Abderrahim Jairane La critique marocaine devrait se frayer son propre chemin


L’universitaire et critique Abderrahim Jairane est de cette trempe de penseurs qu’on ne rencontre que rarement dans les circuits culturels. Avec beaucoup plus de questions que de réponses, il y a de quoi confirmer son appartenance à l’école de pensée du 19ème siècle.

Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Lundi 6 Juillet 2015

Abderrahim Jairane La critique marocaine devrait se frayer son propre chemin
Où en est-on avec les théories de la critique ?
En phase d’errance. A l’exception de critiques de renom, ils sont si rares, la variable dominante reste l’impressionnisme. Dans le meilleur des cas, l’on s’attache à des questions sans fond, puisées ici et là. Des questions souvent brouillées en raison d’une absence de compréhension profonde de leurs origines épistémologiques, et de leurs contextes intellectuels.
Il faut dire qu’on ne distingue plus les conditions et fondements de la critique et les conditions de l’étude littéraire. La critique a ses fondements clairs auxquels on doit se soumettre. Il n’existe des critiques sans avoir assimilé ni compris des textes des changements de l’imaginaire. Je cite ici à titre d’exemple le critique Northrop Frye qui résume la mission du critique dans la lecture des textes à l’aune du patrimoine universel. Gide disait que la lecture des textes s’effectue dans les bibliothèques, en communication continue avec les autres textes.

Bakhtine et Todorov impactent-ils toujours le paysage de la critique au Maroc ?
Voilà deux noms ayant eu une trace sur la critique au Maroc, au cours des années 80. A l’époque, l’université formait encore des critiques d’une certaine trempe. Aujourd’hui, on est en phase de régression. L’influence de Todorov et de Bakhtine n’a plus la même efficacité dans la critique et l’étude littéraires. Todorov a certainement changé de cap, pour épouser des questions intellectuelles, pour ne pas dire philosophiques. Quant à Bakhtine, il exerce encore son impact, et fait l’objet d’un intérêt indéniable. Mais je pense qu’il n’est plus approprié à l’ère des sandwichs et des discours plats et superficiels dominants.
Abandonner cette méthode critique au profit d’une autre puise ses causes dans une subordination exagérée des Marocains. On n’est pas attiré par l’importance du critique mais, par la magie de la recette ou un fait de mode. Au premier changement en Occident, on change aussi de cap. Un tel acte prive la critique marocaine de l’un de ses facteurs de développement, à savoir le cumul.   

Certains appellent à une critique culturelle et historique. Qu'en pensez-vous?
D’abord, il est de droit pour tout critique de choisir consciemment sa propre conception pour s’acquitter à bien de sa mission. Le seul problème c’est de ne pas faire montre d’un suivisme et d’une simple imitation. Le critique doit s’approprier ses propres questions. Sa thèse critique devrait ainsi être fondée de manière problématique. Mais, au Maroc comme dans le monde arabe, il existe un amalgame entre deux champs distincts : le champ de la critique culturelle et celui des études culturelles.

Pourquoi sommes-nous restés à la traîne ? Même sur le plan académique, l'université n'offre plus un courant critique évolutif ? 
Primo, les conditions au sein de l’université sont défavorables. Qu’est-ce qu’on veut de l’université ? Un champ de production intellectuelle, d’élaboration de nouvelles questions et de la pensée critique?  Ou simplement un champ d’apprentissage où l’on inculque le savoir et des connaissances? Même cette dernière tâche reste impossible avec le système modulaire inadéquat, parce qu’il est en porte-à-faux avec la nature de l’esprit interrogateur.

Vous déclarez appartenir au 19ème siècle. Expliquez-nous cela?
C’est le siècle de la maturité intellectuelle. C’est le siècle des idées et des pensées ayant propulsé la modernité. L’homme des lettres y était encyclopédique et polyvalent. L’acte créateur ne se séparait point de ses fondements théoriques, ni des questions accompagnant le mouvement littéraire. J’aime donc appartenir à ce siècle, non en tant qu’imitateur, mais sous le signe de la polyvalence.
 


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