Ahmed Massaia : Il n’y a qu’une seule morale : celle de l’excellence artistique


Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Jeudi 2 Juillet 2015

Avec une grande expérience de l’enseignement de théâtre à l’université et une autre à l’ISADAC, en tant que directeur, sans oublier le domaine de la critique, Ahmed Massaia est mieux placé pour aborder les questions culturelles. D’ailleurs, son livre «Désir de culture» reste une référence en la matière. 

Libé: Quel regard peut-on porter aujourd’hui sur le champ culturel au Maroc?
Ahmed Massaia: Si on le compare à celui des pays développés – quoique comparaison n’est pas raison -, il est évident que nous sommes très loin du minimum requis. Ce qui est certain, c’est qu’au niveau des infrastructures culturelles, il y a des avancées notables. Mais le problème réside dans la production et la diffusion des produits culturels qui n’accompagnent pas ces efforts de mise en place de ces structures. Ensuite, notre société est de plus en plus schizophrénique. D’un côté, une jeunesse et des forces progressistes qui aspirent à toujours plus de modernité et, de l’autre, une frange importante de la société, conservatrice, qui tente de brimer toute tentative de briser les tabous et de se libérer des carcans du passé. 

Comment évaluez-vous le débat public sur la relation entre la morale et la production culturelle et artistique?

D’abord, à mon sens, il n’y a qu’une morale dans le domaine artistique : celle de l’excellence et de l’émerveillement devant la beauté. Le reste n’est que spéculations sur des valeurs parfois sans commune mesure avec les créations de l’esprit. Maintenant, il est vrai que nous assistons, à l’instar des sociétés arabo-musulmanes, à un bras de fer entre les adeptes de l’idéal du tout moderne et ceux qui revendiquent bec et ongles (pour ne pas dire bombes et sabres) le retour aux valeurs anciennes voire aux temps obscurs et rétrogrades. Certes, le débat est intéressant, toujours intéressant, quand il porte sur les problèmes de fond dont souffre la société. Or, à mon sens, dans la plupart des cas qui occupent le champ sociétal, c’est un débat stérile qui ne concerne que le côté idéologique dont l’art et la culture n’ont que faire ! 

A-t-on une politique culturelle au Maroc ?

Il faudrait savoir ce que l’on veut dire par politique culturelle. Si c’est une stratégie gouvernementale pour le développement culturel, à coup sûr, non. Si l’on excepte les grands travaux - et là aussi il y a beaucoup à dire - l’argent consacré à la culture est dérisoire. Si c’est, par contre, un regard politique sur la culture, oui. On sait ce qui est advenu de la culture depuis l’indépendance du pays jusqu’à nos jours. Oui, car comment expliquerait-on la position de l’Etat vis-à-vis de certains domaines de la création qui touchent aux valeurs sacrées du pays, à la religion, à la femme, etc…? Regardez ce qui se passe aujourd’hui à propos de Much Loved, des deux filles d’Inzeggane, de Lhaqed… ! Il faudrait que les langues se délient et dénoncent toute atteinte à la liberté d’expression. 

La production culturelle aurait changé de contenu au cours des dix dernières années. Comment expliquez-vous cette évolution?
La production culturelle est toujours en phase avec l’évolution de la société et ses préoccupations idéologiques ou politiques, son degré d’ouverture sur le monde, sur la modernité, etc… Nous assistons depuis - disons une vingtaine d’années - à des mutations culturelles et artistiques importantes. Timides certes, mais importantes. Malgré quelques restrictions des espaces de liberté opérées ici et là, la création artistique et culturelle atteint parfois des dimensions esthétiques et thématiques novatrices. Cependant il faudrait une véritable opération d’éducation artistique pour que la culture soit prégnante dans la société.  


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