Cameroun : Quels freins à la micro-assurance agricole ?


Par Louis-Marie Kakdeu
Mardi 24 Octobre 2017

Beaucoup de pays asiatiques utilisent déjà des indices météorologiques (humidité, pluviométrie, température, etc.) et la collecte des données satellitaires pour anticiper et gérer les pertes agricoles (assurance indicielle). En juillet 2017 après une sécheresse dans l’Etat du Tamil Nadu (Inde du Sud), 203 000 riziculteurs/trices ont perçu des indemnités allouées dans le cadre de l’assurance-récolte sans plus dépendre des aumônes et autres aides humanitaires d’urgence.
Or, Atlas Magazine qui publie l’actualité sur l’assurance dans le monde rapporte qu’en 2015, seuls 0,25% d’Africains comptaient parmi les 178 millions d’agriculteurs assurés dans les pays du Sud : 800 000 en Afrique de l’Est (Kenya, Tanzanie et Rwanda), 52 228 en Afrique de l’Ouest et l’essentiel en Afrique du Sud. Pourtant selon ACRE Africa[1], la micro-assurance apporte un gain supplémentaire de 16% aux paysans. La question est de savoir pourquoi le Cameroun où près de 65% des citoyens vivent de l’agriculture reste en marge ?
Jusqu’ici, pour calculer l’assurance agricole, la probabilité de sinistre était évaluée sur la base du rendement de l’année précédente. Pour cette raison, le marché était moins attrayant et le montant des primes était intenable (entre 320 000 et 650 000 FCFA). L’assurance indicielle apporte l’espoir de jouer un rôle de facteur-clé de développement puisqu’elle ouvre aux paysans l’accès aux financements et peut permettre de stabiliser leurs revenus en cas de sinistre. Auprès de la Banque Mondiale, le Cameroun avait commandé une étude de faisabilité en vue de lancer un projet pilote d’assurance indicielle en 2017 avec pour ambition de faire bénéficier 70 000 agriculteurs et éleveurs d'ici 2019. Mais, plusieurs facteurs ont freiné cette initiative aux rangs desquels : la mauvaise gouvernance, des réglementations non-adaptées, des modèles commerciaux obsolètes et des investissements quasi insignifiants dans l’innovation.
En effet, à cause de la mauvaise gouvernance, les délais d’exécution sont rarement respectés. Un gap de plusieurs années (voir décennies) existe entre la date de prise d’une décision et la date de sa mise en œuvre. Par conséquent, à ce jour, le projet pilote de micro-assurance annoncé en grande pompe à Douala le 15 décembre 2016 lors d’un atelier regroupant tous les différents acteurs dont le gouvernement et l'Association des compagnies d'assurances du Cameroun (ASAC) reste toujours « en cours ». Cette pratique s’observe aussi chez les assureurs eux-mêmes où le non-respect des délais de paiement des prestations accentue la méfiance et pose le problème de leur solvabilité.
Sur le plan juridique, le Cameroun a bénéficié comme les autres pays ACP du Mécanisme mondial pour l’assurance indicielle (GIIF) pour intégrer la notion d'assurance indicielle. Les 14 ministres des Finances de la zone CFA ont ratifié en 2012 le nouveau Code (Livre 7) de la Conférence Interafricaine des marchés d’assurances (CIMA) qui permet la pratique des activités de micro-assurance, y compris de l’assurance indicielle. Mais, la micro-assurance reste inféodée par les règles rigides de l’assurance traditionnelle (code CIMA) qui la rend contraignante pour le micro-assureur et le paysan déjà non couvert par la protection sociale. Aussi, le règlement CEMAC 2002/01 qui régit les établissements de micro-finance (EMF) n’intègre pas la micro-assurance, rendant l’activité officieuse dans ces établissements de microcrédits représentant pourtant 98% du portefeuille de la micro-assurance en 2011 selon un rapport de Développement International Dejardins. Pis, les tontines qui comblent le besoin local de micro-assurance sont maintenues dans l’informel, ce qui éloigne les offres d’assurance des habitudes socioculturelles des paysans. Par conséquent, la loi n’instaure que très peu de dispositifs incitatifs adaptés susceptibles de renforcer la demande d’assurance et de combler les lacunes du marché. Elle doit assouplir les conditions d’agrément des agents de micro-assurance.
Par ailleurs, le modèle de calcul des indices est obsolète. Le risque de base est difficile à évaluer dans la mesure où il y a insuffisance de l’historique des données météorologiques susceptibles de permettre de savoir ce que serait une année «normale» dans les différentes localités. Il devient donc difficile de fixer un indice de calcul des primes approprié pour chaque zone agro-écologique. Pis, les paysans sont non-sensibilisés et en manque d’éducation financière. Plus important, le modèle d’accompagnement de la formation des institutions financières et des assureurs locaux n’est pas au point. Il s’agit de l’élaboration et la distribution de contrats et produits d’assurance indicielle, de la procédure de prise en charge des demandes d’indemnisation, etc. En clair, comment réussir lorsqu’il existe encore des lacunes dans l’élaboration des produits susceptibles de satisfaire et de stimuler la demande locale ? Par exemple au Kenya, les produits de micro-assurance sont vendus sous formes de microcrédit, d’une prestation de conseil ou de l’achat de semences. Grâce à l’utilisation de la téléphonie mobile, les paysans achètent des semences codées avec la certitude qu’ils seront compensés en cas de non-germination dans 21 jours.
La solution réside dans l’innovation. Par exemple, les stations météorologiques doivent être rénovées et pourvues en ressources suffisantes en quantité et en qualité afin de rendre disponibles et régulières les données fiables. En l’état, seule une vingtaine de stations et 30 postes climatologiques existent et l’on ne note aucune station agro-météorologique. Au lieu de compter comme maintenant sur les subventions du GIIF pour baisser les primes, il faudrait investir massivement dans les TIC afin de rendre possible la collecte des données pluviométriques ou l’utilisation des données satellites obtenues à l’aide de différents capteurs pour mettre au point de nouveaux indices ou créer des produits basés sur le rendement. Les TIC pourraient aussi renforcer des solutions comme le mobile financing  dans un secteur de l’assurance en pleine croissance où le chiffre d’affaires a augmenté de 13% en 2015 et le paiement des sinistres de 5% selon l’ASAC.
En somme, le retard du Cameroun dans l’assurance agricole bute principalement sur la mauvaise gouvernance et l’insuffisance de l’investissement dans l’innovation. Il convient maintenant de joindre la parole aux actes pour surmonter ces difficultés.

 * Article publié en collaboration
avec www.unmondelibre.org

 


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