Burkina Faso: Le protectionnisme pour relancer la filière sucre


Par le Dr Lirasse Akouwerabou *
Vendredi 20 Novembre 2015

Le gouvernement burkinabè en conseil des ministres du 15 octobre 2015 a pris des mesures protectionnistes, notamment des restrictions concernant la délivrance d’Autorisation spéciale d’importation (ASI) pour permette à la Nouvelle Société Sucrière de la Comoé (SN-SOSUCO) de pouvoir écouler sa production sur le marche local.
Après 27 ans de monopolisation de la vie économique, ces mesures sont perçues comme la fin du règne des gros importateurs, qui bénéficiaient des faveurs des gouvernements précédents dans la filière sucre, ou qui, le plus souvent, agissaient pour le compte des détenteurs du pouvoir politique. Par ailleurs, ces mesures font écho à la vision « consommons burkinabè » chère aux révolutionnaires burkinabè et très défendue à l’époque par le Président Thomas Sankara. Pour le gouvernement de la transition ces mesures sont prises en accord avec tous les acteurs de la filière et doivent permettre le « développement de l’industrie sucrière et la préservation des emplois dans ladite industrie [1]». Mais, peut-on dire pour autant que les difficultés de la SN-SOSUCO sont résolues durablement ?
Le protectionnisme n’est pas la solution idoine même si elle semble s’inscrire dans la logique populaire du moment. En effet, il ne s’agit que d’un transfert des avantages dont bénéficiaient les hommes d’affaires proches du serial politique aux actionnaires de la SN-SOSUCO. La sauvegarde des emplois à la SN-SOSUCO dont il est question ne peut se faire durablement qu’à condition que la société soit compétitive  car dans le contexte du marché sous régional, rien n’empêchera d’autres sociétés de vendre leur sucre sur le marché burkinabè si les prix grimpent. C’est aussi une porte ouverte à une fraude importante avec des frontières très poreuses et une administration douanière qui est toujours parmi le trio de tête dans le hit-parade des administrations les plus corrompues (RENLAC, 2014)
Ces mesures pourront garantir désormais à la SN-SOSUCO un marché sans concurrence. Pourquoi investirait-elle pour produire du sucre de meilleure qualité ? La société défendra bien l’idée qu’elle offre un meilleur rapport qualité-prix. Mais, pour améliorer la qualité il faut innover constamment et l’innovation a un coût qui sera répercuté sur le client dans le contexte actuel. Dans un marché concurrentiel,  ce surcoût aurait pu ne pas être ressenti par le client car l’entreprise aurait du diminuer ses marges pour conserver ou accroitre sa part de marché. Mais, dans le contexte ou la SN-SOSUCO est protégée, celle-ci n’aura aucun intérêt à investir davantage car elle n’a ni la pression des actionnaires, ni celle des concurrents. Dans cette perspective, elle vendra sans doute des produits de moindre qualité que dans un contexte de concurrence.
Malheureusement, le consommateur-contribuable devra payer un plus lourd tribut. Les mesures prises par le gouvernement occasionneront nécessairement des dépenses publiques supplémentaires qui du reste ne seront pas prises en charge par la SN-SOSUCO mais par le contribuable burkinabè. Ce dernier finance alors une entreprise par ses impôts pour avoir au final des produits plus chers et de plus mauvaise qualité. Le consommateur-contribuable paiera plus cher le sucre car ces mesures seront aussi interprétées par le marché local comme un durcissement des conditions d’importations du sucre, donc une offre inférieur à la demande d’où une hausse de prix à la consommation qui du reste sera difficilement contrôlable. En effet, il suffit que les conditions du marché changent et la société répercutera cela sur les prix. De plus, cette augmentation du prix entrainera l’augmentation de tous les autres produits dont le sucre est une composante essentielle.
Contrairement à la SN-SOSUCO, d’autres sociétés ont réussi à s’adapter à la concurrence sans des mesures de protectionnisme. C’est le cas de la société privée CFAO qui, avant l’importation massive des motos de Chine, avait le monopole de fait  sur les engins à deux roues. A cette époque, une moto YAMAHA était pratiquement inaccessible pour la majeure partie de la population car son prix variait entre 1.000.000 et 2.000.000 FCFA. Avec la concurrence des importateurs de motos à deux temps avec plus de confort et qui se vendent à moins de 400.000FCFA, CFAO a perdu son monopole mais a fait un repositionnement stratégique en se focalisant sur le haut de gamme, ce qui lui a permis de résister  à la concurrence des importateurs. Ainsi, la SN-SOSUCO peut améliorer ses performances simplement en faisant de meilleurs choix stratégiques à l’image de CFAO qui réussit sans des mesures de protectionnisme.
Nos gouvernants doivent tenir compte du bien-être du consommateur-contribuable pour qu’il ne soit plus soumis à des mesures protectionnistes qui sont au mieux des  « primes à la médiocrité » ou encore une façon détournée de lui faire payer les erreurs des gestionnaires de ces sociétés. La preuve en est que les « vélos  chinois [2]» ou les engins à deux roues sont désormais accessibles à la majorité de la population burkinabè. Cette importation massive des motos a eu un impact positif dans la vie quotidienne du contribuable burkinabè. Dans des villes comme Ouagadougou  les piétons sont devenus très rares.

 * Enseignant chercheur
Université de Ouaga 2.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique
[1] DCPM/Ministère du Commerce et de l’Artisanat, 2015
[2] Nom donné aux vélos provenant de Chine


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