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Abdelkrim Benatiq : Notre souci est de mieux servir nos citoyens résidant à l’étranger

Notre travail consiste à assurer une traduction fidèle des dispositions de l’article 16 de la Constitution


Propos recueillis par Hassan Bentaleb
Vendredi 11 Août 2017

Libération : A quoi sert aujourd’hui un ministère délégué auprès du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale chargé des Marocains résidant à l’étranger et des affaires de migration ?
Abdelkrim Benatiq : La population des Marocains du Monde est estimée à 5 millions de personnes, soit près de 14% de la population vivant au Maroc. Son développement est le produit d’un processus d’émigration, qui a connu de l’ampleur après l’indépendance dans le cadre des accords de main-d’œuvre conclus entre le Maroc et  certains pays européens, et a culminé durant les deux dernières décennies avec le développement de nouvelles destinations d’émigration et l’émergence d’une migration, dite des compétences.
La population des Marocains du monde a connu un ensemble de mutations : une présence géographique de plus en plus diversifiée, même si elle reste encore concentrée sur l’Europe ; Une population jeune et davantage féminisée ; un niveau socio-éducatif nettement supérieur à celui de la population résidant au Maroc ; une intégration socioprofessionnelle renforcée dans les pays de résidence ; des liens relativement forts avec le Maroc, mais qui ont tendance à se déliter, notamment au niveau des nouvelles générations.  
Le Maroc a initié très tôt une politique multidimensionnelle de l’émigration, souvent saluée par la communauté internationale. Malgré cela, les politiques publiques en direction des Marocains du monde ne répondent, jusque-là, que partiellement à leurs besoins : une politique de captage de l’épargne réussie, mais dont le dispositif connaît un certain essoufflement ; une contribution insuffisante des Marocains du monde au développement du pays ; un dispositif institutionnel dont il convient de revoir le fonctionnement ; une politique de gestion des flux migratoires, à construire ; une politique de communication peu ciblée envers les Marocains du monde ; une offre culturelle à améliorer ; une participation politique des Marocains du monde, confortée par la Constitution de 2011, qui mérite d’être renforcée.
Sur un autre volet, le Maroc a adopté depuis 2013 une nouvelle politique migratoire pour organiser, accompagner et anticiper l’évolution des flux migratoires sur son territoire, dans le cadre d’une vision stratégique portée par Sa Majesté le Roi, qui disait à l’occasion du 38ème anniversaire de la Marche Verte du 6 novembre 2013 : «Pour illustrer l’intérêt particulier que Nous attachons à ce volet (immigration et asile), Nous avons tenu à charger un département ministériel des questions d’immigration».
L’existence du ministère délégué auprès du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale chargé des Marocains résidant à l’étranger et des affaires de migration, s’inscrit donc dans le cadre du développement progressif du dispositif institutionnel dédié à une gestion coordonnée, intégrée et prospective pour répondre aux mutations, défis et attentes exprimés précédemment et avoir une vision globale sur les questions migratoires sous ses multiples facettes.
Je voudrais juste rappeler à la fin, les orientations stratégiques qui constituent la raison d’être du ministère : préservation de l’identité des Marocains du monde ; protection des droits et intérêts des MRE et contribution des MRE au développement du pays.

 Que diriez-vous aux MRE qui estiment qu’ils sont des laissés-pour-compte et qu’ils constituent le dernier souci de votre département.
Nous ne nions pas qu’il existe des insuffisances. Je l’ai déjà signalé en réponse à la question précédente :«Les politiques publiques en direction des Marocains du monde ne répondent, jusque-là, que partiellement à leurs besoins». Mais cela ne doit pas remettre en cause tous les efforts entrepris jusqu’à présent. Rappelons à cet égard, le travail accompli en matière  de développement du réseau consulaire, l’opération Marhaba, la création d’institutions dédiées comme le CCME et le Conseil des oulémas en Europe, les programmes sociaux et culturels mis en leur faveur…
Peut-être que notre politique de communication mérite d’être améliorée, mais je peux leur assurer que notre travail envers eux est un travail au quotidien et couvre plusieurs domaines (social, culturel, économique, juridique, institutionnel…). Notre souci est de pallier les insuffisances et dysfonctionnements pour mieux servir nos citoyens résidant à l’étranger,  renforcer leur participation au développement du Maroc mais surtout assurer la défense de leurs droits et intérêts à travers les différents canaux notamment institutionnels dans le cadre de nos relations avec les gouvernements des pays d’accueil.
Juste à titre d’illustration, et depuis ma prise de fonction en avril dernier, nous avons organisé plusieurs activités et espaces d’échange avec nos citoyens marocains de l’étranger : Forum des associations, 13ème région virtuelle pour les Marocains entrepreneurs du monde, universités d’été, rencontre avec les MRE participant aux festivités de la Fête du Trône, soutien au quotidien pour les affaires juridiques et assistance sociale, rapatriement, appui aux initiatives cultuelles et culturelles portées par la société civile des MRE,…   
Cela reste un témoignage concret qu’ils ne sont pas des laissés-pour-compte, ils restent notre raison d’être. Je saisis l’occasion pour leur exprimer encore une fois la disponibilité du Département que je gère et celle de nos représentations diplomatiques et consulaires pour s’enquérir de leurs doléances et répondre de la manière la plus efficace possible à leurs aspirations légitimes en tant que citoyens marocains à part entière.   

Le changement de statut de votre département d’un ministère à un ministère délégué n’aura-t-il pas des conséquences directes sur sa mission, son fonctionnement et son prestige ?
Le changement de statut n’a aucun impact ni sur la mission ni sur le fonctionnement du ministère. Au contraire, nous estimons que cette jonction avec le ministère des Affaires étrangères devrait nous faciliter la tâche puisqu’elle permet une relation institutionnelle directe avec les postes consulaires présents sur le terrain.
En même temps, il répond comme déjà signalé à un objectif stratégique relatif à l’intégration et à la synergie des politiques publiques. C’est une évolution naturelle dictée par des considérations d’efficacité et de rationalisation de l’intervention des pouvoirs publics. 
Quant à son prestige, il ne dépendra que du travail qui sera accompli et qui, j’espère, sera jugé à sa juste valeur.

La mise en place d’une nouvelle politique d’immigration et d’asile n’a-t-elle pas changé la nature de la mission de ce ministère?
L’élaboration et la mise en œuvre d’une nouvelle politique d’immigration et d’asile en septembre 2013 conformément aux Hautes orientations Royales, ont bien évidemment ajouté un autre volet aux missions de ce ministère, qui se trouve donc chargé de piloter l’élaboration de la politique publique en matière de migration et de coordonner sa mise en œuvre en concertation avec l’ensemble des intervenants publics, du secteur privé, de la société civile et des organismes internationaux.
L’attribution de cette nouvelle mission à ce ministère n’est pas fortuite, elle trouve son essence dans l’expérience acquise dans le domaine de gestion de l’émigration et des affaires MRE. Ce que vous appelez changement est plutôt une évolution de la conception et du nouveau regard posé sur l’immigration  suite aux instructions Royales. En effet, la politique de l’immigration et d’asile est désormais le second axe à déployer par le département. La première mission n’a pas changé elle s’est enrichie.

Que diriez-vous aux MRE qui critiquent la nouvelle politique d’immigration et d’asile et qui accusent l’Etat de donner plus de priorité aux migrants subsahariens au détriment des Marocains du monde ?
La politique nationale d’immigration et d’asile est une initiative Royale soutenue par l’ensemble des forces vives du pays et hautement saluée à l’échelle internationale par les pays et les organisations spécialisées. L’adoption de cette nouvelle politique montre que le Maroc est cohérent dans ses décisions : il offre aux immigrés sur son territoire les mêmes droits qu’ils réclament pour ses propres ressortissants résidant à l’étranger.
De ce fait,  la politique migratoire actuelle du Maroc comprend deux axes traités par le ministère avec la même ardeur à savoir : Marocains résidant à l’étranger et étrangers résidant au Maroc. En témoigne ce que je viens de citer lors des questions précédentes en terme d’actions et de vision ainsi que les moyens alloués à chaque volet.
Plus que ça, je trouve que le fait de travailler sur les deux volets en même est une source d’enrichissement : il permet de mieux capitaliser notre politique envers les MRE, de bénéficier de l’expérience accumulée, et de mieux cibler notre intervention future concernant les multiples facettes de la question migratoire, que ce soit à partir ou envers le Maroc.

Est-ce que c’est facile de remettre en cause une politique publique dédiée aux MRE mise en place depuis 20 ans ?

Nous agissons toujours dans la continuité et en capitalisant sur l’existant et le cumul réalisé que nous estimons très positif malgré la persistance de quelques insuffisances. L’analyse que nous avons faite au départ a permis de conforter certains choix et de porter un regard nouveau et adapté sur d’autres. Je pense que c’est une évolution naturelle des choses et une orientation dictée par la richesse et la spécificité de l’expérience marocaine en la matière. Nous prenons tout l’acquis positivement et nous essayons de le faire évoluer, c’est-à-dire de l’améliorer.
A cet égard, nous travaillons dans le sillage de la Vision stratégique de Sa Majesté relative à ce domaine et nous restons mobilisés pour traduire ses orientations et être à la hauteur de la sollicitude avec laquelle il entoure les Citoyens marocains résidant à l’étranger. Je souhaite, lors de notre passage à ce ministère, apporter une contribution positive et significative et ajouter une bonne et belle pierre à cet édifice.

Faut-il s’attendre à un changement important dans le fonctionnement de votre ministère ou plutôt allez-vous opter pour la continuité ?
Bien entendu, nous agissons dans la continuité pour les choses qui marchent, tout en cherchant l’amélioration et la perfection dans la mesure du possible. Mais, nous restons vigilants et déterminés à chercher la manière la plus rationnelle possible pour amorcer un changement, qui devrait être parfois radical dans la manière et la façon de faire, afin de pallier les dysfonctionnements et insuffisances constatés.
Nous travaillons avec sérénité en concertation avec nos différents partenaires, surtout au gouvernement, pour instaurer et mettre en œuvre les changements pour une action réfléchie, efficace et à fort impact.

Le ministère a-t-il les moyens de ses ambitions sachant que votre département dispose uniquement de 132 fonctionnaires et d’un budget limité ?
C’est vrai, par rapport aux ambitions et aux attentes, ces moyens restent limités, mais il faudra prendre en considération qu’il y a d’autres intervenants dans le domaine. Certains le font d’une manière directe comme le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l’Intérieur, le CCME, la Fondation Hassan II, la Fondation Mohammed V. D’autres interviennent d’une manière indirecte sur des sujets cadrant avec leur champ d’action comme les ministères du Travail, de l’Education nationale, de la Culture, des Affaires islamiques, …
Notre ambition première, pour compenser ce manque de moyens est d’arriver à renforcer la synergie, harmoniser et faciliter la coordination des interventions des institutions concernées et permettre ainsi la levée d’autres moyens permettant de soutenir notre action. En parallèle, nous travaillons pour tirer le maximum de ce qui existe à travers le renforcement des capacités, l’encadrement et le développement du partenariat et de la coopération internationale. En plaidant bien entendu à chaque fois pour l’amélioration des moyens mis à la disposition selon les possibilités et disponibilités offertes dans le cadre de la gestion générale du budget de l’Etat.

Comment comptez-vous traiter la question des MRE ?
Notre ligne directrice à ce sujet est la Constitution notamment l’article 16. Permettez-moi de le rappeler ici : «Le Royaume du Maroc œuvre à la protection des droits et des intérêts légitimes des citoyennes et des citoyens marocains résidant à l’étranger, dans le respect du droit international et des lois en vigueur dans les pays d’accueil. Il s’attache au maintien et au développement de leurs liens humains, notamment culturels, avec le Royaume et à la préservation de leur identité nationale. Il veille au renforcement de leur contribution au développement de leur patrie, le Maroc, et au resserrement des liens d’amitié et de coopération avec les gouvernements et les sociétés des pays où ils résident ou dont ils sont aussi citoyens».    
Notre travail consiste donc à assurer une traduction fidèle des ces dispositions dans le cadre des prérogatives qui nous sont attribuées. Cela bien entendu en favorisant l’écoute et l’action dans le cadre d’une démarche participative et de proximité associant tous les acteurs nationaux et internationaux.

Et avec quels moyens?
C’est vrai, comme on le dit «Il faut avoir les moyens de sa politique». La question des moyens restera toujours posée eu égard à la multiplicité des problèmes et l’ampleur des attentes, mais surtout la diversité géographique. Mais cela ne doit pas nous décourager de poursuivre l’action et la réflexion. Nous allons faire avec l’existant en essayant de rationaliser l’utilisation de ces ressources tout en cherchant par ailleurs à mobiliser d’autres acteurs et moyens.

Quelle réponse comptez-vous apporter aux questions de terrorisme, de xénophobie, de l’identité et de la précarité dont souffrent beaucoup de MRE ?
Le travail sur ces questions est un travail de longue haleine. Il est multidimensionnel et intègre par sa nature plusieurs aspects, domaines et disciplines. Son traitement requiert une approche multidisciplinaire graduelle et pédagogique et à géométrie variable vu la diversité du champ géographique. En termes d’action, cela concerne des aspects différents relatifs à  l’encadrement religieux, l’encadrement juridique, la sensibilisation et la communication, l’assistance sociale, la vulgarisation des bonnes pratiques et au plaidoyer.
En fait, nous travaillons sur cette question, sur laquelle nous avons une feuille de route. Jusqu’à présent, nous avons eu l’occasion de réunir des experts de divers horizons parmi eux des MRE pour discuter de ces problématiques. Plusieurs pistes d’action sont identifiées et nous essayons de mettre en œuvre des actions concrètes ou démultiplier des bonnes pratiques qui sont déjà testées sur le terrain. Dans ce cadre spécifiquement nous favorisons des actions en partenariat avec les pays d’accueil dans un cadre de partenariat et de responsabilité partagée.    

Quels outils comptez-vous mettre en place face à de nouvelles générations de Marocains du monde de plus en plus jeunes et de plus en plus éduqués ?
La communauté marocaine établie à l’étranger a connu des mutations marquées par des changements intergénérationnels ainsi que des changements de l’environnement des sociétés d’accueil. Ces mutations ont fait apparaître de nouvelles préoccupations en matière d’accompagnement de l’émigration, en particulier la préservation de l’identité dans toutes ses dimensions, notamment chez les nouvelles générations des Marocains du monde. Ces jeunes, compétences de demain, constituent l’un des principaux atouts du Maroc et un pont important entre leur pays d’origine et le pays d’accueil.
Dans ce sens, le ministère a initié des programmes socioculturels permettant de renforcer les liens des Marocains résidant à l’étranger, avec leur pays d’origine, le Maroc. Parmi ces programmes, et à titre d’exemple : les universités d’été organisées en partenariat avec les universités marocaines ; le Forum des jeunes Marocains résidant à l’étranger, organisé en partenariat avec l’université Cadi Ayyad; les séjours culturels au Maroc en partenariat avec le tissu associatif marocain à l’étranger…
L’objectif de tous ces programmes est de permettre à ces jeunes de mieux connaître et renforcer le lien avec leur pays d’origine et de mieux s’intégrer dans les sociétés d’accueil.
Dans cet esprit, le travail continue pour améliorer le contenu de ces programmes, élargir le champ géographique et maximiser l’impact en démultipliant la population cible par tous les moyens de communication possibles.

Un mot pour l’avenir ?
Je reste optimiste malgré tout.  Je souhaite apporter ma modeste contribution pour le développement et le rayonnement de notre pays. Un Maroc moderne attaché à ses traditions, un Etat démocratique garantissant les droits à tous les citoyens d’ici et d’ailleurs, un Maroc développé et tourné vers l’avenir sous l’égide de Sa Majesté le Roi que Dieu le glorifie.


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