Carte RAMED : Couverture médicale gratuite ou chèque en bois ?


Par Hicham El Moussaoui *
Mercredi 10 Février 2016

9,2 millions de Marocains profitent du RAMED (régime d’assistance médicale gratuite pour les indigents), tel est le chiffre brandit avec fierté par M. Benkirane, chef du gouvernement, le 2 février dernier, pour s’enivrer du succès de son gouvernement qui présente le social comme étant sa marque de fabrique. Devrions-nous pour autant nous joindre au chef du gouvernement pour fêter cet exploit?
Certes, le gouvernement actuel peut se vanter d’avoir atteint plus de 113% de la population cible, dont une partie a profité de prise en charge hospitalière, de prestations d’urgence,  d’actes chirurgicaux, il n’en demeure pas moins que la grande partie des détenteurs de ces cartes et les professionnels de santé pointent du doigt l’insuffisance quantitative et qualitative des prestations promises.
Ainsi, en dépit des efforts déployés, des dysfonctionnements et des lacunes menacent non seulement la réussite de cette initiative mais aussi sa pérennité. En effet, avec six médecins pour 10 000 habitants, 9 lits pour 10 000 habitants en moyenne, et un nombre du personnel paramédical  formé aux soins liés à l’accouchement inférieur à 2,2 pour 1000 habitants, il n’est pas étonnant que le RAMED ne soit plus éligible pour plusieurs prestations et soins dans plusieurs établissement hospitaliers. Ainsi, quand un « Ramédiste » se présente aux CHU, zappant les dispensaires et les centres de santé à juste titre car étant en quasi-faillite, il n’aura pas la priorité car perçu plus comme un boulet qu’un patient. S’il a de la chance, on lui donnera des rendez-vous rédhibitoires. Sinon on lui opposera un refus catégorique ou encore on le «refoulera» gentiment, prétextant que le scanner, la radiologie ou l'échographie sont «en panne». Si tel est le cas à Casablanca et à Rabat, imaginez la situation au Maroc profond. Pire encore, les Ramédistes, puisqu’ils sont dans le besoin, se retrouvent contraints de payer des bakchichs à quelques infirmiers ou intermédiaires pour faciliter leur accès aux soins et aux prestations, ou encore régler avec leurs propres deniers les analyses et l’achat de médicaments, renforçant ainsi la corruption dans un secteur déjà gangréné. Quant à ceux qui croient toujours à la gratuité, ils ne sont pas prêts d’être servis.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que, parmi les 9 millions heureux élus, l’insatisfaction domine. D’ailleurs la dernière étude de l’Agence nationale de l’assurance maladie obligatoire (ANAM) le démontre chiffres à l’appui : le taux de renouvellement des cartes du RAMED ne dépasse pas les 47% chez la catégorie des affiliés «pauvres et vulnérables». Aussi, le taux de retrait des cartes de catégorie « Vulnérables », au titre de l’année 2015, a été de 29,5%, en régression de trois points par rapport à l’année 2014. Ainsi, l’on voit clairement comment un projet destiné en principe à lutter contre un système de santé à deux vitesses, ne fait que le consolider et le renforcer. Qui est alors responsable ?
L’explication souvent avancée, est la défaillance du financement et le non respect par le gouvernement de ses engagements financiers. Effectivement, le gouvernement n’a pas injecté de fonds dans ce système depuis deux ans, et n’a jamais inscrit le RAMED dans son budget annuel. Ce qui a  d’ailleurs incité l’UE à refuser de continuer à financer ce régime en raison de son manque de visibilité et de transparence. Mais quelle idée de faire reposer l’essentiel de financement (75%) sur les épaules de l’Etat, le plus mauvais payeur du pays ! Comment n’ont-ils pas pensé à diversifier les sources de financement, notamment en mobilisant des partenariats public-privé ? Au delà des problèmes de financement, il y a la carence de gouvernance du système qui commence  avec la procédure et la paperasse administrative compliquée d’éligibilité des vulnérables et des pauvres (absolue ou relative). A cela, il faut ajouter la faiblesse du rôle des centres de santé en termes de prestations de soins, le manque de médicaments et d'équipements de diagnostic, et finir, la non généralisation du système de facturation dans les hôpitaux marocains. Comment voulez-vous rationaliser la gouvernance d’un projet, si vous n’en connaissez même pas le coût réel.
Il faut chercher la racine du mal, dans le modèle économique de ce projet car le Ramed a été mal conçu à la base. En effet, le gouvernement a mis en place un système déséquilibré, puisqu’il n’a fait que faire de la promotion, sans mettre en place les moyens nécessaires pour que l’offre puisse répondre à un supplément de demande. Résultat des courses, les Ramédistes, à qui on a promis monts et merveilles, se sont retrouvés avec des cartes en bois. D’ailleurs, l’échec du projet-pilote du Ramed, lancé en 2008, dans la région Béni-Mellal Azilal, a été déjà constaté depuis longtemps. Mais me dira-t-on, sont-ils non prévoyants à ce point pour ignorer l’évidence ? Pour comprendre le paradoxe, il faudrait rappeler que ce régime a été lancé dans le contexte très particulier du « Printemps arabe ». Et comme les subventions des produits de première nécessité, l’embauche des jeunes dans la fonction publique, étaient des mesures destinées à acheter la paix sociale, ignorant complètement toute rationalité économique. Et forcément, c’était un projet improvisé et bâclé, ce qui explique les dysfonctionnements actuels.
Dès, lors la solution passe par l’ajustement de l’offre médicale à la hausse sinon les cartes RAMED deviendront des chèques en bois, sans provisions. Cet ajustement ne peut se faire qu’avec l’implication des investisseurs privés à la fois dans le financement et que dans la gestion de ce système. L’implication du secteur privé permettra, d’une part, l’allégement de la contrainte financière, et d’autre part, l’introduction de plus de discipline et de culture du résultat dans le management. A ce titre, notons que le syndicat national des médecins du secteur libéral, affirme que les médecins du secteur privé ont déjà déposé une note dans laquelle ils ont exprimé leur volonté de soigner les citoyens indigents au même coût que celui pratiqué au secteur public, mais sans réponse de la part du gouvernement.
Bref, Il faudrait rompre avec les politiques approximatives et de « l’à-peu-près » menées dans le seul but d’atteindre des objectifs politiciens au nom d’objectifs sociaux. Faute de quoi, et à force de vendre aux citoyens des leurres, les cartes RAMED se transformeront en des bombes sociales qui s’exploseront à la figure du gouvernement.

 * Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane
Article publié en collaboration avec Libre Afrique


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