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Côte d’Ivoire : Une croissance économique sans création d’emplois


Par Germain Kramo *
Jeudi 28 Janvier 2016

Le président Ouattara vient d’être réélu pour un deuxième mandat. En fin de premier mandat, il affirme avoir créé plus de deux millions d’emplois dont 1,3 millions d’emplois ruraux. Pour le gouvernement ces résultats de sa politique anti chômage : création de l’agence emploi jeune qui est un guichet unique de l’emploi, création d’un ministère dédié à l’emploi jeune et la création de fonds pour financer les projets des jeunes. Toutefois, en dépit de ces efforts, le problème du chômage demeure préoccupant. Selon le gouvernement, si l’on tient compte des personnes rémunérées en dessous du SMIG et du sous-emploi, le taux de chômage en Côte d’Ivoire était de 25% en 2013. Pourtant, le pays a réalisé des taux de croissance qui suscitent l’admiration (9,8% en 2012,  8,7% en 2013 et 9% en 2014). Alors pourquoi la croissance ivoirienne est-elle si pauvre en emplois ?
Plusieurs raisons permettent d’expliquer cette situation. L’un des arguments le plus souvent avancé par les politiques pour justifier le niveau élevé du chômage est l’inadéquation entre la formation et l’emploi. Les employeurs se plaignent de ne pas trouver les bons profils car les formations dispensées dans les grandes écoles et les universités ne tiennent pas toujours compte des besoins du marché du travail. A titre d’illustration nous pouvons citer l’exemple de certaines filières du Brevet de Technicien Supérieur (BTS) qui n’ont aucun débouché sur le marché du travail. D’ailleurs, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique a procédé à la réduction de leur nombre (de 53 à 26 filières). S’il est vrai que l’inadéquation formation-emploi explique une partie du chômage, elle ne saurait tout expliquer. Nous soutenons cette assertion par l’existence de jeunes qui sont bien formés mais qui ne trouvent pas de postes à la hauteur de leurs attentes. Cette situation conduit souvent à la fuite des cerveaux. Selon les statistiques de l’Organisation International pour les Migrations (OIM), l’émigration ivoirienne est une émigration qualifiée car 1/3 des émigrés ivoiriens est diplômé du supérieur. Cette diaspora qualifiée est constituée en majorité de personnels de la santé et d’enseignants.
Un autre argument souvent utilisé par les politiques est la pression démographique du fait de la croissance de la population active. Selon les données du Bureau International du Travail, le taux de croissance de la population active ivoirienne était égal à 2,6% en 2013, soit près de 21.000 nouveaux actifs. On est loin de la vague des actifs envahissant le marché de l’emploi que l’on veut nous présenter.
Si, le chômage persiste malgré la forte croissance économique c’est à cause de la faible capacité de la croissance à créer des emplois durables et de qualité. En effet, la majorité des emplois créés ces dernières années en Côte d’Ivoire sont des emplois précaires et/ou exigeant une faible qualification. Alors que des études ont montré que le chômage touche en majorité les jeunes diplômés. Selon l’enquête de l’AGEPE en 2012, les non instruits ont un taux de chômage de 6,4%, alors que 42,9% des diplômés de master sont au chômage. La croissance économique de ces dernières années est tirée par les investissements dans les infrastructures et l’exploitation des matières premières. La dépendance aux matières premières, la volatilité des revenus, la faiblesse de la transformation des produits issus du secteur primaire et/ou la faible création de valeur ajoutée sont autant de raisons qui expliquent la pauvreté en emplois de la forte croissance économique. La croissance dépend aussi de secteurs comme les BTP et des services peu créateurs d’emplois, et ces emplois créés sont destinés à une main d’œuvre peu qualifiée. A cela, il faut ajouter la faible intégration de l’économie ivoirienne puisque les échanges intermédiaires intersectoriels sont faibles entre le primaire, le secondaire et le tertiaire. A titre d’illustration, nous pouvons citer l’exemple du cacao. Le pays est premier pays producteur et exportateur de cacao au monde avec plus d’un million de tonnes de cacao produits chaque année. Plus de 130 ans après l’introduction du cacao en Côte d’Ivoire, c’est seulement environ 1/3 de la production du cacao qui est transformé dans le pays. La grande partie est exportée sans une première transformation. Cet exemple du cacao témoigne à la fois de la faible intégration entre les différents secteurs d’activité et de la faible création de valeur ajoutée. De plus, le tissu productif ivoirien est constitué de micro et petites entreprises qui ont une faible capacité d’embauche avec une gestion archaïque, elles recrutent peu de jeunes qualifiés. Près de 98% des entreprises en Côte d’Ivoire sont constituées de PME et près de 57% de ces PME sont des micro-entreprises.
Somme toute, des réformes pour corriger l’inadéquation formation emploi, encourager les entreprises à embaucher permettront d’obtenir une croissance plus riche en emplois. D’un côté, les organismes privés ou/et publics à travers le système classique de formation ou des académies spécialisées doivent coopérer pour améliorer la qualité de la formation et de l’enseignement. De l’autre côté, il faudra améliorer la capacité de l’économie et de la croissance ivoirienne à créer des emplois correspondant aux attentes des jeunes. Cela passe par une remise à plat de la fiscalité, la facilitation de l’accès au crédit, et l’assouplissement de la réglementation du travail. Cette réglementation du travail doit pouvoir mieux réguler le fonctionnement des agences de placement qui dans certains cas s’approprient jusqu’à 2/3 de la rémunération des travailleurs qu’elles placent auprès des entreprises. La consolidation de l’Etat de droit est fondamentale pour garantir l’égalité des chances économiques et promouvoir l’entrepreneuriat, source de création intarissable d’emplois. Enfin, il est aussi important de remédier aux distorsions sur le marché de travail qui font que l’emploi dans la fonction publique soit privilégié par rapport à l’emploi dans le secteur privé. C’est à ces conditions, que l’on peut espérer stopper le fléau du chômage en général, et celui des jeunes en particulier, pour aller vers une croissance inclusive qui profite à tous sans exception.

 * Chercheur Associé
au CIRES – Côte d’Ivoire
Article publié en collaboration avec Libre Afrique


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