Al-Qaïda et le Printemps arabe (suite et fin)


* Abdelkrim Nougaou
Lundi 22 Octobre 2012

Al-Qaïda et le Printemps arabe (suite et fin)
Les opérations de nuisance de ces mouvements rassemblés au sein de ce mini-Etat à la communauté internationale commencent à se faire sentir par tous. Ce n’est pas le même style qu’au large de la Somalie qui a connu des années de piratage de bateaux sans précédent. Ce sont, cette fois, des opérations de kidnapping et d’assassinats perpétrés respectivement sur les territoires algérien et libyen, qui sont au-devant de la scène. Deux opérations spectaculaires ont marqué les faits : le kidnapping de six agents consulaires algériens, dont deux déjà exécutés et les quatre autres gardés comme otages. A Benghazi, c’est le tour de l’ambassadeur américain en Libye de faire les frais de la présence massive d’Al-Qaïda dans ce pays. Son assassinat a été précédé de l’attaque armée perpétrée contre le consulat américain à Benghazi au mois de juin 2012. Ces deux actes sur le sol libyen ont bel et bien été planifiés et le matériel utilisé ne peut être manipulé par quiconque.
C’est un acte commis à la veille du 11 septembre, comme réplique à l’assassinat d’un des émirs de guerre d’Al-Qaïda dans la région frontalière pakistano-afghane, nommé Abou Yahya Allibi. Auparavant, un communiqué signé par le chef de l’organisation Ayman Adhawahri, a fait part de sa détermination à venger cette mort. Cela démontre à quel point l’organisation tient parole, et  parvient  à honorer ses engagements meurtriers comme c’est le cas au quotidien en Irak, où l’intensification des opérations semble revenir avec force. En Libye toujours, la destruction des sanctuaires et tombeaux soufis avec les mosquées avoisinantes, sont des actes portant la signature d’Al-Qaïda. Ses drapeaux noirs montrés un peu partout sur le territoire, et dans les grandes villes sont le signe d’un lendemain sanglant et incertain. En Syrie, l’organisation est en train de bâtir ses bases dans une course contre la montre, pour marquer sa présence et avoir un impact dont elle aura besoin le jour de la chute certaine du régime de Bachar Al-Assad. Le salafisme wahabite est l’idéologie qui marque la nébuleuse dans ses actes comme dans ses discours.
Mais en Egypte, c’est tout un autre schéma qui se dessine, puisque les salafistes du Parti Ennour ont participé aux élections législatives comme force politique avec un score de 20%, à côté des  Frères musulmans qui ont réalisé un score de 40%. Cette participation est de nature à éliminer dans l’immédiat, la dangerosité d’Al-Qaïda surtout que le pouvoir est entre les mains des islamistes du PJL. Morsi, dès l’accès au pouvoir, après son élection, a montré une ferme détermination à combattre les actes terroristes d’où qu’ils viennent. La démonstration de force au nord-est du Sinai contre des terroristes présumés a été une symbolique à retenir.  
En Tunisie, le salafisme est bien présent. Deux faits spectaculaires ont marqué ce pays depuis la chute de Ben Ali : le premier concerne la chaîne de télévision privée Nassma après avoir diffusé le film de production franco-iranienne matérialisant  « l’Etre de Dieu », et le second est en rapport avec la Faculté des lettres et des sciences humaines de Manouba dont le doyen a interdit aux étudiantes le port du nikab. Le drapeau tunisien flottant sur le toit de cette même Faculté, lacéré par un militant salafiste, a été un sujet de débat quotidien dans toutes les régions du pays. L’accueil chaleureux réservé par le président Marzouki à la jeune étudiante (sans voile ni nikab) qui a tenté d’empêcher cet acte, lui a valu une médaille de haute distinction,  un événement qui a, aussi, marqué les esprits.
Des démonstrations de force au quotidien, portant parfois atteinte aux droits des femmes et des hommes, ont partout été signalés mais sans trouver écho au sein du pouvoir. Ce qui ressemble à de la complaisance, car le parti Ennahda les considère toujours comme une réserve électorale. D’incessantes réunions et rencontres ont eu lieu entre les chefs du salafisme tunisien, en l’occurrence Abou Iyyadh et Abou Ayyoub et le président d’Ennahda Rachid Ghannouchi. Personne n’est surpris par le «choc», parlant d’une vidéo où Ghannouchi rencontrait ces chefs salafistes tunisiens, auxquels il a prodigué  des conseils à suivre qui n’ont rien à voir avec ses discours en public. Selon cette même vidéo, il leur a surtout conseillé d’investir dans la culture et les médias pour barrer la route aux laïcs «mécréants» dont la présence dans les divers organes de l’Etat tunisien n’est qu’une question de temps. Cela sous-entend qu’ils finiraient par être vidés de ces lieux. Ce qui résume le double langage, comme pratique courante.
En Algérie, la montée en puissance du FIS lors des élections législatives de 1990 et l’annulation par l’armée des résultats a incité les gagnants à mettre en route l’action de la branche armée (l’AIS). Après quelques années de lutte contre le système militaro-sécuritaire et même contre les élites en désaccord avec sa ligne idéologique, l’AIS a fini par déposer les armes.  Ce sont les GIA qui ont occupé le devant de la scène des opérations après avoir pris la relève. Rebaptisés GSPC et ensuite AQMI, ils continuent à opérer sur tout le territoire sahélo-saharien, en compagnie du MJUJAO. Des informations crédibles confirment l’occupation du Nord du Mali par des groupes issus, en grande majorité, des camps des séquestrés de Tindouf. Personne ne peut ignorer que les hordes de ces recrues circulent librement en territoire algérien et s’adonnent en toute impunité à des enlèvements, des demandes de rançons et des partages de revenus tirés des trafics en tout genre. Un constat qui nous amène à poser la question suivante : pourquoi l’Algérie, qui ne peut ignorer ce qui se passe sur son territoire et dans les camps de Tindouf sous son contrôle, refuse-t-elle d’intervenir pour mettre fin à ces activités?  Une attitude algérienne qui suscite l’incompréhension de tout le monde et le Maroc dans ce cas, n’a pas d’autre choix que de renforcer le contrôle de ses frontières.  
Au Maroc, c’est un autre type de mutation qui est en train de s’opérer. Les dates 20 février, 9 mars,  1er juillet, 25 et 29 novembre pour la seule année 2011 et le 3 janvier pour l’année 2012, sont des repères dont les événements ont fait entrer notre pays dans un élan démocratique sans précédent. Le Premier ministre est passé du statut de serviteur du Trône à celui du chef de gouvernement avec de larges prérogatives.
Pour nos salafistes, il faut avouer qu’ils étaient pris de court par les attentats du 16 mai 2003, et les traitements sécuritaires qu’ils avaient à subir leur ont valu des condamnations à de lourdes peines.
Les odeurs de moisissure, l’air humide et sombre des cellules d’emprisonnement leur ont donné beaucoup à réfléchir. Ils ont beaucoup appris sur la beauté et la tolérance de ce pays pour ceux qui respectent ses lois. Mais ceux qui se livrent à des actes de terrorisme, ciblant aveuglément des innocents, ce pays sait les retrouver et leur réserver un autre sort.
Après leur libération et ce grâce au Printemps arabe, ils se trouvent maintenant à la croisée des chemins. Que faire? Un groupe tente de retrouver une vie «normale» en abandonnant la politique ; un autre se cherche à travers une vie associative pour la prédication (Dâawa) et un troisième essaie de créer un parti en vue de participer à la vie politique du pays. Un dernier reste intransigeant en se qualifiant d’Ansar Achariaa comme les groupes yéménite, libyen et tunisien. Mais le dénominateur commun entre eux  reste la revendication d’un statut de prisonniers politiques afin de demander réparation. Le ministre de la Justice du PJD persiste et signe : non à ce statut, car leur dossier est lié au terrorisme!  

* Professeur à l’Université Mohammed 1er d’Oujda


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