Court métrage du jeune et talentueux réalisateur Hicham Lachri : “L’androïde”, une fable moderne ?


PAR SABAH ABDELKHALEK
Mardi 10 Avril 2012

Court métrage du jeune et talentueux réalisateur Hicham Lachri : “L’androïde”, une fable moderne ?
L’Androïde est une fable moderne,  une fable allégorique.  Comme tout le monde le sait :
«Une fable est un court récit écrit plutôt en vers qu’en prose et ayant un but didactique (qui comporte un enseignement, qui cherche donc à instruire). Elle se caractérise généralement par l’usage d’une symbolique animale ou avec des personnages fictifs, des dialogues vifs et des ressorts comiques. La morale est soit à extraire de l’implicite du texte, soit exprimée à la fin ou, plus rarement, au début du texte. Les fables les plus caractéristiques comportent un double renversement des positions tenues par les personnages principaux».
Si nous tenons compte de cette définition, il est pertinent de considérer ce court métrage comme une fable. En effet, tous les «ingrédients» ou les critères d’une fable s’y trouvent : des personnages fictifs, des animaux et même un certain nombre de personnages qui font partie d’autres expressions  plus ou moins artistiques, comme la bande dessinée ou le film d’animation.
Donc, il y a trois sortes de personnages qui composent la trame de ce court métrage : des personnages «humanoïdes» ; des animaux ; des personnages fictifs ou «cartoon».
Premièrement, il y a l’Androïde ou l’automate à forme humaine. Ce dernier est le produit de la femme. La femme détient autour de son cou (élément symbolique) la clef de la liberté, de la délivrance, du salut de l’homme (certains poètes disent que la femme est l’avenir de l’homme). En effet, l’homme ou l’Androïde est enchaîné à ce que nous pouvons appeler «le dépotoir de l’Histoire» (autre métaphore parmi un certain nombre de métaphores qui composent et organisent ce court métrage). L’homme est attaché à un passé, une histoire, une culture qui l’enferment dans un carcan  et un cadre entravant sa démarche vers le vrai progrès, vers l’accomplissement de son humanité, vers l’apothéose. L’Androïde, dans une course poursuite vaine, tente de rattraper la femme qui continue de lui échapper. La femme, produit de plusieurs siècles de malentendus et méprises, fuit l’homme refusant de lui faire confiance, refusant de lui prêter attention, de l’écouter. Elle avance seule sur son chemin. Lorsque l’homme croit avoir rattrapé la femme, il se rend compte qu’il ne s’est approprié qu’une image inerte sans vie. Une image incapable de lui venir en aide. C’est en comprenant cela qu’il se met à déchirer cette image.
L’homme androïde est un être blessé, meurtri, ensanglanté par toute une histoire mouvementée, violente, tragique. Il porte sur son propre corps les stigmates sanguinolentes de ce terrible héritage social, culturel et politico-idéologique. Des stigmates qui, jusqu’à aujourd’hui, n’arrivent pas à se fermer, à se cicatriser. C’est pareil à une momie saignante, à un mort vivant (androïde) traînant derrière lui une chaîne aussi longue que son passé rendant sa démarche gauche, maladroite,  pénible et incertaine.
Il est mu par l’improbable espoir que la femme le devançant l’aidera à se débarrasser de cette insupportable chaîne. La femme a une clef. Mais est-ce vraiment la clef adéquate ?
Au moment où il croit l’atteindre, elle se dérobe lui laissant entre les mains une image d’elle, une illusion, un analogon sans aucun pouvoir. La femme, elle, continue de fuir, revêche, indifférente presque insensible. Ce qui rend pertinent la question : la femme, est-elle l’avenir de l’homme, la solution tant escomptée, le salut tant recherché? Ne serait-elle, en fin de compte, comme le suggère la fin du film, le vrai androïde, être « futile » et sans «âme»?
Comme une apothéose, l’homme parvint enfin à se libérer par ses propres moyens de la servitude, de la chaîne, de l’emprisonnement et de l’esclavage. Le nouveau-homme est lancé sur les rails de l’histoire à venir, à recréer.
Le film nous donne aussi à voir un autre couple. Un couple traditionnel « uni » selon un schéma  qui nous est familier : un couple dont le noyau est l’homme souverain et autoritaire, le guerrier qui fait vivre la famille, et une femme, repos du guerrier, qui s’arrange pour que l’homme se sente bien, à l’aise. La femme reçoit ce que l’homme lui donne et s’en approprie. L’homme est satisfait de son rôle du seigneur. La femme semble également satisfaite de son rôle de serviteur. Deuxièmement, il y a la présence des chiens, symbolique animalière. Les chiens font, d’une manière allégorique, référence à cette relation qui repose sur l’amour charnel, instinctif, primitif, bestial entre la femme et l’homme. Une relation basée sur la satisfaction et l’assouvissement d’un besoin passager qui, une fois satisfait, annihile toute nouvelle attirance envers l’autre. La disparition de la raison de l’attirance annule toute possibilité d’union jusqu’à une nouvelle apparition de cette raison. L’acte sexuel dans ce qu’il a d’abject et d’exécrable reste l’unique élément unificateur des deux sexes. La scène presque comique, en tout cas dérangeante des deux chiens qui restent collés l’un à l’autre illustre à merveille ce côté charnel de cette union passagère. Une absence totale de tout lien sentimental caractérise cette union.
Troisièmement,  il y a tout un ensemble de symboles-personnages relevant de plusieurs domaines différents : la bande dessinée, le dessin animé, l’Internet... ces symboles plus ou moins modernes font référence à un type de relation pouvant exister entre des individus, des communautés, voire des pays. L’icône de MSN, moyen moderne de communication, réfère à une sorte de communication basée sur un lien virtuel à travers l’Internet. Cette relation semble plus ou moins artificielle, pareille à la relation dont le fondement unique est l’acte sexuel réduit à lui-même. L’icône de la famille Les Simpson illustre de son côté une autre relation de type familial et/ou parental.
Une autre icône, le héros (les Etats-Unis) qui voudrait diriger le monde (relation de maître à esclave), mais qui se trouve lui-même manipulé par une autre force ( ?), et qui finit par jeter l’éponge (son bouclier). Le Big Brother  (l’Union soviétique) qui dans la même perspective (dominer le monde : relation dominant/dominé) finit par se détruire. Ce sont là des relations inter-pays vouées à l’échec.
En fin de compte, le court métrage l’Androïde parle/montre tout un ensemble de relations plus ou moins humaines qui, à un moment donné, ont été déviées de leur chemin essentiel et primordial, à savoir rapprocher les êtres humains les uns des autres. C’est tout un enchevêtrement de relations superficielles, artificielles, mensongères, factices et erronées qui jalonnent le quotidien de l’être humain le poussant vers la confrontation, l’antagonisme plutôt que la communication basée sur la reconnaissance de l’autre. Nous sommes dans un monde où le «ou» l’emporte sur le «et». Comme disait Tarkovski dans l’un de ses films, une goûte d’eau plus une goûte d’eau ne font pas deux goûtes d’eau, mais une goûte, et un plus un font non plus deux, mais un.
C’est ce que semble vouloir dire l’Androïde qui préfère l’horizontalité (les rails, le train, les lignes …) plus humaine ou humaniste à la verticalité. Toute relation se doit d’être horizontale plutôt que verticale.


Lu 748 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.










services