Camille Sari, expert économique et financier, spécialiste du Maghreb : "Avec la hausse du chômage, les premiers touchés seraient les travailleurs étrangers"


Propos receuillis par Youssef Lahlali
Vendredi 16 Septembre 2011

Camille Sari, expert économique et financier, spécialiste du Maghreb : "Avec la hausse du chômage, les premiers touchés seraient les travailleurs étrangers"
Libé : Voulez-vous nous expliquer les raisons de cette crise  boursière ?

Camille Sari :La situation de l’économie mondiale et celle des Etats-Unis en particulier, ne se sont pas dégradées ces derniers mois.  Donc logiquement on n’aurait pas dû connaître une chute des bourses. Mais le déclencheur de ce mouvement spéculatif sur les marchés internationaux provient de ce jeu politicien entre démocrates et républicains sur le relèvement du plafond de la dette américaine.
Les Etats-Unis avec une dette publique dépassant les 14.300 Mds de $ est le pays le plus endetté  du monde. Afin de pouvoir emprunter sur les marchés financiers, l’administration étatsunienne devait demander l’autorisation du Congrès et du Sénat. Ce n’est pas la première fois que cela se produit dans ce pays. Ce fut le cas 67 fois depuis 1962 et 10 fois depuis 2001. Lorsque les deux assemblées sont du même bord politique que le président, cela passe comme une lettre à la poste. Le blocage auquel on a assisté montre une radicalisation des clivages idéologiques entre les conservateurs et notamment leurs « intégristes » les membres du Tea party et les démocrates. Les premiers défendent le moins d’Etat et le plus de marché. Lors de la crise financière mondiale en 2007/2008, qui, rappelons-le, est venue des Etats-Unis, nous avions cru que ce courant de pensée serait battu en brèche. Il est coupable d’avoir initié les déréglementations-dérégulations des marchés boursiers, dans les années 1980 et favorisé le règne de la finance au lieu de la production et l’emploi. Pas du tout, il est toujours présent et est majoritaire au Congrès.

Est-ce que c’est une crise passagère, une neige d’été comme on dit, ou une crise qui va s’installer dans la durée ?

En 2008, les Etats ont sauvé les banques. Ils ont injecté près de 5000 Mds de dollars pour aider celles-ci. La flambée des dettes publiques qui s'amoncellent en Europe et aux Etats-Unis vient d’un certain laxisme budgétaire mais aussi des conséquences de la crise des subprimes. Les marchés financiers sont mal placés pour donner des leçons de vertu gestionnaire aux gouvernements. Ils sont la cause des déséquilibres internationaux.  La prochaine crise sera d'une violence que l'humanité n'a jamais connue auparavant. La seule solution : réguler les Bourses et le système bancaire et donner la priorité à l'économie réelle, l'emploi, la formation et les coopérations avec les pays du Sud. Ces derniers doivent se regrouper dans des unions économiques solides.

Comment expliquez vous l’intervention de la Banque centrale européenne, la première fois dans l’histoire de l’Union européenne, pour acheter des obligations espagnoles et italiennes ?

La dette européenne agrégée, de tous les Etats de l’UE, rapportée à leur PIB, est de 80% en 2011. Ce même ratio est de 103% aux Etats-Unis et en plus, ce pays doit faire face à un endettement endémique des plus graves. Le problème n’est pas le poids de la dette grecque, mais celui de ce que j’ai appelé la dictature des marchés. Ce qui alourdit les charges d’intérêts sur les emprunts de la Grèce, ce sont les spéculateurs qui profitent des techniques les plus sophistiquées pour spéculer en toute impunité contre les économies et les finances publiques. Tous ceux qui détiennent des CDS (Credit default swaps), des produits d’assurance contre la défaillance des Etats se frottent les mains. Il est temps que les gouvernements reprennent les commandes et imposent des régulations qu’ils ont abandonnées dans les années 1980.
La Banque centrale européenne a été obligée (enfreignant ainsi un dogme) d’acheter des obligations du Portugal, de l’Irlande, de la Grèce, de l’Espagne et de l’Italie. Ces deux derniers pays n’avaient pas besoin d’une telle faveur, mais leurs taux d’intérêt ont grimpé jusqu’à 6,5% et cela pouvait aller plus loin. Grâce à ces interventions, les taux se sont stabilisés.

Est-ce que la note de la France va baisser dans le futur ou c'est la rumeur ?

Rappelons qu’après avoir sous-estimé les risques financiers en 2008, les agences de notation ont voulu se rattraper sur les Etats, tâche qui n’est pas aisée car leurs actifs ne sont pas mesurables. Les infrastructures et les Iles grecques valent plus que sa dette. Il en va ainsi dans le cas de la France. Les trois agences principales qui contrôlent 90% du marché de la notation, Fitche, Standard & Poors’s et Moody’s ont affirmé qu’il n’y aura pas de dégradation de la note française. Des spéculateurs ont voulu faire monter les CDS (Credit default swap), ces assurances sur les défauts de paiement des Etats, d’autres pour faire chuter les actions des banques afin de les acheter à bas prix et les revendre après le démenti des rumeurs.
Cela étant, si la situation économique et financière se dégrade, la France comme d’autres pays pourraient perdre leur AAA.

Quelles conséquences sur l’économie marocaine d’autant plus que toutes les entreprises du CAC 40 sont installées au Royaume surtout les banques ?

Si par malheur le krach boursier s’aggrave, les banques auront des difficultés à financer les entreprises, les Etats vont emprunter plus cher, les déficits s’accumulent et c’est la récession généralisée. Les conséquences sur le Maroc sont multiples, les banques françaises ne pourraient plus faire face à leurs engagements internationaux et on connaît les liens avec les banques marocaines. La crise économique si elle se confirme en Europe qui, rappelons-le, est le premier partenaire commercial du Maroc, va commander moins de produits marocains. En outre, avec la hausse du chômage, les premiers touchés seraient les travailleurs étrangers dont nombre de Marocains ne pourraient plus transférer à leurs familles les mêmes montants d’euros. Les investissements au Maroc se tariraient et il y aurait baisse des arrivées des touristes européens.

Quelles conséquences sur le Maghreb, lequel des pays de la région résiste mieux ?

Tous les pays du Maghreb. J’ai été le premier à alerter sur le danger des placements des réserves de change algériens sur les bons du Trésor américains (75 Mds de $). Les exportations algériennes constituent 98 % de ses recettes. Ce pays pourrait voir ses revenus pétroliers divisés par deux, car une crise économique mondiale comme en 2008 aurait des conséquences sur les prix des hydrocarbures. La Libye connaîtrait le même sort.
La  Tunisie dont l’économie est extravertie comme celle du Maroc présente les mêmes faiblesses soulignées précédemment.

Tout le monde attendait le sommet  Sarkozy-Merkel, pourquoi?

 Le psychodrame qui a précédé l’accord de Bruxelles en date du 21 juillet 2011 s’expliquait par les divergences entre l’Allemagne et la France, en tant que plus gros contributeurs de l’Union. Angela Merkel devait faire face à l’opposition de sa population à toute aide aux Grecs, jugés comme étant peu productifs, bénéficiant d’avantages exorbitants et dont les riches d’entre eux pratiquent l’évasion fiscale et le transfert de capitaux. Elle a insisté sur la nécessité de faire payer les banques. N. Sarkozy qui veut redorer son blason dans la perspective d’une réélection en 2012 de moins en moins évidente s’est complètement investi dans cette affaire en exagérant les risques et en surestimant les résultats.
Le PIB de la Grèce ne représente que 2% du PIB européen. La dette grecque c’est 4% de la dette globale de l’Union européenne. Celle-ci a largement les moyens de contenir cette crise. La dette européenne agrégée, de tous les Etats de l’UE, rapportée à leur PIB, est de 80%.
Le problème n’est pas le poids de la dette grecque, mais celui de ce que j’ai appelé la dictature des marchés financiers.
J’ai développé largement les causes des déséquilibres financiers internationaux et  j’ai fait des propositions de sortie de crise comme un  contrôle sévère des Hedges funds, ces fonds spéculatifs et l’interdiction de la vente à découvert ainsi que l’achat d’actions et d’actifs financiers  à crédit en les massacrant ensuite afin de les revendre au moindre prix. Il faut rétablir les feux rouges et les stops car les spéculateurs sont cupides et individualistes. Les fonds spéculatifs misent sur le gain à court terme et sacrifient l’emploi et les investissements à long terme.
A côté de la réforme des marchés financiers, il est indispensable de s’attaquer à la gouvernance économique. C’est ce que j’ai dit sur France 24 avant la signature de l’accord de Bruxelles et ce qu’a affirmé Sarkozy lors de sa conférence de presse qui suivit la signature de cet accord. Cela veut dire que nous sommes dans le vrai. L’Union européenne ne s’en sortira que par une coordination des politiques économiques et la construction d’un socle basé sur l’économie réelle et non sur la domination de la finance. J’ai écrit en 1992 dans un article (voir mon site) que le déclin de l’industrie en France augure de difficultés dans le futur. A l’époque, les technocrates et les dirigeants politiques imprégnés de l’idéologie libérale ont laissé filer des pans entiers de l’industrie française. Celle-ci ne représente plus que 18% du PIB contre 34% il y a vingt ans. Les Allemands, s’ils s’en sortent, c’est parce qu’ils ont gardé une base industrielle puissante. Je le constate à chacune de mes visites de la foire industrielle de Hanovre et lors de mes déplacements en Chine où les usines tournent avec des machines et la technologie allemandes.
Le sommet Merkel-Sarkozy devait donner des indications précises sur ces points, sinon on repartira de nouveau vers des mouvements spéculatifs et une instabilité mondiale.


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