahdu français vers l’arabe et qui est très conscient de l’importance des études tient à inscrire son fils dans une école marocaine à Casablanca, même après son installation à Ben Ahmed, avant que le jeune adolescent ne rejoigne un établissement français à Meknès. Le jeune TaïebBencheikh montre une grande aptitude pour l’acquisition du savoir. Après avoir réussi son bac, il choisit d’aller en France afin de poursuivre ses études. C’est là où commence la vie politique avec la jeunesse du PCM, (Le Parti Communiste Marocain). Son sens de l’engagement et ses analyses perspicaces le mettent rapidement au sommet de cette institution. Encore étudiant, il se voit obligé de multiplier ses déplacements à travers le monde pour représenter son parti et défendre ses idéaux. Les anicroches commencent à se profiler à l’horizon et les affrontements des idées ne manquent pas. Une foisles études terminées, il préfère rentrer au bercail même si un avenir prospère se profile à l’horizon en Europe. Il intègre le Secrétariat au plan et au développement régional et se distingue par sa compétence qui le hausse petit à petit jusqu’au sommet de cette administration. Sa responsabilité dans la fonction publique ne l’éloigne pas de la vie politique qu’il continue d’exercer avec beaucoup d’engagement même si les différences au niveau des idées vont crescendo. Il se présente aux élections parlementaires en tant qu’indépendant et obtient la majorité des voix malgré les machinations qui se trament derrière son dos dans cette ville de Meknès qu’il aime du fond de son cœur et qu’il continue de servir jusqu’à la fin de sa vie politique. Ce pas lui permet de s’éloigner des partis traditionnels et d’en intégrer un nouveau qui rassemble tous les élus indépendants. Devenu ministre, il se fait remarquer par le roi Hassan II qui le charge de plusieurs missions. Certaines photos montrent la place privilégiée qu’occupe TaïebBencheikh auprès du précédent roi du Maroc. Rhapsodiedans un parcours de vie donne une bonne leçon de vie aux jeunes d’aujourd’hui qui croient que la réussite dans la vie dépend d’autre chose que du travail et de la persévérance. Il est aussi une carte qui montre le chemin politique parcouru par le Maroc depuis l’indépendance, une critique d’une certaine élite politique qui gouverne et qui manque d’initiatives et de propositions, un dévoilement de certains agissements d’hommes politiques qui ne cherchent que leurs intérêts personnels … Bref un livre à lire pour découvrir un homme et un pays. 


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