Ahmed Lahlimi Alami : Les résultats de l’étude sur le bien-être aideront les décideurs dans leurs choix des politiques publiques


Propos recueillis par Alain Bouithy
Lundi 18 Mai 2015

Ahmed Lahlimi Alami : Les résultats de l’étude sur le bien-être aideront les décideurs dans  leurs choix des politiques publiques
Le Haut-commissaire au plan, Ahmed Lahlimi Alami, a présenté dernièrement les principaux déterminants de la perception par les Marocains de la qualité de la vie dans leur vécu quotidien. Il ressort de cette étude que le logement, le revenu, l’emploi, la santé et l’éducation restent les principales préoccupations de ces derniers. Entretien.

Libé : le Haut-commissariat au plan (HCP) a mené des études sur les déterminants de la perception de la qualité de la vie par les Marocains. Que révèle cette enquête et quels enseignements peut-on en tirer?
Ahmed Lahlimi Alami : Ce que je peux dire d’abord, c’est que nous avons une obligation de donner à la notion du ressenti, du vécu de la population une place centrale dans nos politiques économiques et sociales. Celles-ci se traduisent souvent par des programmes d’investissement en vue d’améliorer les conditions matérielles de la population. Mais au-delà de ces conditions matérielles, l’on doit faire  en sorte que les gens aient envie de mener une vie tranquille. C’est extrêmement important. Pour cela, il faut avoir cette préoccupation du vécu des populations mais également de voir tout ce qui peut réduire les nuisances qui peuvent perturber un peu cette sérénité à laquelle aspire tout  individu dans sa vie quotidienne. Et là, il y a tous les problèmes de l’environnement, de la participation de la population aux décisions pour permettre au citoyen de saisir la portée des actions de l’Etat dans ce qui se passe dans son environnement. Il est donc actif, peut exprimer ce qui le dérange et trouver une écoute tout en contribuant à des actions pour réduire ces nuisances.
Cette étude révèle bien des choses sur l’insatisfaction des citoyens.  Ces résultats vous étonnent-ils ?
Cela ne m’étonne pas. Pourquoi ? Si vous faites une enquête dans n’importe quel grand pays du monde, vous  allez constater cette insatisfaction et peut-être davantage. Parce que tout être humain est en quête de tranquillité, de sérénité qu’il ne peut trouver à sa mesure. Mais il y a un autre aspect pour notre pays, c’est que nous sommes dans une période de transition : nous passons d’une société traditionnelle vers une  société moderne. Cela perturbe aussi bien nos modèles de valeur que ceux de notre vie. Ce qui peut paraître comme une dimension normale de la vie, à titre d’exemple, l’animation, le tapage, le bruit, les voitures… peut être anormal pour quelqu’un qui a vécu à la campagne où le soir il est plongé dans le silence. Se retrouver dans cette vie tapageuse, peut conduire à être beaucoup plus sensible à l’effet de nuisance sonore. Il en est de même pour celui qui a vécu à l’air libre et qui se trouve dans une zone où il y a des usines, de la pollution, des odeurs, cela peut changer aussi. 
Et puis, il y a ce qui touche le citoyen dans sa vie normale quand il trouve sur son chemin des difficultés pour parvenir à ses fins. Quelqu’un de malade et qui veut aller se soigner doit faire un long trajet pour trouver une unité de soins, pour lui c’est une préoccupation. Parce que cela lui prend du temps au détriment d’un certain nombre d’autres activités qu’il doit faire.
De même arriver, alors qu’il n’a peut-être qu’une heure, pour lui, c’est une heure de travail pour pouvoir gagner de l’argent alors qu’il doit attendre plusieurs heures pour être reçu et soigné. Tout cela, se répète à chaque fois qu’il est affecté d’une maladie ;  il a non seulement le stress de la maladie, mais également celui de faire tout un trajet, de supporter toutes ces attentes...
Donc, on doit pouvoir trouver des solutions même si les gens ont des difficultés matérielles. Plus on leur facilitera la vie quotidienne des gens, plus on les encouragera à avoir le moral.
Vous avez mené plusieurs études durant des années. Quel a été le défi à relever dans ce cadre ?
Le défi a été d’abord de trouver les  concepts en arabe et en berbère qui permettent que la personne interviewée comprenne ce qu’on veut dire. Déjà le bien-être lui-même est un terme qui n’existe pas en arabe dialectal. Alors comment faire ? Il a fallu d’abord essayer d’élaborer toute une série d’approches avec les citoyens pour les amener eux-mêmes à percevoir de quoi il s’agit et de l’exprimer chacun à sa manière et puis, par une série d’autres biais, s’assurer qu’on est bien sur la même longueur d’onde. Il y a cela qui est important. Mais il y a aussi l’autre défi, à savoir former les enquêteurs. Ce qui demande beaucoup de temps, parce qu’il faut leur donner une formation complète et précise. Il faut également former dans les langues arabe, tamazight, tarifit, entre autres, pour avoir un contact plus direct avec la population. 
Il faut reconnaître que tous ces efforts ne constituent qu’une amorce d’une enquête que nous espérons pouvoir approfondir, élargir au moyen d’approches plus pointues.
L’étude montre que le logement, le revenu, l’emploi, la santé et l’éducation constituent les principales préoccupations des citoyens...
Cette enquête a permis d’appréhender les besoins sociaux exprimés par la population elle-même, selon sa propre conception du bien-être et des conditions de son effectivité dans sa vie quotidienne. Elle a permis, également, de disposer de la hiérarchie des dimensions du bien-être établie par la population et de mesurer son niveau de satisfaction à l’égard de sa vie quotidienne dans chacune de ses dimensions.
Rappelons que l’Enquête sur le bien-être a déjà permis l’identification par les citoyens des dimensions du bien-être et la pondération qu’ils leur accordent en fonction de leur impact sur leur vie quotidienne.
Ainsi, les Marocains ont mis en avant trois groupes de dimensions : la vie matérielle qui comprend le logement évoqué par 60% des Marocains et le revenu par 45% ; le domaine social qui comprend l’emploi pour 43%, la santé pour 32% et l’éducation pour 24% ; et le domaine sociétal, évoqué par 29% et qui inclut la solidarité sociale, la confiance, la vie familiale, culturelle, spirituelle et de loisirs. 
Ces résultats ont également révélé que près de 30% des Marocains déclarent qu’ils sont satisfaits ou très satisfaits, 24,4% moyennement satisfaits et 45,7% peu ou pas satisfaits.
Que pouvons-nous savoir à propos de la qualité de vie et du bien-être subjectif global ?
Pour mieux comprendre les interrelations entre bien-être subjectif global et la qualité de vie, un score moyen des affects négatifs et des difficultés vécus est calculé. Il agrège, au niveau de chaque personne enquêtée, les scores relatifs à chacune des dimensions du bien-être. De par sa conception, traduisant le cumul des affects négatifs et des difficultés, cet indicateur renseigne sur la mauvaise qualité de vie : plus il est élevé, plus la qualité de vie d’une personne est dégradée. 
Par rapport à l’ensemble de la population, le nombre moyen de difficultés ou d’affects négatifs est de 39,2 sur les 95 attributs de la qualité de vie observés par l’enquête. Par milieu de résidence, cette moyenne est plus élevée en milieu rural, (43), qu’en milieu urbain (37). Le cumul des difficultés ou d’affects négatifs va de 9 comme nombre minimal à 74 comme nombre maximal. En outre, 50% de la population sont sous l’emprise d’au moins 39 difficultés ou affects négatifs. Ce nombre médian d’affects négatifs est de 36 en milieu urbain contre 42 en milieu rural. 
Les 20% de personnes qui jouissent de la meilleure qualité de vie encourent en moyenne 25 difficultés ou affects négatifs, tandis que les 20% de personnes ayant une mauvaise qualité de vie éprouvent en moyenne 55 difficultés ou affects négatifs dans toutes les dimensions du bien-être. 
Avec un indice d’inégalité (Gini) des affects négatifs de 0,15, les Marocains sont relativement égaux vis-à-vis des difficultés et des affects négatifs cumulés de la qualité de vie. Ce niveau d’inégalité demeure cependant plus accentué en milieu urbain (0,166) qu’en milieu rural (0,126). 

Les points saillants de l’enquête sur la qualité de la vie selon le ressenti des citoyens

Ahmed Lahlimi Alami : Les résultats de l’étude sur le bien-être aideront les décideurs dans  leurs choix des politiques publiques
Qualité de vie et bien-être 
ressenti dans le domaine 
du logement 


A l’échelle nationale, l’indice synthétique des difficultés et affects négatifs éprouvés à l’égard du logement montre que les conditions du logement (qualité et espace de logement, services publics) contribuent à raison de 64% à ces difficultés, suivies par les nuisances du voisinage (26%) et le confort de logement (10%). 
Sur les 18 difficultés ou affects négatifs observés dans le domaine du logement, près de 12% de la population éprouve au plus 1 affect négatif (6,1%, sans affect négatif, 5,7%, un seul affect) et 66% en éprouve entre 2 et 6.  La part de la population encourant au moins 7 affects négatifs est de 22%. 
Dans l’ensemble, le niveau moyen de satisfaction  à l’égard du logement est de 4,7 sur 10. Cette moyenne passe de 7,2 pour les personnes n’éprouvant aucun affect négatif à 2,5 pour celles qui en accumulent au moins 10.

Qualité de vie et bien-être 
ressenti dans le domaine 
de la santé


Dans l’ensemble, l’accessibilité et la qualité des services de la santé contribuent à hauteur de 81% aux affects négatifs reliés à la santé alors que l’état de santé de la population y contribue à 19%. Cette décomposition reste inchangée selon le milieu de résidence.  
Sur les neuf affects négatifs relatifs à la santé, près d’un citoyen sur dix éprouve au plus 3 affects (2,2%, sans affect négatif, et, 9%, entre 1 et 3 affects). La majorité de la population (89%) est sous l’emprise d’au moins quatre affects négatifs parmi les neuf mesurés. 
A l’échelle nationale, le niveau moyen de satisfaction à l’égard des services de santé est de 3,4 sur 10. Cette moyenne baisse de 6,2 pour les personnes n’éprouvant aucun affect négatif à 2,4 pour celles encourant au moins 8.

Qualité de vie et bien-être 
ressenti dans le domaine 
de l’éducation


A l’échelle nationale, la disponibilité des infrastructures éducatives contribue à raison de 40% à l’ensemble des affects négatifs liés à l’éducation. Cette contribution est de 33% pour les attributs de la qualité de l’enseignement, 15,3% au niveau de la qualité des équipements et 11,8% au niveau de la compétence des enseignants. 
Globalement, sur les 13 difficultés et affects négatifs relevés dans le domaine de l’éducation, 8,6% des citoyens encourent au plus un affect négatif et 76% en encourent entre 2 et 6. Le reste, 15,4%, déclare au moins 7 affects négatifs. 
Le niveau moyen de satisfaction à l’égard de l’éducation est de 4,3 sur 10. Il baisse de 6,4 pour les personnes n’encourant aucun affect à 2,3 pour celles ayant exprimé au moins 10 parmi les 13 mesurés.

Qualité de vie et bien-être 
ressenti dans le domaine 
du travail


L’insuffisance du revenu et la faible qualité du système de la retraite constituent les principaux affects négatifs relevés dans le domaine du travail avec une contribution à hauteur de 63%. Le reste d’affects négatifs revient aux conditions du travail avec une contribution à raison de 37%.   
La répartition des actifs occupés selon le nombre d’affects négatifs encourus montre que 10% de la population éprouve au plus un affect négatif sur les 11 retenus et 75% en éprouve entre 2 et 6. La part des actifs occupés qui sous l’emprise d’au moins 7 affects négatifs est de 15%. 
S’agissant de la satisfaction à l’égard du travail, le niveau moyen de satisfaction est de l’ordre de 4,7 sur 10. Il passe de 7,7 pour les actifs occupés n’éprouvant aucun affect négatif à 3,8 pour ceux éprouvant au moins 8.  

Qualité de vie et bien-être 
ressenti dans le domaine 
de la famille et de
 l’environnement social


Dans l’ensemble, les éléments de confiance représentent 34% des facteurs intervenant négativement sur la qualité de la vie familiale et de l’environnement sociétal. Cette contribution est de 29% pour les éléments du respect des droits et des lois sociales, de 28% pour les liens de solidarité et de 9% pour les liens familiaux et sociaux.
Sur les 26 affects négatifs retenus dans cette dimension, 10% de la population éprouve au plus 3 affects ou difficultés, 61% entre 4 et 12 et 29 % au moins 13.  
Le niveau moyen de satisfaction à l’égard de la vie familiale et de l’environnement sociétal est de 4,5 sur 10. Cette moyenne atteint 5,7 pour les citoyens n’éprouvant aucun affect négatif contre 3,7 pour ceux éprouvant au moins 13. 

Qualité de vie et bien-être 
ressenti dans le domaine 
de la culture et des loisirs


Dans l’ensemble, la disponibilité des infrastructures ainsi que l’accès aux activités sociales et de loisirs contribuent à hauteur de 47% aux difficultés reliés à cette dimension du bien-être. Le reste revient à la disposition de l’individu à pratiquer des activités de loisirs (19,5%), aux difficultés à pratiquer des activités de divertissement (17%) et des activités culturelles (16,5%). 
Par rapport aux 18 affects négatifs et difficultés retenus dans cette dimension, près de 5% de la population en éprouvent au plus 4, 30% entre 5 et 9 et 65 % au moins 10.
Le niveau moyen de satisfaction à l’égard de la vie culturelle et de loisirs est de 3,6 sur 10. Cette moyenne passe de 6 pour les personnes encourant moins de 3 difficultés (1,1% des citoyens) à 3 pour celles encourant au moins 10 parmi les 18 observées (66%). 

Impact des affects négatifs 
sur le niveau de satisfaction 
des citoyens dans leur 
vie quotidienne


Ainsi, si l’on ordonne les personnes selon le cumul des difficultés ou des affects négatifs vécus dans différentes dimensions de la vie, les 20% de la population disposant de la meilleure qualité de vie, 9 à 30 affects négatifs, déclare en moyenne un niveau de satisfaction de 6,3 sur 10 ; celles relevant des 20% de la population qui pâtisse le plus d’affects négatifs, 49 ou davantage, déclarent en moyenne un niveau de satisfaction faible de 3,7. 
Les 20% des personnes les plus désavantagées en termes de qualité de vie sont un peu plus présentes en milieu rural (53%), qu’en milieu urbain (47%). Près de la moitié d’entre elles sont sans niveau scolaire, 40% sont des ouvriers, 24% sont des exploitants agricoles et 70% déclarent un revenu mensuel de moins de 3000 DH.
S’agissant des personnes les plus aisées en termes de qualité de vie, 80% d’entre elles sont des citadins, 60% ont un niveau d’enseignement secondaire ou supérieur, 44% sont des cadres supérieurs ou cadres moyens, 44% déclarent un revenu mensuel supérieur à 5000 DH.


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