Au festival du livre de Marrakech, vous avez goûté à l’ivresse livresque


Par Soumia MEJTIA
Mardi 9 Avril 2019

J’avais écrit sur mon carnet que j’existais peut-être sur les rivages d’une eau qui ruisselait chaque jour d’un fond inconnu.  Je riais à cette idée saugrenue, crédule, qui ne voulait sûrement rien dire. Elle n’a rien de poétique, rien de philosophique, rien d’existentiel. Elle ne disait rien de moi.
Puis, j’avais écrit que je ne devrais pas dire que j’existais, mais plutôt sentir l’être sans se dire n’être. Je ne me sentais pas philosopher en m’inspirant des questions sur l’existence, je ne me sentais pas encore prononcer les mots identité, ou encore non-identité. J’avais écrit aussi que je n’aimais pas chercher ces mêmes mots qui faisaient que souvent on se perd dans des discours malheureux sur le qui était, ou le qui n’était pas, ou le qui ne pouvait pas être… !
Récemment, un ami me disait sans disputer aucun argument : « Mais nous ne sommes rien, même pas dans une promesse ! » Il se tut allégrement, sourit de ce sourire heureux rejetant abondamment l’inquiétude du monde.
Toutefois, il y a des moments où nous ne sommes pas rien. Je lui dis qu’il n’avait pas tort, car je l’entendais penser que nous sommes tellement infimes qu’il faut toujours veiller à se méfier des murmures de son ego.
Je lui répète ici, à cet ami écrivain, qu’il y a des moments où nous ne sommes pas rien. C’était quand, presque, le printemps a ouvert sur «Le Festival du livre à Marrakech», où soudain, dans un moment précis, un évènement fait qu’un nombre important d’écrivains et d’artistes, de lecteurs, de visiteurs se rencontrent pour être dans l’amitié du monde.
Trois jours, du 29 au 31 mars, à Marrakech, nous étions réunis pour célébrer le Livre lors d’un rendez-vous annuel, qui en est à sa quatrième édition.
Nous étions entourés de livres, entre auteurs, discutant, racontant, recevant des lecteurs qui venaient découvrir cet espace culturel où plusieurs genres d’art se côtoyaient : l’art oral soutenu agréablement par le conteur Abderrahim El Azali et sa charmante fille Mahjouba Al Azalia. Nous étions subjugués devant la qualité du texte, poétiquement scandé dans une verve infaillible. Nous étions aussi enchantés que Mahjouba, la fille, soutienne El Azal «l’héritage ancestral» en interprétant les rôles, elle et son père, avec enthousiasme et engagement… L’art de la distillation de l’eau de rose…L’art du bel accueil par toute l’équipe organisatrice… L’art de la bienveillance des volontaires qui veillaient à notre confort tout au long du séjour… L’art du sourire, sourire pour parler, inviter, rêver, pardonner, se pardonner…
En s’immergeant dans cette ambiance enchanteresse et festive, je peux dire que l’art installe bien l’homme dans un rapport libertaire au monde. Dans toute la causalité de l’art, la fin est infinie dans la mesure où le sublime génère la beauté qui en est le reflet le plus authentique. Et ce sublime se fait dans la liberté que sent chaque artiste au moment de la forge.
 Bien qu’il ne soit possible de vivre concrètement chaque instant qu’une seule fois, la vie peut parfois se prêter sans fin, non dans la répétition mais dans la naissance de moments à chaque fois riches de singularité. La fatalité nous astreint certes à une certaine finitude, mais l’art fait en sorte de nous rassembler dans un espace où cette finitude s’élargit dans une générosité incommensurable qui atténue le tragique de l’existence.
L’art nous permet ainsi de couper avec l’aridité du réel, et quand bien même nous nous lasserions du feu du quotidien, nous nous soignons par les feux de nos plumes.
D’un autre point de vue, nous sommes tous en quête de cette autre partie de nous-mêmes un peu perdue, et cela se fait sentir dans ce manque ontologique que nous ne pouvons combler qu’en aspirant à ce côté beau de la vie, ce transport inhabituel que nous nous permettons à chaque fois que nous écrivons, peignons ou racontons…
Et le même ami écrivain de me dire lors de l’un de nos échanges dans ce festival : «Ecris pour toi, libère-toi ; fais de l’espace, car nous n’arrêtons pas de prendre pour nous, il faut dire pour nous guérir ou pour guérir. D’autres ont écrit avant nous et d’autres écriront. Lira qui lira, pourquoi s’inquiéter ?».
 «Est-ce l’artiste qui fait de l’art ou l’inverse ? me suis-je demandée.
 Je me disais que l’inverse est plus souhaitable dans la mesure où c’est la réponse ou la vérité la plus probable. Nous sommes forgés par nos écrits, au moment où nous nous adonnons, avec tout ce que nous avons de fort en nous, à faire sourdre «un patron» nouveau qui se construit sur un même modèle.  Car nous ne pouvons nous subvertir, nous furetons une perfection tue en nous, nous y accédons par moment quand nous sommes dans la production, dans la création ou dans la réception de cette production ou de cette création.
Que de fois j’ai vécu avec mes deux vies
La plus agréable était à l’intérieure
La plus enchantée était de la raconter dans l’envie
De se dire que j’ai pu entrevoir en moi l’éclat supérieur
Qui crée la surprise des joies enfantines
En se demandant d’où provenaient ces beaux attraits
Qui font que l’on s’anime de fougue héroïne.
Ainsi, le Festival du livre de Marrakech fut ce moment de poésie (qui m’a inspiré les vers précédents) où nous étions tous animés de cette fougue de la gloire.
Et qu’y a-t-il de plus glorieux, de plus gracieux que d’échapper par moments, le temps d’un Festival, à la prose du monde ?


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